Vous vous souvenez de l'AERES et de ses critères de "bien" ou "mal-publiant" ? Vous vous souvenez du projet de décret modifiant le statut des enseignants-chercheurs ? (rappel ici).
Les réformes gouvernementales à l'oeuvre sont un puzzle qu'il n'est pas toujours aisé de déchiffrer. On y perçoit des "intentions", on y devine de potentiels "doubles effets kiss cool", on y lit des desseins politiques affichés. Et puis parfois, deux pièces du puzzle se trouvent appariées et l'on y voit (un peu) plus clair. C'est le cas ce soir avec cet article d'Educpros.
Le sujet : le nouveau mode de financement des universités. L'info : "(…) le principe de base retenu est celui d’une enveloppe de l’Etat à
répartir entre les universités, au prorata de leur activité (80 % des
moyens alloués, masse salariale incluse) et de leur performance 20%". "Activité" et "performance" sont des critères disons … compliqués statistiquement, et difficilement applicables dans le contexte universitaire (surtout la "performance" …). Bref, des critères pour lesquels il va falloir être très attentif aux modalités d'objectivation retenues. Et c'est là que réapparaissent l'AERES et la modification du statut des enseignants-chercheurs.
Deux critères sont listés comme permettant d'évaluer "l'activité" d'une université :
- "Le nombre d’étudiants aux examens (avec la base d’inscrits en 2008)"
- "et le nombre
d’enseignants-chercheurs publiants définis par l’AERES."
Trois critères sont listés comme permettant d'évaluer la "performance" d'une université.
- "la valeur ajoutée de la
réussite en licence," - "le nombre de diplômés en master"
- "la qualité des
unités de recherche évaluée par l’AERES pondérée par le nombre de
publiants."
Donc … Donc l'université est de plus en plus autonome. C'est à dire qu'elle a deux sources de financement : une source qui va augmenter proportionnellement, c'est à dire les sous qu'elle va chercher "avec les dents" (en vendant ou en spéculant sur son patrimoine immobilier par exemple, ou via ses droits d'inscription, autre exemple …), et une source qui va aller en diminuant proportionnellement : l'enveloppe ministérielle. Jusque-là vous me suivez ? Bon.
L'enveloppe de l'activité. Cette enveloppe ministérielle, elle la redistribue comme elle l'entend (ce qui pose notamment de gros gros gros soucis aux IUT, mais pas qu'à eux …). Mais cette enveloppe ministérielle (en plus de diminuer proportionnellement dans le financement global), peut également diminuer de deux autres manières. Elle peut diminuer selon l'activité de l'université : ce n'est pas complètement aberrant si l'on prend en considération le premier critère – nombre d'étudiants aux examens – on ne finance pas autant une fac avec 20 000 étudiants qu'une fac avec 200 000 étudiants. Sur le second critère ("nbre d'enseignants chercheurs publiants"), cela ne paraît pas aberrant non plus, en tout cas sur le principe. Mais seulement sur le principe. Parce que quand on regarde comment l'AERES a défini ses critères de publication, et quand on regarde en même temps le projet de modification du statut des enseignants-chercheurs, ce qu'on voit se profiler à l'horizon, c'est le cercle vicieux de "l'argent qui attire l'argent", ou pour le dire autrement, du "publiant qui attire le publiant". En gros, une université aura tout intérêt à augmenter le nombre de ses "publiants" si elle veut avoir une bonne enveloppe, mais tout en conservant le volume horaire global d'enseignement (parce que la loi l'y oblige). Pour y parvenir, elle pourra mieux payer les publiants (possibilité de nouer des contrats de droit privé dans le cadre de l'autonomie), et/ou leur garantir une activité de recherche "de grande qualité", et pendant ce temps (pour maintenir sa dotation horaire globale d'enseignement), faire trimer les mal-publiants en leur refilant toutes les heures de cours enlevées aux premiers (les publiants). Vous me suivez toujours ? Bon.
