Médiatisation du mouvement universitaire.

Que retenir d’un débat sur « la médiatisation du mouvement universitaire » réunissant des universitaires (Valérie Robert – porte-parole SLU, Cyril Lemieux, Sophie Pène et moi-même) et des journalistes (Jade Lindgaard de Mediapart, Sylvestre Huet de Libération, Luc Cédelle du Monde et Ixchel Delaporte de l’Humanité) ? 

Au moins 3 conceptions du journaliste, sinon du journalisme. Ou à tout le moins du journalis(m/t)e d’opinion. Soit dit en passant, je ne livre ici qu’un point de vue subjectif sur « ma » perception du débat, lequel point de vue est donc à ranger dans la catégorie « billet d’opinion », n’allez pas en tirer de généralisations hâtives.
Commençons par une petite digression. Je me suis biberonné ces dernières semaines aux émissions « arrêt sur images » et « ligne jaune », deux émissions dans la dernière livraison desquelles pointait notamment le débat et l’éternelle question du journalisme d’opinion et/ou de la neutralité/objectivité de la presse, lesquelles émissions ont (peut-être …) très légèrement conditionné ma perception de ce débat.

Mais revenons au débat
et évacuons (pardon pour eux) d’entrée l’Humanité. La posture était claire : il s’agit bien de presse d’opinion, laquelle presse est là pour « accompagner le mouvement ». Certes en se basant sur du factuel, mais dans une logique d’accompagnement desdits faits qui ne cherche pas à masquer sa coloration idéologique.
Deuxième cas : celui de Médiapart avec la vivifiante et acérée prestation de Jade Lindgaard. Nous sommes là dans un journalisme d’investigation en train de chercher sa place dans la jungle de l’internet (spéciale dédicace à Frédéric Lefevre). Ici encore la posture fut claire : Mediapart ne se présente pas comme un journal d’opinion, il se veut un journal d’analyse et d’investigation (sans pour autant cacher son opinion …) et il se donne les moyens d’investiger et d’analyser, notamment grâce aux formats (longs) que permet le web et qu’interdit la presse papier.

"Fabriquer l'opinion."

Troisième cas, celui du Monde, représenté ce jour par Luc Cédelle. Notons d’abord que dans le contexte de guerre déclarée entre le Monde et les acteurs du mouvement universitaire, la présence de Luc Cédelle était courageuse, la salle ne lui étant pas entièrement acquise d’avance (euphémisme).
Quatrième cas, LE cas du journaliste blogueur, Sylvestre Huet, qui dans Libé papier est soumis aux contraintes (nombre de signes) et au calendrier de l’actu (ce qui explique que les dossiers fouillés sur le mouvement qu’il a, selon ses dires, moultes fois proposé à Libération n’ont jamais été acceptés ("y’a d’autres actus coco"), et qui dans son blog peut donner libre cours à son journalisme d’opinion assumé. Sylvestre Huet ne s’est pas caché – même s’il ne l’a pas dit comme cela – de chercher à "fabriquer l’opinion." Une fabrique de l’opinion qui n’apparaît pas comme de la manipulation (et ne saurait y être assimilée) dans la mesure où elle qui repose sur deux assises :

  • le devoir d’examiner les faits ("les faits sont têtus") et de démonter les mensonges (y compris et surtout ministériels / étatiques / industriels) quand mensonge il y a (il prit l’exemple de la masterisation censée augmenter à 5 ans la durée d’études qui faisaient déjà … 5 ans …),
  • et la connaissance fine et ancienne du dossier (« l’université ») et de ses acteurs (qu’ils soient ministres, directeurs de cabinet ou leaders syndicaux ou associatifs). 

