Rentrée sociale et ouverture du code

Le mois de Novembre promet d’être agité du côté des réseaux sociaux : selon Techcrunch, Google devrait annoncer début Novembre le lancement de son réseau social baptisé Makamaka (ou Maka-Maka). De son côté, Facebook devrait annoncer le 6 novembre le lancement d’une nouvelle offre publicitaire : le Social ads Network, censée contrer l’offre AdSense de Google (voir aussi ce qu’en dit Read/WriteWeb).
Difficle en l’état de dire qui sortira vainqueur de cette lutte. Mais on peut d’ores et déjà pointer le fait que dans son futur MakaMaka, Google tablera sur une ouverture maximale du réseau (aussi bien en termes applicatifs – API – qu’en termes d’usages – il peut s’appuyer sur l’énorme public ayant déjà adopté des applications phares de Google) : ce pari de l’ouverture (cf plus bas dans ce billet), dans la droite ligne de la théorie de la dérive des continents documentaires, lui offre une capacité de résonnance extraordinaire, là où Facebook s’enferme une nouvelle fois dans un mode et un monde fermé et auto-centré. A moins … à moins que la nouvelle offre publicitaire de Facebook ne soit le signe d’une ouverture : il se pourrait effectivement que cette dernière permette d’optimiser les cookies installés lors d’une connexion sur Facebook pour permettre de continuer à cibler les utilisateurs lors de leurs navigations sur le net, lesques utilisateurs verraient s’afficher des publicités correspondant aux divers centres d’intérêt renseignés dans leur profil Facebook.
Donc ? Donc l’entrée de Microsoft au capital de Facebook (et l’exclusivité du partenariat publicitaire) se révelerait être "in fine" un investissement stratégique pour pouvoir disposer, grâce à Facebook, d’un outil de ciblage de masse (50 millions d’utilisateurs et une croissance qui demeure exponentielle) pouvant soutenir la comparaison avec celui de Google. Si je ne croie toujours pas que Facebook puisse s’afficher comme un challenger de Google, je crois en revanche que les cartes entre Google et Microsoft pourraient être rapidement redistribuées de la manière suivante :

  • Microsoft table sur sa position dominante en terme d’OS et se dote, via Facebook, d’un outil de ciblage de masse
  • Google table sur sa position dominante de vortex d’audience, fait le pari du déploiement d’un WebOS ou de quelque chose d’approchant pour prendre des parts de marché (et d’usage) à Microsoft

Le pari est donc le suivant : si les applications en-ligne l’emportent, si la bascule de nos comportement sinformationnels en ligne se confirme et se généralise, et si une nouvelle synchronicité (Google Gears en est l’exemple éclatant) peut-être établie entre le en-ligne et le hors-ligne, alors Google aura partie gagnée. Le vrai débat me semble donc bien être et demeurer celui de l’adoption massive par les usagers d’un webOS pour administrer l’ensemble de leurs habitus numériques. La publicité, le modèle de régie qui l’accompagne, et l’importance de l’audience ne pourront être valorisées et se substituer au modèle économique classique (je paie pour acheter des applications VS les applications sont gratuites mais financées par la publicité) que quand les usages (en-ligne ou hors-ligne) se seront suffisamment stabilisés à l’échelle de la planète connectée. C’est bien là ce qui rend toute analyse prospective si glissante, et c’est également là ce qui fait l’intérêt des tractations et des effets d’annonce actuellement sous le feu des projecteurs.