L'enveloppe de la performance. Cette enveloppe (20% de l'enveloppe totale) peut être également amputée. Critère numéro 1 de la performance : ""la valeur ajoutée de la
réussite en licence," comprenez donc, la réussite en licence. Ce n'est pas une surprise et c'est même une bonne chose (vous voyez, ça m'arrive d'être d'accord avec Valérie :-). A condition bien sûr, de se donner les moyens de cette ambition de réussite. Et là … Deuxième critère : "le nombre de diplômés en Master". Je ne sais pas pour vous, mais pour moi cela fait très fortement écho au projet de mastérisation des profs du camarade Darcos. A mon avis, va y avoir des batailles rangées dans la course à l'université qui aura masterisé le plus de profs en un minimum de temps. Et puis troisième critère : "la qualité des
unités de recherche évaluée par l’AERES pondérée par le nombre de
publiants." Hop. On en remet une deuxième couche ("nombre de publiants") au cas où la première n'aurait pas suffit. Et là encore, "on ne prête qu'aux riches" : il va de soi que les unités de recherche les mieux évaluées par l'AERES seront celles qui auront le plus grand nombre de publiants, et ainsi de suite.
Conclusion ? Conclusion, sur le papier, le nouveau mode de financement des universités est un pur chef d'oeuvre. A part un dangereux gauchiste saboteur de train et leader d'opinion, qui, je vous le demande, qui pourrait trouver à redire au fait qu'avant de filer de l'argent (du contribuable) à ces fainéants et nantis d'enseignants-chercheurs on va leur demander des comptes sur leur performance et sur leur activité ? Qui ? Personne. Qui va pouvoir trouver un truc à redire au fait que l'essentiel des variables mesurant la performance et l'activité sont des variables statistiques classiques (nombre de diplômés, nombre de masters, etc …) ? Personne. Un pur chef d'oeuvre vous dis-je. Je voie d'ici Jean-Pierre Pernaud, le corps secoué d'orgasmes multiples, annoncer la nouvelle au JT, entre un reportage sur les saboteurs de l'ultra gauche et le fromage de chèvre aveyronnais.
Sauf que. Sauf que ce que l'on attendait d'un nouveau mode de financement, c'était la possibilité de se projeter sur le long terme, ou même simplement sur le moyen terme. Là on est clairement sur le court terme. Rappelons que sur 81 universités que compte le pays, 20 vont bénéficier dès Janvier 2009 de ces fameuses "compétences élargies". Et là va falloir m'expliquer comment certaines des variables retenues pas le ministère pour ses indicateurs de performance et d'activité vont pouvoir être mises en place (vu que lesdits indicateurs ne sont pas encore construits, où l'ont été dans une précipitation et un désordre absolu). Mais quand bien même. Admettons que les indicateurs et les variables soient déjà construits, admettons que l'on ait le recul suffisant pour les évaluer.
Ce que l'on attendait de ce nouveau mode de financement c'était la possibilité d'un rééquilibrage. Parce qu'il faudrait être aveugle et sourd pour ne pas voir qu'aujourd'hui en France, il y a des universités ou des filières d'excellence, et il y a des universités ou des filières poubelles. Mais on sait également que lesdites universités et filières, poubelles ou d'excellence, ne le sont pas i-n-t-r-i-n-s-è-q-u-e-m-e-n-t, ne le sont pas, "par nature". Elles le sont s-t-r-u-c-t-u-r-e-l-l-e-m-e-n-t. Soit parce qu'on continue de recruter à l'aveugle des étudiants pour des filières "à concours" (sciences humaines principalement) sans que le gouvernement ne soit fichu de donner un plan pluri-annuel de création (ou de non-création) de postes, ce qui permettrait d'ajuster le nombre "d'entrants" avec le potentiel de "sortants". Soit – et surtout – parce qu'elle sont dramatiquement déficitaires en termes de taux d'encadrement et/ou de taux d'équipement (c'est la si vieille mais si réelle caricature de la fac avec un salle de 10 ordinateurs pour 5000 étudiants).
Alors oui, on attendait un rééquilibrage possible.
Alors oui on attendait une nouvelle chance offerte à chacune (des universités) de pouvoir s'aligner sur des taux d'équipement et d'encadrement minimaux.
Alors oui, on attendait que soit validée la complémentarité entre enseignement ET recherche. Parce qu'il y a dans nos universités quelques prix nobel (bons enseignants et bons chercheurs) et parce qu'il y a dans nos universités quelques buses (mauvais enseignants et mauvais chercheurs). Et parce qu'entre les deux il y a une majorité de personnes qui trouvent dans leur enseignement une praxis de leur recherche, et dans leur recherche un horizon de leur enseignement. Et parce que c'est pour cette majorité là qu'il fallait proposer des solutions (étant entendu que les prix nobel resteront toujours des prix nobels et que la plupart des buses, resteront également … des buses).