La perspective diachronique dans laquelle s’inscrit la pratique de Sylvestre Huet lui donne légitimité (et arguments) pour développer son argumentaire, chacun demeurant naturellement libre d’y adhérer ou non, de le lire ou non, et de ne pas en être ni le dupe ni le candide (Sylvestre Huet n'est pas journaliste à Valeurs Actuelles)

Du "off" qui a valeur de "in".
Si l’on n’a pas appris de scoops, certains des présents ont tout de même fait part d’informations « off » assez croustillantes. Ah ben non, je ne vais pas à mon tour vous les révéler, z’aviez qu’à être là :-) Nous avons en tout cas eu plusieurs confirmations transmises comme autant de préoccupants témoignages :

  • dans toutes les rédactions dont le nombre de lecteur en fait un potentiel relai d’opinion, les pressions ministérielles sont bel et bien là, à proportion directe du nombre de lecteurs. Qu’on les appelle "pressions", "tentatives de séduction" ou "déjeuners discussion au ministère" l’exercice de flirt avec le 4ème pouvoir est bel et bien avéré dans le cas de Libé ou du Monde. Dans les deux rédactions desquels journaux on trouve des journalistes qui résistent plus ou moins bien aux "déjeuners discussions" ou aux "pressions" …
  • ce qui est en train d’arriver aux universités relève bien d’une stratégie gouvernementale pensée. Le fait de laisser pourrir le mouvement jusqu’à la date des examens relève du seul opportunisme de situation, en revanche, la volonté de remodeler l’université selon une ligne idéologique préétablie est, de l’aveu même de l’ensemble des journaliste présents (sauf Luc Cédelle), avérée. 
  • comme est avérée la stratégie média de l’élysée qui consiste à faire de l’agenda présidentiel et/ou ministériel une redoutable arme de désinformation massive en multipliant les points de rendez-vous pour mieux contrôler la temporalité médiatique et la couverture qui va avec.  Ce n’est certes pas nouveau (ni spécifique du Sarkozysme) mais c’est la première fois que cela apparaît avec autant de netteté, et de manière si clairement réfléchie. 
  • La puissance des rédac-chefs s/c patrons de presse est considérable. Là non plus ce n’est pas une surprise mais OUI il y a bien une ligne de démarcation entre ce que l’on choisit de toute façon de ne pas couvrir (exemple donné du mouvement dans les IUT sur le ton du « on laisse ça à la PQR), et ce que l’on choisit de couvrir. Reste le « comment » le couvre-t-on. Ce qui nous amène au point suivant. 
  • pour couvrir journalistiquement et correctement une actualité il faut un peu de temps (le temps de connaître des dossiers parfois compliqués comme l’est celui de l’université) et les moyens humains de le faire. Or la situation décrite par TOUS les journalistes présents fut celle de rédactions dans lesquelles on se retrouve au mieux à deux et le plus souvent tout seul pour « couvrir » donc un dossier qui s’étend – par exemple – de la maternelle à l’université. Le sentiment d’un journalisme "sous-informé", d’un "journalisme de communiqué de presse", d’un "journalisme de compte-rendu de manif", d’un "journalisme de micro-trottoir" vient principalement du manque criant de personnel (et donc de temps et donc de moyens) de l’ensemble des grandes ou toutes petites rédactions. Ajoutez à cela le cloisonnement intrinsèque aux mêmes rédactions, la mutation profonde qu’est en train de vivre le métier de journaliste en particulier et la presse en général et vous aurez une idée assez juste de la frustration que ressentent aussi bien ceux qui fabriquent l’information que ceux qui la lisent.

