Dani Rodrik est professeur d’économie à Harvard et tient un blog. Et il vient de poser une question intéressante : quelle est la relation entre la popularité d’un bloggueur et le facteur d’impact de ses publications, ou plus précisément son "impact dans le monde académique" ? Pour y répondre, il a mis en parallèle un classement basé sur l’indice Technorati de blogs d’économistes (tous titulaires d’un doctorat et d’une affiliation universitaire), et utilisé un petit logiciel (dont je reparlerai) permettant de calculer différents indicateurs bibliométriques sur la base des informations proposées par Google Scholar. Pour la méthodologie complète, je vous renvoie à son billet.
Dani Rodrik s’attendait à ce qu’il n’y ait qu’une très faible corrélation entre la notoriété d’un bloggueur et son impact académique, et ce pour nombre de bonnes raisons (le style d’écriture n’est pas le même, le temps passé sur l’un – le blog – ne l’est pas sur l’autre – les articles de recherche), or le résultat qu’il obtient est tout l’inverse : la corrélation est très forte est statistiquement très significative. Plus précisément, elle l’est pour les bloggueurs/universitaires les plus populaires/influents. Ce qui n’est au final guère étonnant : les chercheurs de haut niveau académique, quand ils daignent s’y mettre, sont également et très rapidement des bloggueurs à forte notoriété (voir en France Jean Véronis ou Jean-Michel Salaün). Pris dans l’autre sens, les bloggueurs les plus influents en économie, sont également et par ailleurs, des chercheurs avec une autorité académique avérée.
Ainsi donc, au final, cette étude (qui n’a pour tout dire pas grand chose de très scientifique, mais qui a l’intelligence de se revendiquer comme telle) apporte un certain nombre d’informations intéressantes :
- primo : en matière de blogging comme de publication académique, la clé, c’est d’avoir quelque chose à dire 🙂
- deuxio : la corrélation forte établie entre des blogs de chercheurs (à vocation de vulgarisation) et des publications de chercheurs (ayant vocation à faire avancer les connaissances dans le cadre d’un corpus disciplinaire) montre que la problématique n’est plus celle de la frontière (un billet ne sera jamais un article scientifique et vice-versa, nous sommes d’accord), mais se renverse pour devenir celle d’une logique de complémentarité : sans valorisation/vulgarisation/mise à disposition, une publication scientifique sera de plus en plus vouée à être un document "stérile" (hormis naturellement les quelques dizaines qui paraissent chaque année – toutes disciplines confondues – et qui sont porteurs d’une réelle avancée en rupture avec les publications précédentes), un document "stérile" disais-je, qui, s’il demeure enfermé dans un logique de débat strictement endogame (entre les pairs et les pairs de nos pairs … amen) ne pourra plus donner pas son plein potentiel scientifique.
- Tertio : cette corrélation entre une "très forte" popularité et une "très forte" influence académique illustre des résultats déjà observés dans d’autres publications, à savoir :
- qu’il existe quelques noeuds dans la blogosphère, noeuds hyperconnectés et qui bénéficient et/ou déclenchent "es qualité" un "effet Pundit" (les Pundit désignent des experts auto-proclamés ou s’exprimant dans le cas qui nous préoccupe "es qualité" et
dont les sites bénéficient d’un nombre de liens entrants
(« backlinks ») qui tendent à asseoir cette expertise
lorsqu’elle semble justifiée. A propos de "l’effet Pundit", voir : Glance N.-S., Hurst M.,
Tomokiyo T., «BlogPulse: Automated
Trend Discovery for Weblogs», [en ligne]
http://www.blogpulse.com/papers/www2004glance.pdf
). - que comme l’ont déjà montré des méthodes statistiques de mesure appliquées aux réseaux sociaux (voir notamment Herring S. et al., “Conversations in the Blogosphere: An Analysis "From the Bottom Up", Proceedings of the Thirty-Eight Hawaï International Conference on System Sciences (HICS-38). Los Alamitos:IEEE Press. [en ligne] http://www.blogninja.com/hicss05.blogconv.pdf, consulté le 31/01/2005), on peut établir très rapidement dans la topologie de la blogosphère la présence de weblogs incontournables, constituant sur des thèmes et/ou des terrains parfois très pointus, une « A-list » , une liste de référence.
- qu’il existe quelques noeuds dans la blogosphère, noeuds hyperconnectés et qui bénéficient et/ou déclenchent "es qualité" un "effet Pundit" (les Pundit désignent des experts auto-proclamés ou s’exprimant dans le cas qui nous préoccupe "es qualité" et
Le monde académique n’échappe donc pas à cette règle, mais il est par contre nouveau de constater que cette A-List "populaire" correspond à des blogs de chercheurs à forte notoriété académique.
Une étude qui mériterait donc au final largement d’être reconduite de manière plus systématique et transposée à d’autres champs de recherche (dommage que nous soyons encore si peu d’universitaires bloggueurs en sciences de l’information …)
(Via Bibliothécaire)