La rédaction de ce billet ayant été commencée il y a de cela plusieurs jours, les effets d’annonce se succèdent mais confirment la tendance, côté Google tout au moins : indépendamment ou en complément du suscité Makamaka (qui devrait pour ce que l’on peut en supposer être une sorte d’Orkut à l’échelle planétaire), Google annonce le lancement non pas d’une application simple mais d’un contexte applicatif dénommé "Open Social", dont les APIs sont accessibles ici. Le nom est suffisamment programmatique et entérine la dichotomie stratégique évoquée plus haut entre un monde fermé et un monde ouvert. L’idée est de mettre à disposition une série d’APIs qui pourront être associées à tout type de plateforme sociale. Ces APIs seront organisées en trois grands groupes :

  • Profile Information (user data)
  • Friends Information (social graph)
  • Activities (things that happen, News Feed type stuff)

La force de Google c’est de viser à mettre en place non seulement un "standard" au sens informatique du terme (comme il l’avait déjà fait par exemple avec Sitemaps), mais un "contexte standard" de déploiement des applications sociales, pour aujourd’hui et surtout pour demain. Comme le souligne encore John Battelle, la question est de savoir si MySpace et Facebook joueront ou non le jeu de l’adoption de ce standard. En la matière, et pour l’instant, tout semble jouer contre eux :

  • la culture du net et de ceux qui bâtissent ses applications,
  • l’aspiration de ceux-là à être "reconnus" et à assurer la dissémination la plus large possible pour leurs applications,
  • les caractéristiques propres du réseau,
  • et – last but not least – l’effet de la marque Google.

Il est désormais tout à fait clair – ce que ne laissait pas initialement la politique de développement de son site social Orkut – que Google "croit" au web social. Comme l’indique le communiqué de presse : "The web is fundamentally better when it’s social", et plus loin,  "we hope OpenSocial will become a standard set of technologies for making the web social." En lançant ce "service" ou plus exactement cette dynamique, Google compte clairement s’appuyer sur le formidable levier que constitue son audience. Et il peut également d’ores et déjà compter que quelques acteurs majeurs du secteur, ayant annoncés leur ralliement à ce standard : "Orkut, Salesforce,
LinkedIn, Ning, Hi5, Plaxo, Friendster, Viadeo, Oracle, Flixster,
iLike, RockYou, Slide". Une liste appelée à s’étoffer rapidement comme le rappelle Jean-Marie Le Ray dans son billet. <Update du soir>(voir aussi l’article du NYTimes) </Update>

Et puis sur un autre sujet, le Wall Street Journal croit savoir que ce qui fut longtemps une rumeur sera bientôt une réalité : Le GooglePhone, un téléphone portable "estampillé" Google. Le lien avec le contenu de ce billet étant le suivant : Google, comme il le fait avec Open Social, compte "ouvrir" l’accès au GooglePhone : "to make the phones’ software "open" right down to
the operating system, the layer that controls applications and
interacts with the hardware. That means independent software developers
would get access to the tools they need to build additional phone
features." 

On retrouve ici cette même volonté stratégique d’ouvrir le code source applicatif pour tirer le meilleur parti de cette extraordinaire "entreprise" (au sens propre et au sens figuré) collective du net. Une ambition et une vision stratégique qui permet à Google de mettre en place chaque jour davantage de standards ou de "cadres applicatifs" contrôlant des secteurs entiers du net. Il y aura donc bien un WebOS. Et il y a fort à parier que celui-ci, pendant quelques années au moins, se trouvera en situation de monopole, comme le fût celui (Windows) d’une autre firme (Microsoft), qui avait choisi une stratégie tout autre (surtout ne pas ouvrir le code), et qui passa ces dernières années la plupart de son temps à tenter de corriger les attaques en règles dont ledit code fût victime, non pas d’ailleurs dans un unique souci de "piratage" ou de "saccage"  mais pour montrer aux développeurs leaders (ceux de microsoft) que d’autres (les "hackers") détenaient eux aussi, la puissance du code, et que le leur pouvait sinon rivaliser, à tout le moins sérieusement mettre à mal celui de Windows. En affirmant pas à pas sa stratégie d’ouverture, le monopole que Google est en train de bâtir à d’ores et déjà la certitude qu’il ne pâtira pas de ce scénario de l’empêchement et de l’éternel-correctif-arrivant-avec-toujours-un-temps-de-retard-sur-les-failles-repérées.