Je l’ai déjà dit, la position de Luc Cédelle (Le Monde) n’était pas très confortable et sa présence courageuse ("relativement" courageuse étant entendu que l’on n’a encore jamais vu un universitaire en venir aux mains avec un journaliste en plein colloque). Mais – là encore de mon très subjectif point de vue – Luc Cédelle s’est très mal défendu et a du même coup très mal défendu "son" journal. A sa décharge on a bien vu et compris qu’il ne maîtrisait pas tout le dossier (certes pour des questions de temps et d’actualité mais également tout de même un peu de son propre fait, tant il est vrai que nonobstant le manque de temps, de personnel et l'agitation présidentielle, les journalistes sont tout de même un peu payés précisément pour prendre le temps de maîtriser les dossiers qu'ils traitent, si compliqués soient-ils …). Comme on a également vu que le journalisme d’opinion du Monde était … comment dire … disons … nettement plus vérouillé que celui des autres journaux présents. Pour le dire autrement, ce n’est pas parce que le Monde était le « journal de référence » des universitaires qu’il n'était pas également (et peut-être davantage) celui d’autres catégories socio-professionnelles également capables de mettre un bulletin dans l’urne.
Autre fait troublant (de mon point de vue), à charge cette fois : lorsqu’il fut interpellé précisément sur les manquements journalistiques du Monde (et de sa personne donc) dans cette affaire, lesquels manquement répétés donnèrent lieu à l’opération de Boycott, je m’attendais à ce que Luc Cédelle fasse a minima la réponse aussi formelle que polie selon laquelle « oui bon d’accord ils avaient bien senti qu’il y avait un malaise, que ce malaise n’était pas vaguement diffus ou seulement motivé par le fait que les universitaires aimeraient que le traitement du Monde ressemble davantage à celui de l’Humanité, et que donc du coup ils avaient – a minima – fait un bref examen de conscience, et essayé de voir où et en quoi ils avaient manqué quelque chose. » Mais à ma grande surprise il n’en fut rien. Luc Cédelle en restant à la seul dimension du pathos : pathos (par ailleurs tout à fait légitime) de son ressenti suite à sa mise en cause dans cette affaire, et pathos d’un mouvement qui – je schématise à peine – avait décidé de « se payer » le Monde parce que le Monde n’avait pas épousé la ligne stricte de ses revendications. Oui mais … Oui mais aucune réponse précise aux accusations précises. Oui mais pas le moindre début de certitude ébranlée. Oui mais (sur l’exemple du mensonge de la masterisation donnant "une année d’étude de plus", que Sylvère Huet qualifia de « mensonge factuel qu’il était du devoir de tout journaliste de démonter et de pointer jusqu’à ce qu’il s’effondre de lui-même), oui mais sur le mensonge de la masterisation donc, un embrouillamini confus (« oui mais c’est plus compliqué que ça, oui mais y’a d’autres paramètres, oui mais c’est un dossier super-compliqué ») embrouillamini qui finit par ressembler à un communiqué ministériel.

Crise de la représentation journalistique : mort du journalisme de représentation et avènement du journalisme de prescription.
Il est une certaine approche du journalisme dont il me semble qu’elle est (en partie) à l’origine de la crise profonde de la presse actuelle : par manque de temps, par manque de moyens, par le diktat gouvernemental organisé du calendrier des réformes, par le format qui fait qu’on n’a pas le temps d‘en faire plus, par les pressions ou à tout le moins collusions évidentes qui existent dans les grandes entreprises de presse dont les patrons ne sont pas nécessairement les plus grands ennemis du gouvernement en place, par cet ensemble de phénomènes s’explique non pas la crise du journalisme mais bel et bien la crise de la représentation journalistique. Et je crains fort que le Monde n’en sorte pas. Ou plus exactement qu'il n'en sorte définitivement transformé. J’ai par contre toute confiance dans ce que l’on nomme aujourd’hui les médias « alternatifs » de type Mediapart ou dans les médias « engagés et d’opinion assumée » de type l’Humanité (nonobstant les difficulté financières réelles qu’ils rencontrent et qui mettent leur existence en péril à court terme – ABONNEZ-vous a Médiapart et à l’Humanité), j’ai tout confiance disais-je dans ces deux derniers types de médias, non pas sur la base d'une proximité idéologique avec mes propres opinions, mais bien plutôt car ils épousent (ou sont prêts à épouser) les nouvelles formes de la représentation et de la couverture journalistique, tant sur le plan du format que sur le plan de l’empathie validée par une analyse factuelle, et parce qu'ils présentent le notable et salutaire avantage de faire du journalisme d’opinion et/ou d’investigation détaché de la main mise des grands influences économico-industrielles.

