Conflits sociaux : A vaincre sans péril triomphe-t-on sans gloire ?

La rentrée sociale fut donc chaude. Et le lancement d’OpenSocial, la "riposte" sociale de Google à Facebook, est désormais dévoilé.
Et l’on peut dire que c’est l’artillerie lourde : d’abord et essentiellement du côté des plateformes ralliées aux APIs d’OpenSocial, avec en sus de celles précédemment citées, l’arrivée de MySpace. Si l’on considère qu’en matière de réseaux sociaux comme en d’autres terrains de jeu, c’est la capacité à atteindre rapidement une masse critique d’utilisateurs qui est l’une des clés du succès, ce ralliement pèse très très lourdement dans une balance déjà considérablement lestée par le pouvoir d’attraction et la stratégie de déploiement de Google.
Donc pour résumer, l’ensemble des platefomes "stars" de développement et d’hébergement de réseaux sociaux se sont naturellement ralliées au standard OpenSocial de Google. Et ce dès avant son lancement : Engage.com, Friendster, hi5, Hyves,imeem, LinkedIn, Ning, Oracle, orkut, Plaxo, Salesforce.com, Six
Apart, Tianji, Viadeo, XING, et donc MySpace. Seul Facebook n’a pour l’instant rien annoncé (cf plus loin dans ce billet).
Pour fêter ce ralliement, Google s’est même fendu d’un communiqué de presse dédié :

  • Eric Schmidt pose l’équation très clairement : "As the most trafficked website in the country and the most popular social network in the world, MySpace is one of the leading forces in the global social Web"
  • Du côté de MySpace, Aber Whitcomb donne dans le lyrisme : "We’re all citizens of a larger Web-no network is an island onto itself" Et encore : "It’s exciting that social networks are getting social with each other."

Ce qui est en train de se passer du côté des réseaux sociaux, c’est ce que Pierre-Gilles de Gennes appelle une transition de percolation :

  • « Considérons un ensemble d’îles, et supposons que le niveau de l’océan baisse progressivement. (…) Peu à peu les différentes îles grandissent et certaines se relient entre elles. Un voyageur qui ne marche que sur la terre ferme est, au début, confiné dans une île. Toutefois cette île, lorsque le niveau océanique baisse, devient, le plus souvent, connectée à de nombreuses autres ; le domaine d’excursion de notre voyageur augmente.
    Finalement, lorsque le niveau océanique atteint une certaine valeur critique, le voyageur peut s’éloigner arbitrairement loin de son point de départ : il est maintenant sur un continent, qui porte encore de nombreux lacs, mais qui est connecté : on peut aller d’un point à l’autre du continent sans jamais traverser un bras de mer. La transition que nous venons de décrire, entre un archipel d’îles déconnectées et un système où certaines des îles se sont soudées pour former un continent, est appelée transition de percolation.
    »

Il aura donc fallu seulement quelques jours à Google pour "imposer" un standard, selon un mode top-down, qui est à l’opposé du fonctionnement habituel du world-wide web, l’organisme en charge de son développement (le W3C) fonctionnant lui de manière bottom-up, en appelant aux commentaires et aux réflexions des usagers sur la base de recommandations, puis des spécificaitons, qui enfin deviendront des normes ou des standards (même si l’on peut supposer qu’à l’instar de Rome qui ne s’est pas faîte en un jour, les "tractations" en coulisse pour obtenir les ralliements sus-mentionnés ont du être lancés depuis quelques temps).
S’il faut donc effectivement se féliciter du choix de Google de rendre interopérables et "ouverts", via les APIs d’OpenSocial, des réseaux sociaux jusqu’ici cloisonnés, il faut également prendre en compte les signaux faibles qui mettent Google en situation de développer un web "propriétaire", ou plus exactement de faire du web actuel "sa" propriété : il avait déjà à sa disposition l’infrastructure technique (ses datacenters et son architecure de serveurs), le public "captif", les tuyaux (fibre optique et câble notamment), il vient aujourd’hui de s’instituer "grand normalisateur", avec l’assentiment de tous. "Jusqu’ici tout va bien …"
Le site des APIs OpenSocial de Google étant enfin ouvert (ce qui n’était pas encore le cas quand j’ai publié mon précédent billet), on observera que lesdites APIs s’organisent bien en trois grands groupes, mais pas exactement ceux que j’indiquais. On y trouve les :

  • People Data API : elles permettront de récupérer, de solliciter, d’interroger et de naviguer parmi vos listes d’amis (Friendlists), c’est à dire, in fine, de "passer à l’échelle" le graal du graphe social, en rendant interopérables les divers contacts et niveaux de relation déployés dans tous les sites partenaires.
  • Activities Data API : elles permettront de gérer "ce qui se passe" sur les réseaux sociaux (applications tierces et fonctionnalités).
  • Persistence Data API :  elles sont (à mon sens) l’élément le plus important de l’ensemble. "Elles permettront aux applications clientes de voir et de mettre à jour les contenus OpenSocial déclarés persistants." Même si c’est encore un peu le flou en la matière et si mon niveau informatique me permet mal d’en mesurer toute la portée (commentaires des geeks bienvenus), il semble bien que c’est là le coeur du système dans la mesure ou :
    • cette "persistance" appliquée aux profils (people data) et/ou aux applications (Activities Data) permettra comme son nom l’indique de conserver, d’adresser et de tracer les informations contenues dans les profils ou les centres d’intérêt et les actions réalisées dans le cadre de leurs activités sociales. Toutes choses éminemment nécessaires pour mieux monétiser l’ensemble au travers de l’offre publicitaire choisie.
    • cette même "persistance" atteste une nouvelle fois du nouvel élément clé de la dérive des continents documentaires qu’est la synchronicité entre le on-line et le off-line. Rien n’est encore limpide, mais  ladite persistance pourrait permettre de post-synchroniser  l’ensemble des contacts et des activités mises en place dans le cadre de l’utilisation des réseaux sociaux , pour un usage "déconnecté".