Attention cependant à ne pas sombrer dans un angélisme candide : Google n’est pas Linux, et la dite ouverture ne doit pas occulter l’opacité de ce qui l’a ensuite permise : celle du l’algorithme du moteur, le coeur de sa technologie. Elle ne doit pas non plus faire oublier que Google est le premier bénéficiaire de cette stratégie (ce qui est certes la moindre des choses), mais que la logique de conservation et de profilage qui structure le centralisme de la collecte de l’ensemble de ces applications et de ces usages, cette logique reste, elle, propriétaire et propriété d’un complexe industriel basé en Californie, et baptisé le GooglePlex.

<Update du lendemain soir> Idée trouvée sur cet excellent blog, et selon laquelle : "Ce qui est en train de se produire c’est que Google devient rapidement l’entité globalement reconnue en charge de définir l’évolution du web : dit autrement, Google prend rapidement la place du W3C
qui est, selon Wikipedia, “the main international standards
organization for the World Wide Web (abbreviated WWW or W3).
”  A méditer …</Update>

(Sources : sous les liens 🙂

12 commentaires pour “Rentrée sociale et ouverture du code

  1. Salut Olivier,
    En poursuivant ton raisonnement, sachant que l’objectif économique unique est le marché publicitaire et que l’arme principale de Google est Adwords (plutôt que Adsense), ne peut-on dire que l’équivalent de la fermeture du code de Microsoft est chez Google la fermeture de l’ingeniérie documentaire ?
    Si ce raisonnement est valable, cela expliquerait, par exemple que ceux qui sont sensibles aux dangers se recrutent principalement dans le monde documentaire parce qu’ils peuvent percevoir les menaces cachées de cette opacité, tout comme ce sont certains informaticiens qui ont dénoncé les verrouillages de Microsoft.
    De même, Microsoft a fait sa fortune sur un produit joint : le logiciel vendu avec l’ordinateur. Google, dans un tout autre domaine, fait la même chose. Son économie est indirecte.
    Bref, tu nous fais gamberger 😉

  2. Jean-Michel> J’ai envie d’être d’accord avec toi sur “la fermeture de l’ingénierie documentaire”, et en même temps je me dis que tant du point de vue de Google que de celui de l’Open source, l’ouverture du code s’inscrit presque nécessairement dans le cadre d’une ingénierie documentaire. Donc je ne sais pas trop 🙁 (même si je suis bien conscient que la réponse dépend de ce que l’on met derrière l’expression “ingénierie documentaire”). OK en revanche sur ton second point : il y a effectivement dans la sphère des métiers documentaires et des “professionnels de la profession” une sorte de lucidité (non-exclusive) qui relève d’un processus “affordant”, tout au moins dans la perception de certaines dimensions de l’objet documentaire et du processus de redocumentarisation tel que le propose Google.
    Bref, content de te donner à gamberger sur autre chose que mon goût immodéré du Pagerank 😉

  3. Merci Olivier de mentionner la possibilité d’une alternative possible dans le domaine des WebOS, tu me redonnes espoir ! 😉 Alors quoi, si Google permet une ouverture à 99%, faudra-t-il aller vers les 100% ? Il faut bien comprendre qu’à se niveau d’ouverture la publicité n’est plus possible car on sera alors dans un monde de pures données où l’intéropérabilité devient la règle d’or et où la publicité n’a plus sa place.

  4. Manuel,
    Je crois que vous faites une erreur de perspective. L’objectif de Google est bien la publicité et le centre est bien le moteur comme le rappelle opportunément Olivier.
    Tout le reste ne vise qu’à accroître et à maîtriser le flux informationnel, pour ensuite que la recherche par le moteur se développe et donc pouvoir y insérer la publicité contextuelle. L’interopérabilité s’arrêtera au moment où l’exploitation publicitaire se tarira.
    Il ne s’agit pas là d’une vision idéologique, simplement très basiquement économique. Comment une firme peut-elle tourner sans ressource ?