J’allais oublier,
on a appris – tout de même – que l’essentiel de la réflexion menée aujourd’hui au sein du ministère (propos « off ») était de désormais gérer la crise suivante : « Examens : qui est responsable ». Là encore la stratégie de communication est limpide (mais elle fut explicitement confirmée) : maintenant que le mouvement a bien pourri, maintenant que le situation est clairement insoluble pour la tenue des examens « normaux » dans certaines facs, maintenant que l’on sait que des étudiants n’auront pas leur année ou n’auront en tout cas pas une année « normalement validée », l’essentiel de la stratégie présidentielle est de désigner trouver des responsables ET DE NE SURTOUT PAS ETRE MIS EN SITUATION DE RESPONSABILITE DEVANT CE GACHIS, gâchis qui résulte tout de même d’une gestion de la crise oscillant entre atermoiements voulus et incompétence crasse.  Le pacte est ainsi scellé : si le gouvernement parvient à faire passer dans l’opinion (et donc dans les médias) l’idée que ce sont les enseignants-chercheurs ou quelques factions d’ultra-gauche, ou quelques présidents illuminés (l’article du Figaro sur Georges Molinié est à ce titre aussi instructif que calomnieux) qui sont SEULS responsables de l’échec d’une partie de l’année universitaire, le combat de l’opinion (le seul qui importe pour ce gouvernement, est-il nécessaire de le rappeler …), le combat de l’opinion sera définitivement gagné.

La crise de l'université française ? Encore plus compliquée que la crise boursière mondiale !

Ce fut un autre point important du débat : déterminer l’origine d’une telle couverture
médiatique (d’autant plus catastrophique que le média touche une
audience d’autant plus grande). Du côté de l’ENSEMBLE des journalistes
présents, revint comme l’alpha et l’oméga l’affirmation de la
"complexité" du mouvement et des revendications portées. "Complexité"
accrue par le manque de temps et de moyens déjà évoqué. Diable. Ce
mouvement est-il si compliqué que ça ?? La crise des subprimes
n’est-elle pas autrement plus compliquée à circonscrire et à traiter, à
vulgariser ? Cette prétendue complexité m’est apparue d’autant plus
étrange qu’elle ne semble plus être de mise pour une réforme pourtant
semblable et (au moins) aussi complexe, celle de l’hôpital public et de la loi
HPST. Oui mais avec l’hôpital on est dans le monde des soignants
(empathie acquise) et dans le monde de l’immédiat (« la santé c’est
tout de suite, le savoir c’est pour plus tard » fit justement remarquer Ixchel Delaporte ). Bien sur il y eut quelques dossiers
« compliqués », y compris pour les acteurs mêmes du mouvement, mais là
n’est pas à mon avis l’origine de la couverture de ce mouvement. Voici mes hypothèses :

  • Primo : violence symbolique. Dès le départ du mouvement (février 2009
    pour les universités) on est en pleine crise boursière mondiale. Au
    moment où l’ensemble de ce que le pays compte comme cadres, comme
    ouvriers et comme salariés angoisse à l’idée de perdre son emploi et
    de ne plus avoir de patron, au moment où l’ensemble du pays n’aspire
    qu’à avoir un patron (et donc un emploi), voici une bande de
    doux-dingues à qui on propose d’avoir un patron et qui n’en veulent
    pas !!! La réalité est – vous l’aurez compris – évidemment tout autre,
    mais c’est sur cette caricature initiale entretenue des revendications
    que va se mettre en œuvre la violence symbolique qui discréditera
    durablement dans l’opinion notre mouvement et contre laquelle il ne
    sera pas trop de plusieurs mois et plusieurs actions également
    symboliques (lectures de la princesse de Clèves ou ronde des obstinés)
    pour arriver à reconquérir un peu de considération. Il suffira ensuite
    que quelques fabricants d’opinion ou autres vendeurs de temps de
    cerveau disponible prennent le relai médiatique pour que le mal soit
    presqu’irrémédiablement fait. En l’occurrence, le valeureux Christophe
    Barbier avec son édito d’anthologie sur LCI
    sera le passe-plat idéal.
  • Deuxio : Deux ans de retard. La LRU a été votée il y a deux ans. Votée
    à l’époque comme une coquille presque vide, pleine de bonnes intentions
    (autonomie, autonomie, qui pourrait être contre l’autonomie), mais vide
    de ses décrets d’application. Les étudiants furent à l’époque beaucoup
    mieux inspirés que nous en entrant à ce moment là dans un mouvement de
    contestation, hélas non-suivi par les personnels.  Là encore, le
    discours médiatique put ronronner en paix : "Quoi ? Voici des gens qui
    – en plus de ne pas vouloir de patron et de n’avoir de comptes à rendre
    à personne – n’ont rien dit lorsqu’il y a deux ans on fit voter la loi
    sur l’autonomie, et qui  se réveillent avec 2 ans de retard (sous
    entendu au moment où on touche à leur statut de fonctionnaire) !" Il n’en
    fallait pas plus. Pour les médias-fabriquants-d'opinion, on avait donc : une lutte
    corporatiste (« mes privilèges, mes privlèges ») et anachronique
    (fallait se réveiller y’a deux ans). Une lutte à rebours de l’intérêt
    général (« c’est la crise partout, des gens perdent leur emploi et eux
    ils refusent de travailler quelques heures de plus et d’être
    évalués »). Voilà le corps social symbolique construit. Il ne restera qu’à
    le décliner sous un angle ou sous un autre, qu’à jouer habilement sur
    la profusion des communiqués contradictoires et opacifiants pour que
    l’opinion décroche définitivement de ce combat, et – deuxième étape de
    la stratégie – pour qu’elle l’assimile à un déni des problèmes de
    "l’autre" corps social, celui que circonscrit la crise financière
    mondiale, le corps social idéalisé et empathique de "ceux qui sont évalués tout le temps", de "ceux qui ont un patron et ont peur de le perdre", le corps social de "ceux qui aimeraient bien être plus autonomes".