Au lieu de cela, nous avons avec le nouveau plan de financement Pécresse l'annonce programmée d'un accroissement gigantesque des inégalités qualitatives et quantitatives entre universités, et au sein même des universités, entre enseignement et recherche, entre enseignants et chercheurs. L'autre coup de génie du gouvernement, c'est de toucher à tout (statuts, moyens, dotations, filières), pour toutes les catégories de presonnel (IATOSS, enseignants chercheurs, enseignants – cf la masterisation des profs), toucher à tout donc, et d'un coup. Une authentique parangon de méthodique déconstruction. Multiplier les fronts, pour éviter les affronts. "Eparpiller façon puzzle".
Tout cela pour dire que je serai en grève Jeudi 27 Novembre. Pas pour sauver le CNRS. Pas même pour sauver les sciences humaines et sociales. Mais juste pour défendre un métier, le mien, et l'idée que je me fais de ce métier. Juste pour défendre le droit du plus grand nombre à pouvoir disposer d'un enseignement de qualité dans le plus grand nombre d'universités possibles, et si possible à un moindre coût. Et après, peut-être que j'irai faire péter des cataineres.
Post-Scriptum anti-trolls : je suis "pour" l'évaluation des enseignants-chercheurs (et de toute façon en cherchant bien, je dois arriver à entrer au chausse-pied dans les critères de l'AERES). Et je suis aussi "pour" une refonte structurelle de l'université. Mais pas pour celles-là, pas de cette façon là.
(Temps de rédaction de ce billet : 1h20)
Un article sur la surenchère en matière de publication scientifique : http://www.courrierinternational.com/article.asp?obj_id=91683
Merci du travail d’analyse que tu fais!
Ce scénario ressemble quelque peu à ce qui se passe au Québec. Il est de notoriété publique que l’état des finances des universités québecoises (du moins celles que je connais) sont assez désastreuses. L’exemple des projets immobiliers spéculatifs s’illustre en l’Université du Québec à Montréal qui actuellement est dans une impasse financière. À moindre échelle, l’université de Montréal a aussi fait de mauvaises affaires immobilières et doit commencer d’en vendre une partie. L’autre exemple, c’est-à-dire la dépendance des universités aux critères de performance, n’est que plus vrai. Les professeurs qui n’ont pas eu de bourses de recherche auprès de grands organismes subventionaires se retrouvent avec de grosses charges d’enseignement et des tâches administratives. Les semaines s’allongent…en nuits, en matins, en fin de semaine, en période de congés…Évidemment, c’est aussi en partie un choix d’embrasser la carrière d’enseignant-chercheur, et je ne dis pas qu’on peut y consacrer seulement 40h semaine. Il y a tout de même le marché de la publication, qui est tel qu’il constitue un domaine de critères de performance et de l’activité d’une université. Et il est vrai que si les universités canadiennes veulent exister à côté des universités américaines…Par ailleurs, cela peut créer une certaine motivation à publier, peut-être, je ne sais pas.
Enfin, les frais d’inscriptions qui augmentent crée un double malaise : chez les étudiants, et chez les professeurs qui se plaignent d’un certain clientélisme de la part des étudiants.
Il y a certainement des mesures à prendre du côté des universités, mais avant d’appliquer des recettes toute faite venue d’outre-atlantique, il faut peut-être faire un effort d’imagination en tenant compte de la situation locale, de l’histoire, de la culture.
En même temps, j’aimerai souligner le fait que le système de financement des universités ici permet l’octroi de bourses à des étudiants de doctorat, permet à ces mêmes étudiants (et ceux de maîtrise) de travailler en tant qu’auxiliaire d’enseignement et de recherche. Ce sont des sources de financement bien appréciables ne rendant pas le doctorant tributaire d’une nécessaire convention CIFRE ou autre bourse d’état/régionale. En effet, en France j’avais trouvé un laboratoire de recherche tout à fait enclin à me prendre sous l’unique – et pas des moindres – condition que je puisse apporter la preuve d’un financement des trois années de doctorat (sachant que pour la plupart des bourses il y a un âge limite de 25 ans). Ici, non.
Avantages et inconvénients.
Concernant les critères, il n’est pas expliquer comment ils vont pondérer le rythme de publication suivant les domaines scientifiques, c’est embêtant quand on pense rien qu’aux études qualitatives qui spécifiquement sont plus longues que des études quantitatives. Ce n’est qu’une considération parmi tant d’autres.
Bon courage.