Le dernière "Une" du magazine Wired ne va pas du tout plaire à Denis Olivennes (pour qui "la gratuité, c’est le vol"). Chris Anderson (rédac’chef dudit magazine et auteur de la fameuse analyse de la longue traîne) n’y va pas par 4 chemins en titrant : "La gratuité est l’avenir de l’économie." ("Why 0,00$ Is the future of business").
L’argument préalable est le suivant : "Il est désormais clair que tout ce que le numérique touche tend vers la gratuité". Chris Anderson s’interroge sur l’actuelle gratuité des contenus et services les plus plébescités (moteurs de recherche, wikipedia, etc …). Il y rappelle que nous évoluons dans une économie du don ("gift economy"). Et il pointe un certain nombre scénarios possibles :
- "Scenario 1: Low-cost digital distribution will
make the summer blockbuster free. Theaters will make their money from concessions — and by selling the premium moviegoing experience at a high price." Un scenario que rend possible l’effondrement des coûts d’équipement et d’infrastructure (bande passante, serveurs …) - "Scenario 2: Ads on the subway? That’s so 20th
century. By sponsoring the whole line and making trips free, the local
merchants association brings grateful commuters to neighborhood shops." A mon avis la métaphore le plus parlante : "Des pubs dans le métro ? C’était le 20ème siècle. En sponsorisant toute la ligne et en rendant les transports gratuits, les marchands locaux ramènent des passagers reconnaissants dans leurs commerces de proximité". Dit autrement, "l’économie du don" appelle le "commerce de la reconnaissance".
La suite de l’article propose une intéressante typologie des modalités de la gratuité :
- "freemium" : concerne les contenus et certains services. Cela consiste à offrir le service (ou le contenu) "de base" et à vendre (si possible assez cher) le service ou les contenus "complets" (la version "premium"). Ce modèle est très courant, notamment dans le champ de l’édition scientifique avec son système de barrière flottante (gratuité des contenus passée une certaine date d’ancienneté), très répandu également dans le domaine de l’offre de services logiciels.
- "Publicité" : inutile d’y revenir. LE modèle du gratuit-financé-par-la-publicité. Une sorte de seconde nature sur le web. Mais on peut également penser aux journaux gratuits. Comme le rappelle Anderson, "Toutes ces approches reposent sur le principe que la gratuité construit des audiences avec des centres d’intérets divers et de besoins exprimés que les publicitaires paieront pour les atteindre."
- "Subventions croisées" : on vous offre un produit (ex : un lecteur DVD) qui vous engagera à en acheter d’autres (des DVD)
- "Coût marginal zéro" : c’est l’exemple de la musique en ligne : entre sa reproduction numérique et sa distribution sur les réseaux peer to peer, le coût marginal est vraiment très proche du zéro absolu.
- "Labor exchange" : quand vous votez pour des articles sur Digg ou sur Yahoo!Answers ou sur tout autre site du même type, vous créez de la valeur pour ces sites ou pour des sites tiers.
- "Économie du don" : mouvement open-source.
Chris Anderson revient ensuite sur cette "économie de l’abondance" qui sert de point d’orgue à l’économie de "l’attention" et à celle de la "réputation". Et de présenter Google comme la parangon (et la banque centrale) de cette économie :
- "Grâce à Google, nous disposons maintenant d’un moyen pratique pour convertir la la réputation (PageRank) en attention (traffic) et en argent (publicités)."Thanks to Google, we now have a handy way to convert from reputation
(PageRank) to attention (traffic) to money (ads). Tout ce que vous pouvez convertir de manière consistante en monnaie, est également une forme de monnaie, et Google joue le rôle d’une banque centrale pour ces nouvelles économies."
Une vidéo postée sur YouTube du même Chris Anderson accompagne l’article.
L’ouvrage de Chris Anderson défendant cette thèse et intitulé "FREE", paraîtra (gratuitement ?) en 2009.
<Update> A compléter par le lecture de ce billet sur les modèles d’affaire du web 2.0 publié sur Internet Actu </Update>
(Source : Nonfiction.fr // Temps de rédaction de ce billet : 1h30)
C’est pour moi le principe essentiel de l’édition en ligne.
1. Il résout le problème du droit (on ne peut pas vendre un fichier qu’on donne par ailleurs).
2. Il résout la question de la taxe exorbitante de 19,6% sur les produits numériques.
3. Il n’empêche pas la valeur du livre. Mais peut-être est-il un peu tôt pour annoncer cela de but en blanc.
4. Si on regarde du côté de la TV française, dont le système s’effondre comme un château de cartes en partie parce qu’on a annoncé la suppression prochaine de la publicité qui la finance, on peut d’ores et déjà réfléchir à des modèles à plusieurs vitesses…
5. Qu’en dites-vous?
Anderson est un conceptualisateur (ce mot existe?) impressionant. Aucune des idées de l’article n’est complètement nouvelle, les économistes connaissant depuis maintentant 5-10 ans les propriétés des biens en réseau, des rendements croissants, des coûts marginaux nuls et des marchés bifaces, mais la manière dont Anderson remet ces principes compliqués dans une perspective synthétique et claire est assez brillante.