Il y a plus de 5 ans de cela, je rédigeais un billet sur Affordance expliquant en quoi les Archives Ouvertes, Google et Wikipédia constituaient les 3 piliers d'une révélation cognitive.
A l'occasion du 10ème anniversaire de Wikipédia (15 Janvier 2011), il est d'autres piliers qui se sont aujourd'hui également affirmés comme déterminants dans notre environnement cognitif, dans ce qui fait, ce qui conditionne, ce qui structure, ce qui environne notre accès, notre production et notre consommation d'information(s).
Côté pile. Wikipédia a donc bientôt 10 ans, Google en a 13 et les archives ouvertes 22. Pour Wikipédia, c'est l'âge de la maturité. Certes les débats et controverses sont encore nombreux mais les créations de nouveaux articles commencent à décroître, ainsi que le nombre de contributeurs et de modifications. Nous sommes donc face à un objet documentaire presque abouti, "à terme", même si l'inachèvement lui demeure consubstanciel. Autre temporalité, celle des archives ouvertes, faisant figure de glorieux ancêtres mais que leur usage et leur croissance maintiennent artificiellement en enfance, freinés qu'ils sont encore autant par la frilosité des chercheurs que par le lobbying des grands éditeurs. Dernière temporalité enfin, celle de Google, moteur protéiforme qui a su épouser tous les soubresauts du web pour conforter une position de leader de moins en moins charismatique mais toujours autant incontestable.
Côté pile nous avions donc 3 piliers de l'ouverture, celui d'une science comme bien commun (archives ouvertes), celui de l'écriture sans cesse renouvelée et sans trêve collaborative (wikipedia) et celui de l'accès, d'une économie de l'accès (Google).
Filiations. Parmi les sites qui comptent – et qui continueront de le faire – comme autant de jalons dans l'histoire de la citoyenneté numérique, Wikileaks, quel que soit son avenir, apparaît comme le fils naturel de Wikipédia. Non pas tant d'ailleurs par sa forme (celle du Wiki éditable et modifiable par n'importe qui) que par son enjeu : permettre à chacun d'être un acteur d'une entité documentaire, d'une "documentation du monde" jusqu'ici réservée à une élite : ouverture de l'encyclopédisme pour Wikipédia (et naissance d'un encyclopédisme d'usage), ouverture – au sens d'accès – du politique pour Wikileaks. Dit autrement et pour reprendre les termes chers aux informaticiens, Wikipedia a ouvert en écriture les droits d'accès à l'encyclopédie, quand Wikileaks à ouvert en lecture seule ceux du document politique.
Côté face maintenant. Facebook aura bientôt 7 ans (le 4 février 2011). YouTube en aura 6 en février 2011. Twitter a vu le jour en Juillet 2006, il y a déjà plus de 4 ans. Pour ces trois là comme pour les trois précédents, c'est également de massification qu'il est question. Peut-être même, plus précisément, de densification, de condensation. Wikipedia n'est pas un condensé de tous les savoirs du monde mais – et c'est déjà notable – un condensé de l'activité mondiale de documentation des connaissances, Google exemplifie à lui seul une massification des accès, les archives ouvertes et le mouvement de l'Open Access sont porteurs d'une même aspiration mais rencontrent plus de freins et d'inertie (ils s'inscrivent également dans un temps par nature plus long – celui de "la science")
J'avais déjà montré dans ce billet en quoi la nature de ces trois piliers du côté face s'opposait diamétralement à celle des 3 piliers du côté pile :
"(le projet de) Facebook est de nature politique (= on est tous amis), celui de YouTube est idéologique (on aime tous les mêmes vidéos rigolotes). Tous ont en commun de tendre vers l'abolition du fractal, c'est à dire d'une certaine forme d'inépuisable. De faire du web un simple noeud. Un seul noeud. L'isolement du graphe. L'avènement du point."
