Luc Châtel : ministre de rien et porte-parole d’à peine davantage

(pour un avant-propos, se référer à l'épisode 1)

Je ne décolère pas.

Du journalisme lénifiant et du tempo des réformes. Luc Châtel était ce matin l'invité de Nicolas Demorand dans la matinale de France Inter. Une seule question très gentillette sur les documents ayant fuité du ministère appelant une non-réponse que s'empressa de donner Luc Châtel, ministre de l'éradication nationale des psychologues scolaires, des RASED, et des enseignants titulaires : "il faut arrêter la caricature, nous n'allons pas supprimer les RASED, blablabla concertation, blablabla harmonisation du temps de l'école et de celui de la société blablabla".

Pourtant, les faits sont plus qu'accablants. Comment peut-on être journaliste (habituellement plutôt incisif et pertinent), détenir une telle bombe et le ministre concerné, et se contenter d'une non-réponse à une pseudo-question ???!!!

Faut dire que comme à son habitude, le tempo de la réformite est fait pour aller plus vite que le temps de l'enquête journalistique et ôter à ce dernier toute velléité d'investigation même minimale. Le surlendemain de la fuite des 13 documents ministériels, "l'actu" est celle de la réforme du temps scolaire, ce qui permet commodément d'éviter que l'on ne revienne de trop sur la pire bombe lâchée sur l'ensemble du système éducatif français.

De l'inanité des références au "modèle étranger". Dans le domaine économique et social, partis de gauche et de droite (mais un peu plus de gauche) comme journalistes aiment à user et abuser du "modèle nordique / suédois / finlandais" comme parangon de ce vers quoi il nous faudrait tendre ("puisque vous voyez bien, ça marche"). Alibi commode à l'économie d'une réflexion sur notre propre système/modèle. Dans le domaine éducatif, on dispose aussi d'un "modèle" concensuel, d'autant plus concensuel qu'il est éloigné, mal connu, et se prête donc très opportunément à la défense des thèses les plus approximatives, sur le mode de l'illustration et de l'exemple cité mais que personne n'ira jamais prendre le temps de vérifier. Ce modèle, c'est le modèle québequois. Pourtant, dans l'économie, le social ou l'éducatif, je ne crois pas au "modèle étranger vers lequel il faudrait tendre". Quand on en parle avec les vrais connaisseurs de ces pays, on a tôt fait de démasquer la supercherie : lesdits modèles fonctionnent effectivement (et en général moins bien que ceux qu'en disent leurs défenseurs étrangers) parce qu'ils s'inscrivent dans un contexte, dans un passé culturel et sociétal spécifique en tant de points qu'il rendrait leur copie ou leur importation parfaitement inefficace et contre-productive. On ne bâtit pas un modèle éducatif (pas davantage qu'un modèle social ou économique) sur une simple rhétorique de la comparaison.

Ce qui ne veut pas dire que certains éléments tendanciels desdits modèle sont, dans l'absolu, inopérants ou inefficaces. Bien au contraire. Par exemple tenez :

  • "Un accord vient d’être passé entre le
    Ministère et les syndicats pour faire qu’il y ait moins d’élèves par
    classse dans les écoles primaires et secondaires. Cet accord garantit
    moins d’élèves par classe, dès septembre. Cette décision fera entrer,
    en cinq ans, 3100 enseignants de plus dans le système d’éducation. Au
    primaire, dans les milieux défavorisés (20 % des écoles), les classes auront un maximum de 20 élèves. Cela représente une baisse réelle, d’un niveau significatif, de quatre enfants par classe. Mais, c’est au Québec que cet accord a été signé.
    " La suite est à lire ici

Quand on cherche des études, on les trouve ou on les enterre. Rappelons que c'est l'exact inverse des instructions de karcherisation de l'éducation nationale imposées par Luc Châtel aux recteurs et inspecteurs d'académie. Quand le ministre écrit (dans le document "Primaire : augmenter la taille des classes.doc")