(Temps de rédaction de cette partie du billet : 2h, dans le train me ramenant de ladite conférence)

Voici maintenant quelques réflexions que je n’ai pas eu le temps de livrer aux participants et dont je vous laisse ici tout à trac la trace.
Presse et fac : même combat !
A regarder et à entendre les orateurs à la tribune, et à réfléchir depuis déjà quelques semaines à la question de la médiatisation du mouvement, il m’est apparu comme une évidence la gémellité de ces deux « institutions » que sont la presse d’une part et les universités d’autre part. Une gémellité scellée par une même crise :

  • crise du modèle économique (les universités doivent devenir rentables, la presse doit le re-devenir),
  • crise des publics (lectorat et étudiants, avec une cassure depuis en plus nette entre la presse et l’université des héritiers – au sens de Bourdieu – et la presse et l’université des déshérités – au sens habituel …),
  • crise des autorités (l’une et l’autre sont à la recherche de nouveaux fondements, de nouveaux rôles sociaux leur permettant de relégitimer leur autorité ou de l’asseoir sur de nouvelles bases),
  • crise de la réformite et du monde qui va trop vite (évolution des supports, des usages, des modèles économiques mais aussi – et peut-être surtout ? – des ATTENTES),
  • enfin et surtout crise symbolique, crise de l’indépendance qui peine à se décliner dans une identité perdue ou à rebâtir et dans une crédibilité étrillée par les incessant coups de boutoir des susmentionnées réformes et par les errances de positionnement (et parfois aussi l'apathie) des personnels soumis à ces réformes. 

Le tout, CQFD, débouchant très logiquement :

  • pour l’université, sur une crise du diplôme en tant que monnaie de la reconnaissance sociale,
  • et pour la presse sur une crise parfaitement symétrique, une crise du label, de la labellisation en tant que monnaie garantissant les conditions de son propre échange, de sa propre expansion, de ses propres pratiques (label « presse indépendante », label « presse d’opinion », label …).

Le blog de Sylvestre contre Monsieur Sylvestre.
Cette "formule" résume à elle seule l'affrontement qui opposa ces deux soeurs pourtant jumelles que sont la presse et l'université. A force d'osciller entre des journaux doctrinaires et/ou de conviction (que ces convictions et/ou doctrines soient de gauche ou de droite), à force de savoir d'avance ce qui y serait écrit, c'est à dire la sympathie d'une certaine presse contre l'antipahie d'une autre, le monde universitaire finit par mettre tous ces espoirs dans une possible empathie du "journal de référence". Il est probable que les espoirs du monde universitaire eurent été moins déçus si ledit monde universitaire avait lu plus souvent les contenu des pages "économie" du Monde, sans se limiter au supplément Livre … Le cercle vicieux suivant se mit alors en place :

  • la superficialité dans le traitement …
  • appela le (la) mépris(e) dans la compréhension …
  • qui appela la radicalité du contre-discours …
  • qui appela le traitement caricatural du contre-discours …
  • qui appela …