Il faudra voir dans quelques temps, quelle est la réussite réelle d’OpenSocial. Mais à regarder l’empressement des développeurs, le nombre et la qualité de certaines des applications développées (dans FaceBook notamment), on peut raisonnablement se permettre d’être optimiste. Mais cette interopérabilité d’ensemble,  ce graphe des activités sociales à large spectre, s’il se confirme donc, va très rapidement devenir un formidable vivier de données, un véritable bazar pour le dire de manière plus crue. Un bazar dans lequel il faudra nécessairement venir mettre de l’ordre. Ce qu’une nouvelle fois, seul Google pourra se permettre faire via son moteur. En regardant donc de près la stratégie de la firme, et pour rebondir sur les intéressants commentaires de mon dernier billet, c’est donc bien, derrière cette apparente diversification, un énième recentrage autour de son application phare (le moteur de recherche) qu’est en train d’opérer Google. Mais un recentrage habile, presque détourné. Un recentrage qui ne se donne pas à voir comme tel.  Et c’est une nouvelle fois la "magie" de Google qui opère : celle qui, au milieu de l’ensemble des acteurs majeurs du web actuel, le rend seul capable de transformer une dynamique centrifuge (extériorisation, ouverture, interopérabilité), en une réalité centripète.
Et Facebook dans tout ça ?
Et bien Facebook va probablement attendre encore un peu avant d’annoncer son ralliement (à mon avis inévitable) à OpenSocial (voir notamment ce billet "Echec et Mat" de Techcrunch). D’abord parce qu’il doit lancer sa nouvelle offre publicitaire. Ensuite parce qu’il essaie de son côté de maintenir une stratégie de challenger, à défaut de pouvoir se maintenir comme leader. Ladite stratégie de challenger, selon le blog du magazine Wired, passerait par le diffusion de musique en ligne, pour venir concurrencer MySpace et ITunes sur leurs terres. Toujours selon la même source, l’idée serait, notamment, de permettre aus groupes et aux artistes de vendre directement de la musique (ce qu’ils peuvent déjà faire depuis MySpace) depuis leurs pages Facebook, en se servant de la nouvelle offre publicitaire de Facebook. La Warner serait sur les rangs.
Donc ?
Donc si Google a gagné en coupant l’herbe sous le pied (fragile) de Facebook, ce n’est pas pour autant que Facebook a tout perdu. Il a même toutes les chances, sur certains secteurs et/ou pour certaines applications et certains usages, de rester un acteur majeur du domaine. Mais Google a nonobstant remporté les deux victoires qui seules l’intéressaient : être présent et être incontournable. Tout le reste n’est qu’une affaire d’audience. Et en matière d’audience globale, on ne lui connaît à ce jour aucun challenger crédible. A vaincre sans péril, il n’est donc pas sûr que la victoire soit sans gloire. Car ce que vient de réussir, avant tout, Google, c’est ce que Douglas Hofstadter décrit comme une "transition de phase" :

  • « Les transitions de phase se produisent dans les systèmes physiques simples, les bancs de poissons, les cerveaux, et aussi dans les pays tout entiers, pourvu que les interactions entre les éléments du système soient suffisamment fortes et nombreuses, et qu’elles s’additionnent pour engendrer des corrélations à grande échelle, autrement dit pour induire des effets à distance, malgré le faible rayon d’action des interactions directes. Lorsqu’apparaissent de tels effets à distance, une nouvelle sorte d’entité voit le jour, à un niveau d’organisation supérieur à celui de ses constituants, et qui obéit à ses propres lois. »

Pour réussir cela, il lui fallait, en préalable, autoriser une transition de percolation (cf plus haut). Une stratégie en deux temps, binaire, pendulaire, au rythme de laquelle bat aujourd’hui le coprs entier du web.

A voir aussi sur la question : le blog officiel OpenSocial, le remarquable screenshot de Marc Andreesen (Ning) démontrant la puissance et l’intérêt d’OpenSocial.

5 commentaires pour “Conflits sociaux : A vaincre sans péril triomphe-t-on sans gloire ?

  1. merci pour la leçon du dimanche – ça va si vite qu’on peine à suivre
    tu pourrais aussi revenir 1 de ces 4 sur le passage au web « sémantique » et le RDF : concrètement, à quoi ces nouvelles répartitions des « centres de gravité » du web nous contraignent pour les données et contenus de nos sites, si on veut qu’ils survivent ? est-ce que le fait de disposer de contenus (puisque aussi bien la seule vraie richesse de face book c’est les liens qu’on met vers nos sites) suffit pour le non-effacement à terme ?

  2. Une semaine de Face book ou Facebook au choix

    Vous commencez à être habitué à ma rubrique hebdomadaire des articles parus au sujet de Face book ou Facebook (j’indique les deux car j’ai remarqué que certains emplois l’un ou l’autre !).
    Si vous avez manqué les épisodes précédents, voici de quoi vous……

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