  • "les études et expériences les
    plus récentes indiquent que la diminution des effectifs dans les
    classes n’a pas d’effet avéré sur les résultats des élèves et que les
    très petites écoles ne s’avèrent plus toujours performantes.
    "

il omet juste de préciser que le même ministère a sciemment enterré et pilonné l'étude de Thomas Piketty démontrant le contraire. J'ai naturellement lu l'étude en entier. Elle est tout aussi édifiante que le discours et l'objectif actuel de Luc Châtel, à cette importante nuance près, qu'elle repose sur une méthode et des résultats scientifiques. Je vous recommande sa lecture (.pdf) et vous livre juste deux courts extraits de sa conclusion :

  • "La principale conclusion de cette étude est que des politiques réalistes de ciblage des moyens peuvent avoir un impact considérable sur la réduction des inégalités scolaires, mais que ces politiques gagneraient probablement à se concentrer sur les plus jeunes élèves." Ce à quoi les documents du ministère répondent par l'augmentation systématique (au sens premier de "système") du nombre d'élèves par classe pour permettre la suppression de classes de de groupes scolaires dans le primaire et l'élémentaire.
  • "pour ce qui est du primaire, et dans une certaine mesure du collège, nos résultats indiquent que la relative modestie des politiques de ciblage des moyens en faveur des écoles et collèges défavorisées actuellement en vigueur en France peut difficilement se justifier par l’idée selon laquelle de telles politiques ne marchent pas.

Pendant ce temps, L'Oréal avance. Pendant ce temps, tout occupé qu'il est à mettre en lambeaux un système éducatif public qu'il n'a – il est vrai – jamais fréquenté, Luc Châtel travaille. Luc Châtel travaille en lien étroit avec un organe très puissant du lobbying de l'enseignement privé (ultra)catholique, la "fondation pour l'école", lequel organe à toute l'oreille du ministre et oriente chaque jour davantage le discours du ministère sous-tendant les réformes en cours. Luc Châtel prépare l'été des réformes. Et quand il à un peu de temps pour lui, Luc Châtel redevient un ministre L'Oréal

Ne reste plus qu'à espérer que le dicton "le pire n'est jamais certain" se vérifie. Certaines associations et syndicats y travaillent et ont besoin de notre soutien. Ne reste plus qu'à continuer à diffuser le plus largement possible l'infâmie de cette réforme et du vocabulaire ministériel qui l'exprime. Ne reste plus qu'à trouver les moyens, tous les moyens, de faire, chacun à son échelle, obstacle à cette mise en lambeaux de l'instruction publique. Faute de quoi, de toute façon, dès la rentrée prochaine, il ne nous restera plus qu'à mesurer l'ampleur des dégâts.

(si ce billet vous a plu, ne manquez pas l'épisode 1)

3 commentaires pour “Luc Châtel : ministre de rien et porte-parole d’à peine davantage

  1. Outre-manche, le gouvernement privatise l’école primaire et secondaire, via la transformation en “academies”. Le message d’accompagnement consiste à se féliciter du succès du “libre choix de l’école” existant en Suède. Néanmoins :
    1) l’école privée n’y est guère utilisée
    2) des études sérieuses et indépendantes concluent qu’on ne peut pas conclure à un impact positif à long-terme ( par ex. http://ftp.iza.org/dp3691.pdf)
    Je crois que la recherche pisse complètement dans un violon, à vouloir la précision, la vérité. Depuis 1940, je crois que la République n’avait regressé à cette vitesse.
    Dans le même ordre d’idée. Je me permets d’en profiter pour vous encourager à lire un magnifique article intitulé “Enseigner autrement… grâce à l’Iphone”. Pour vous encourager, je vous en cite la dernière phrase : “si les élèves ne comprennent pas la leçon, ils peuvent demander à l’enseignant de la répéter par la simple pression d’un bouton sur l’iPhone”.
    http://blog.educpros.fr/bfournier/2010/05/iphone-digital-education/#comments

  2. Bien vue, la remarque sur les exemples lointains. Si on nous disait “regardez comme le système éducatif suédois fonctionne, mettons-nous tous à manger des trucs dégoûtants et devenons obèses” (ou, plus positif, “devenons le pays le plus productif du monde en ne travaillant que 30 heures par semaine comme les norvégiens”), ça semblerait absurde, et c’est pourtant toujours de cette manière que les choses sont présentées : pour appuyer une thèse.

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