Je reproduis ci-dessous un commentaire d’Hervé Le Crosnier, en réponse à ce billet, mais qui me semble très intéressant (et pertinent) pour comprendre quels sont aujourd’hui les grand axes d’analyse qu’il faut mobiliser pour approcher au plus près les logiques à l’oeuvre dans les manoeuvres économiques auxquelles se livrent les géants du web.
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"Ce qui est en jeu est la recomposition des "vecteurs" (les vecteurs sont les entités web "dont le métier principal est d’organiser de grandes banques de données des "intentions" de leurs usagers"), qui sont autre chose que des "web-médias". Certes, l’aspect "web-média", suivant l’expression de Jean-Michel Salaün, est important. C’est la source actuelle des revenus de ces conglomérats. Mais trois autres aspects doivent êtres pris en compte simultanément :
- le "cloud computing" : disposer d’une force de frappe informatique (réseau + serveurs + mémoire + logiciels "as a service") pour offrir des services aux particuliers (dépôts photo, logiciels de productivité,…) et les capter dans l’univers d’un des vecteurs. Attention, on n’est plus dans l’époque des "mainframes", le nombre d’usagers ne se limite pas à des "grappes de terminaux", mais se compte en millions…
- la "modernité calculatoire" : tenter de résoudre tous les problèmes par de calcul. L’exemple achevé est évidemment 23andme et la folie eugéniste que ce projet recouvre, mais on trouve des applications de ce "modèle calculatoire" à bien d’autres activités… dont le calcul de l’appariement (des personnes entre elles – réseau social, des personnes et des publicités, des publicités et des articles, des malades et des traitements)
- le positionnement comme futur "appareil idéologique et administratif" visant à remplacer les divers pouvoirs publics défaillants (pour des raisons qu’il serait trop long de prendre en compte ici). Cela va de la gestion du compte de santé des individus, jusqu’au capacités de créer des banques virtuelles mondialisées (PayPal qui trouve sa niche dans le paradis fiscal du Luxembourg,…). La délivrance des identifiants (openId ayant actuellement le vent en poupe), un rôle régalien auparavant, est maintenant dans la ligne de mire des vecteurs… avec les conséquences sur l’organisation de la vie sociale et politique que l’on peut imaginer (pour les craindre, si l’on est dans la logique européenne, ou les souhaiter si on a biberonné dans la logique anti-fédérale des libertariens étatsuniens).
Ce sont donc quatre axes d’analyse qu’il faut mobiliser simultanément pour comprendre l’évolution du vectorialisme. Avec cet angle de vue, la tectonique ne se limite plus au partage de la manne publicitaire. Et de nouveaux acteurs sont dans la danse, qui ne sont pas (ou pas encore) des "web-médias", mais qui sont déjà des "vecteurs" : géants du service et du logiciel tels adobe ou IBM, compagnies de télécoms qui s’étendent sur toute la chaîne de valeur tels orange, SKT ou NTT, gestionnaires de services en réseau comme Amazon, dont la boutique en ligne est devenue minoritaire dans l’usage de ses serveurs et réseaux (pas encore de ses revenus, mais c’est la perspective de Jeff Bezos).
Il faut préciser cette portée du vectorialisme, lancer des études sur les stratégies des conglomérats (sachant que ces stratégies sont souvent élaborées a posteriori par les béhémots eux-mêmes : le capital n’est pas une "cinquième colonne" avec un plan secret, mais un organisme vivant qui s’adapte et anticipe pour mieux s’adapter…).