Twitter comme paradigme d'un web conversationnel s'inscrit dans une logique très légèrement différente, en assumant la volatilité, l'éphémère d'une conversation planétaire que l'ensemble des autres acteurs s'échinent à conserver à tout prix et aussi longtemps que possible. Avec l'empilement et – à terme – l'écrasement des Tweets les plus "anciens", avec ses systèmes de racourcisseur d'URL qui vont à rebours de toute la logique d'adressage consubstancielle au web comme univers documentaire, et nonbstant les efforts de la LoC pour son archivage, Twitter est avant tout un vecteur de l'effacement, de la linéarité comme effacement rétrospectif inéluctable.
Côté face nous avons donc ce qui ressemble à 3 piliers, celui de l'enfermement consenti (Facebook), celui de l'effacement compulsif (Twitter), celui de la diffusion/réception quasi-pulsionnelle d'une "short-culture"** (YouTube).
** je vous laisse interpréter librement le terme de "short-culture", pour les plus optimistes disons qu'il s'agirait d'une culture du fragment, de la brièveté, de l'instant … et pour les moins pessimistes …
Photo de famille disions-nous … Incontournables figures parentales, l'hypertexte, "inventé" en 1965 par Ted Nelson qui, avec le protocole TCP-IP (inventé en 1973) rendirent possible cette belle photo de famille. Souriez, le petit oiseau va sortir. (cliquez sur l'image pour l'agrandir)
… à suivre.
Post-scriptum : ce portrait de famille est naturellement arbitraire et de nombreux sites manquent à l'appel, notamment EBay, né le 3 septembre 1995, et Amazon en Juillet 1995. 16 ans chacun. Deux "grands frères" du web marchand.
Post-partum : un rapide sondage "Facebook" à l'occasion de la rédaction de ce billet faisait également remonter comme emblématiques de la culture internet les "sites" suivants : FlickR, 4Chan, ou bien encore Skype et les Creative Commons, qui ont également l'âge de Wikipédia (2001).
Post-restant : il est frappant de voir comment ces différents piliers (côté pile ET côté face) s'inscrivent dans l'héritage d'une civilisation du livre (pour les courageux, vous pouvez toujours relire l'intro et la première partie de ma thèse) :
"Comme cela est souvent le cas dans l’histoire des hommes et dans celle des sciences, une révolution – politique, cognitive, philosophique – donne lieu à nombre de « révélations » qui revêtent toutes les oripeaux de la « nouveauté » : le semblable prend le pas sur l’identique pour permettre aux hommes, aux sciences, aux techniques, aux systèmes ou aux idées de franchir une nouvelle étape, un nouveau seuil. C’est l’éclairage combiné de ces deux aspects – révolution et révélation – qui permet de mesurer à la fois l’ampleur de l’évolution qui mena de la civilisation de l’atome à celle du bit et la nécessité de l’avènement d’une forme – l’hypertexte – qui permet aux deux de co-exister en déployant la nouveauté de l’une dans l’héritage de l’autre."
Les civilisations du livre. Le livre (archive) ouvert et palimpseste de Wikipedia, les index planétaires de Google et Facebook ("livre des visages"), la "nouveauté d'une forme dans l'héritage de l'autre". En corrigeant des copies l'autre soir tout en twittant le bêtisier des plus belles "perles" de mes étudiants, je relevai celle-ci : "En mésopotamie, les hommes commencent par créer des sites sur des tablettes." Ce soir en surfant sur le Net, je tombe nez à nez avec ceci : la bible pour Ipad, qui me remet en mémoire une citation de Roger Chartier (Le Livre en révolutions, 1997) :
"Dès l’époque de Rembrandt, la question se posait de savoir si la Bible pouvait être publiée en petit format. La sacralisation du texte, disait-on, ne pouvait résister à l’indignité du petit format (libellus). Elle a en fait résisté au passage du rouleau au codex, elle a résisté à l’abandon de l’in-folio et, sans doute, elle résistera au passage au texte électronique."
Elle y a résisté Roger. Elle y a résisté.
article intéréssant on apprends pas mal de chose et j’aime le portrait de famille franchement bien fait
Le dernier pilier étant le commentaire automatique réaliste, comme ci-dessus, sur les blog. Quel parasite…. voilà bien un exemple d’ « innovation », comme disent nos cabris gouvernentaux (ou dit-il gouvernementeur ?)