Les autorités contre les autorisés : chronique d'une double déconstruction.
On observa ici un glissement. La presse et l'université se partagèrent longtemps la figure de "l'autorité". Laquelle figure était également l'instanciation de celle d'un discours "autorisé". La construction et le maintien des autorités occupa dans ce conflit l'essentiel de la ligne de front. Côté universitaire, la reconstruction de ces autorités mises à mal par le discrédit de leur corps social d'appartenance se fît au travers de trois moyens principaux :

  • l'affirmation d'une expertise fédérant au-delà des clivages idéologiques (les analyses d'Olivier Beaud sur le décret enseignant-chercheur en sont l'exemple frappant)
  • le leadership que confère (temporairement) ce type d'expertise ainsi que le leadership symbolique qui vient le compléter et prendre son relai dans les médias (ronde des obtinés, lectures de la preincesse de Clèves)
  • le "first-mover advantage", l'initiative au premier mouvement (avec l'exemple type de l'opération de boycott du Monde, également dite controverse de Valluydollid)

Cette reconstruction des autorités, cette reconquête de nature identitaire d'une autorité qui lui avait été en partie confisquée par la presse, fit face à une déconstruction parallèle des "autorisés" (au sens de "discours autorisés"), discours autorisés dont la presse fut symboliquement chargée. Pour le dire autrement (et peut-être plus simplement …) : au cours du XXème siècle, la presse avait confisqué à l'université son "autorité" au motif que cette dernière – l'université – se retranchait derrière un privilège du "discours autorisé". Dans ce conflit, l'université se chargea et s'efforça d'inverser la machine : reprendre à la presse son autorité – supposée mal-acquise – au motif que cette dernière (la presse) incarnait aujourd'hui le monopole des discours autorisés.

Quant au reste de mon intervention, j'ai dit ici en 24 minutes ce que j'avais écrit ici en un certain nombre d'heures. L'album photo de la journée est par là.

3 commentaires pour “Médiatisation du mouvement universitaire.

  1. Il curieux que personne ne parle jamais (ou plutot disons que je n’ai pas eu beaucoup de chances dans mes recherches sur le web) de l’ANR: comment désolidariser les personnels et leur faire croire qu’ils s’en sortiront mieux que les collègues du bureau d’en face…

  2. Frères jumeaux… vous oubliez tous les autres. J’ai été consterné que mes collègues soient si peu nombreux au rassemblement du 1er mai, qui fut l’occasion aux employés du privé (jumeaux itou) de montrer leur refus des réformes (qui n’en sont pas car il s’agit d’une continuité logique d’un système en cours d’installation : relire les consignes de l’OCDE sur leur site). Bref si je dois recommencer à lutter, je le ferai avec mes jumeaux et non qu’avec mes collègues. Là j’attends des syndicas et des associations de nous aider à nous unir. Faire bloc et front pour un parlement aux aboies comme en 1936. J’ai des jumeaux qui n’ont plus rien à perdre et nous nous devons de nous défendre et de les défendre aussi. Merci pour tout. Bonne journée