  5. attention, Microsoft a réussi son pari de windows car le monde de l’entreprise l’a adopté. Ce monde là sera trés frileux à passer au WEBos si cela ne s’accompagne pas d’une sécurité maximale (l’entreprise est trés frileuse à stocké des infos on line). Je pense que pour ma part que le web social touche les particuliers (et éventuellement les entrepreneurs du web) mais pas encore les sociétés…

  6. @JM Salaun : Je ne parlais pas de la perspective de Google mais de celle du web en général. Concernant votre dernière interrogation, “Comment une firme peut-elle tourner sans ressource ?”, il suffit de constater que 95% du web fonctionne aujourd’hui grâce à des logiciels libres ou des standards ouverts. La publicité n’est pas une fin en soit, il existe déjà un grand nombre de possibilités de business alternatifs et il y a en encore beaucoup à inventer.

  7. à Manuel
    La question n’est pas les logiciels libres ou les standards ouverts en soi, mais de la stratégie de Google par rapport à ceux-ci.
    La réponse est très claire, Google pour 2006 : 10,6 Mds de USD de chiffre d’affaires à 99% par la publicité. En 2007, ce sera encore beaucoup impressionnant. Certes, la publicité n’est pas une fin en soi, mais entre 1% et 99%, le choix est vite fait et le profit est bien la fin de toute entreprise commerciale.
    Ensuite que la stratégie de Google passe, pour une part, par des standards ouverts est une question importante, mais son objectif est bien le moteur principal (dans les deux sens du terme) de la firme.
    Il ne faut donc pas confondre standard ouvert et recherche ou non du profit. Dans certains cas les problématiques se contredisent, dans d’autres elles marchent ensemble. Tout dépend du contexte et de la stratégie.
    La volonté de Google en faisant ce choix me parait double : fluidifier le Web pour augmenter le trafic global (et donc valoriser le leader sur le marché publicitaire) et fragiliser son concurrent potentiel Microsoft, le seul à pouvoir le contrer en terme de puissance financière.

  8. Il me semble comprendre que Maka Maka ne serait qu’un aggrégateur géant des données des réseaux sociaux accessibles via l’API OpenSocial. Logique : si le métier principal de Google est sont moteur de recherche, il est normal qu’il s’organise pour reprendre la main sur ce secteur du web qui lui échappe pour l’instant.
    Tout le monde à remarqué que certains types de recherches sur internet sont plus efficaces si on va les lancer sur del.icio.us ou sur facebook. Des parts de marché en moins pour Google !
    Google n’est que le TF1 de l’internet :
    http://www.blachier.com/blog/index.php?2007/11/01/81-reseaux-sociaux-encore-une-histoire-de-temps-de-cerveau-disponible

  9. La mondialisation de Facebook ( et de Google )

    Facebook a tout d’un projet Open Source Reprenant, de manière plus sérieuse, cette définition du graphe social d’après Mark Zuckerberg : “C’est l’ensemble des relations de toutes les personnes dans le monde. Il y en a un seul et il comprend to…

  10. Bien intéressante cette idée que “Google prend rapidement la place du W3C”. Sauf qu’il me semble qu’il va falloir se battre pour inverser la proposition. Et que le W3C, ou tout autre organisme mondial prenne le pouvoir en notre nom sur les entreprises comme Google ou Facebook. C’est nous qui créons l’information et la connaissance. Facebook et Google ne fournissent “que” la plate-forme. Ces guerres entre colosses capitalistes n’ont pas beaucoup d’intérêt. Quel que soit le gagnant, le pouvoir nous échappe sur une information que nous enrichissons tous les jours et qui nous appartient. C’est de l’Open Source mis à la disposition, non pas de la communauté, mais de quelques entités capitalistes qui s’arrogent le droit d’en disposer à leur guise. Le combat est largement comparable à celui mené par l’Open Source “historique” contre le logiciel commercial “à la” Microsoft. Il faut mondialiser ces entreprises :
    http://rene-de-beauregard.blogspirit.com/archive/2007/11/05/la-mondialisation-de-facebook-et-de-google.html

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