  3. Bonjour,
    C’est Luc Cédelle. Je n’avais pas vu, depuis le débat, votre compte-rendu, dont je ne sors pas précisément couvert de gloire.
    Oui… Je retiens surtout qu’il faudra nous habituer (nous, les journalistes « autorisés ») à supporter comme une chose normale, banale, routinière un flot continu de critiques vachardes auxquelles toute réponse de notre part sera qualifiée de « pathos » (j’adore… comme par hasard, le « pathos » est toujours de notre côté). Sérieusement, je pense qu’il nous faudra à la fois le supporter stoïquement et y répondre, ce qui peut paraître contradictoire, ce qui l’est dans une certaine mesure mais devra pourtant être concilié. Nous sommes effectivement dans la presse traditionnelle, votre parallèle avec l’université à ce sujet m’a intéressé, dans le cadre d’un magistère qui nous est aujourd’hui contesté et d’une légitimité à reconquérir.
    J’ai omis de formuler, dites-vous, « des réponses précises à reproches précis ». On m’a déjà dit ça, notamment l’Acrimed dont la spécialité est de délivrer trois reproches par ligne. Contrairement à ce que vous avancez, Le Monde n’a pas essuyé de reproches « précis », auxquels il nous aurait été possible de répondre point par point, mais une vague de reproches flous, tous azimuts et tous dossiers (universitaires) confondus sur le thème général de notre prétendue servilité envers la communication ministérielle.
    Cela veut dire notamment que si j’isole un reproche parmi la mer des reproches, on me… reproche aussitôt ce choix arbitraire et réducteur. Ou bien, dans le meilleur des cas, on accuse réception de ma réponse… sur 1% des reproches. Concernant mes propres articles (car il ne semble pas vous venir à l’idée que, n’étant pas Le Monde à moi tout seul, je puisse éprouver une gêne à répondre quand il s’agit d’autres articles), le reproche le plus fort et le plus précis qui m’a été adressé est sur l’article consacré au « buzz », dans lequel je citais la suppression (future) des concours d’enseignement parmi les « rumeurs ». Je maintiens, et cela n’a rien à voir avec une quelconque arrogance de ma part, que ce projet n’existe pas. Je le maintiens après avoir enquêté à ce sujet depuis que cette rumeur est apparue pour la première fois, c’est à dire depuis la rentrée 2007, et n’avoir jamais cessé, depuis, de suivre ce dossier, lié à celui de la mastérisation.
    En fonction d’une analyse prospective faite par certains universitaires et reposant sur une série d’hypothèses, la mastérisation peut être considérée à moyen terme comme un « risque » pour la pérennité des concours comme voie normale de recrutement des enseignants.
    Cette analyse n’est pas partagée par tous, en particulier elle n’est pas partagée par les syndicats d’enseignants. Surtout, un « risque » ne constitue pas un projet. C’est la même différence qu’entre une alerte au cyclone et une thèse concluant à l’augmentation dans les années à venir du risque cyclonique.
    Concernant la mastérisation, je trouve un peu odieuse votre relation du débat (mais il faudra que je m’habitue…): quand je dis que c’est compliqué, ce n’est pas une excuse vaseuse à mon manque de travail ou à mon inexpérience sur le sujet comme vous le suggérez. C’est compliqué, je le répète, même pour les gens les plus directement impliqués dans le dossier. Et quand je récuse l’argument de Huet sur le « mensonge factuel » de la « fausse » augmentation de la durée d’études, je me demande bien pourquoi, au fond, vous faites plus crédit à son affirmation qu’à la mienne. Oui, il y a bien hausse du niveau de recrutement: non, ce n’est pas – au moins sur ce point précis – un « mensonge ministériel ». Non, je n’en arrive pas à cette conclusion seulement après avoir poliment posé la question au ministère, mais après des années de suivi de cette question (j’ai couvert en détail toutes les réformes sucessives des IUFM) et après avoir une nouvelle fois vérifié (l’aplomb de Huet au débat m’avait troublé) mon information auprès… de l’un des principaux animateurs de la coordination nationale de la formation des enseignants! Animateurs que je connais personnellement, avec qui je suis régulièrement en contact et qui sont pour certains mes interlocuteurs depuis des années sur une quantité de sujets. Voilà qui ne correspond guère aux caricatures que vous avalisez sans aucune distance critique.
    Vous dites que je me suis mal défendu, que j’ai mal défendu mon journal… Vexant, mais, ma foi, possible… Encore une fois, il faudra nous habituer. Nous habituer à être vexés, nous habituer à ce que des gens prennent un plaisir visible à nous dévaloriser, à nous disqualifier en tant que témoins et producteurs d’informations. Je pense que même si j’avais été un prodige d’éloquence, vous ne m’auriez pas cédé un millimètre de bienveillance. Et pourtant, dans la typologie du mouvement, je vous classe sans hésiter dans les « sympa avec qui on peut causer ». Mais même dans ce cas, on en est là, et il faudra des années pour en sortir. Si nous en sortons, c’est à dire si l’offre médiatique n’est pas bientôt réduite à deux options, entre d’un côté les poids lourds gouvernementaux et de l’autre les blogs « au service du mouvement ».
    Bien cordialement

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