Affaire DSK (suite) : l’immédiat des médias.

Episode 1 : "DSK, le bruit et la fureur documentaire"

Episode 2 : L'immédiat des médias.

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L'observation du déroulement de "l'affaire DSK" d'un strict point de vue documentaire continue d'apporter nombre d'enseignements sur la temporalité propre de chaque média, sur le rapport à l'intime, sur l'objectivation des discours de l'immédiateté, sur la co-existence (pas toujours pacifique) des espaces de commentaire (glose) dans des dispositifs médiatiques concurrents, ainsi que sur les régimes documentaires qui font écho aux régimes politiques et aux modèles sociétaux là encore concurrents (question de la justice américaine par rapport à la justice française, question également du traitement médiatique de l'intime – vie privée – outre-atlantique et dans l'hexagone).

Quelques enseignements et observations.

# Le temps réel. Tous les commentateurs extérieurs l'ont noté et observé, le "live-tweet" des différences audiences constitua LA seule source unique factuelle, disponible en temps réel. Le positionnement des médias "standards" (presse, radio, télévision) devant ce déplacement (vitesse et lieu de production) de la parole journalistique révéla quelques intéressantes "postures" :

  • "j'assume" : et j'envoie des envoyés spéciaux pour Live-twitter les audiences (ce fut notamment le cas du correspondant d'Europe 1, JP Balasse)
  • "la négation" (faire comme si Twitter n'existait pas ou n'était pas une source légitime) : qui conduit, plus que tout autre posture à du journalisme d'ameublement.
  • "Le déni sémantique" : nombre de correspondants à l'extérieur de l'audience, nombre de présentateurs en plateau ont dit être tenus informés "par SMS" de messages reçus par leurs correspondants à l'intérieur de la salle d'audience. Or nombre de ces SMS étaient en fait des messages twitter.
  • "L'intégration réussie" : ce fut le cas du dispositif déjà décrit ici et mis en place par Lemonde.fr
  • "l'intégration ratée" ou la "confusion" : à vouloir relayer un live-tweet non ciblé (c'est à dire intégrant aussi bien des journalistes accrédités que des internautes lambda), on se prend nécessairement les pieds dans le tapis de l'info non-vérifiée et non-sourcée mais on est dans le "temps réel", ce qui fait vach'ment bien.

<Update du soir> Sur Numérama, retour sur la stratégie des tweets "réservés" à la rédaction de Canal + </Update>

# La documentation à l'épreuve des faits. Dans l'affaire, et si l'on place à part, parce que relevant d'un régime documentaire spécifique qui est celui de l'illustration, si l'on place à part, disais-je, la question de l'occurence et du traitement des images, il ne reste que très peu de traces permettant de documenter de manière objective le déroulement de la procédure judiciaire et le fonds de l'affaire. Nous sommes dans une logique du 80-20. 20% de "documents, témoignages, faits" ayant une valeur documentaire à tout le moins probante, et 80% de "glose, commentaire, assertions, rumeurs, calomnies".

Le premier – et unique pendant les 3 permiers jours de l'affaire – document était signalé dans mon billet précédent, et disponible dès Lundi soir, est celui qui liste les 7 chefs d'inculpation (le premier de la liste "compte double").

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Il émane du régime documentaire judiciaire. Il fut promptement suivi de la fiche d'incarcération du "prisonnier DSK"

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Sortent ensuite quasi-simultanément (le 18 mai) dans les médias, deux autres documents, dont l'un émane encore de la sphère judiciaire et l'autre initie la reprise de parole de l'accusé en donnant la tonalité de ce que pourrait être sa ligne de défense (négation des faits) avant qu'elle ne soit renégociée par ses avocats (qui pourraient, selon certains commentateurs, s'orienter vers un "plaider coupable").

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DSK : l'homme à la lettre. Sur le document ci-dessous, le sémiologue en herbe ne peut s'empêcher de noter plusieurs niveaux de "confusions" documentaires. Confusion des langues tout d'abord entre la double adresse (postale et aux lecteurs) en anglais et le contenu en français. Confusion ensuite entre la dimension performative du courrier (qui acte la démission du FMI), qui place ledit courrier, qui "l'inscrit" dans la sphère publique et politique, et entre la fonction phatique qui cherche à initier et maintenir un contact bien au-delà des seuls destinataires du FMI tout en entrant ostensiblement en résonance avec la sphère familiale ("je pense à ma femme") pour introduire enfin la sphère juridique ("je réfute avec la plus extrême fermeté tout ce qui m'est reproché"). Ajoutons évidemment à cela – même si  je n'ai pas retrouvé la manière dont cette lettre s'était retrouvée dans "la presse", ajoutons évidemment à cela la dimension également performative de ce courrier qui a fonctionné comme une adresse aux médias. Sphère médiatique, sphère politique et publique, sphère judiciaire, sphère privée et intime : la première prise de parole  de l'accusé exemplifie merveilleusement bien les univers de discours documentaires qu'il faudra être en capacité de démêler et de disjoindre dans la recherche d'une vérité, dans la quête d'éléments de preuve. Cette confusion des "médiasphères" peut également sinon justifier, du moins  illustrer l'insistance de l'accusation à s'opposer à une remise en liberté, puisqu'elle atteste d'un objet documentaire (DSK) disposant de multiples facettes qui peuvent constituer autant d'échapatoires possibles (au travers de ses relations/réseaux privés, professionnels, politiques, familiaux).

Fact-checking contre story-telling. Petit à petit se mettent donc en place deux chroniques, deux narratologies dissemblables :

  • celle de la linéarité du temps judiciaire qui raconte et qui "montre" l'histoire d'un accusé  (monStre) incarcéré pour (tentative de ?) viol. Avec des documents qui "attestent" de l'image d'une culpabilité déjà actée (chefs d'inculpation et fiche d'incarcération).
  • celle de la prise de parole de l'inculpé, qui plaide son innocence et raconte l'histoire d'un homme injustement accusé.

Deux logiques. Deux histoires.

Dans le premier cas, le travail, le positionnement journalistique est, ou devrait être, celui-là seul de l'enregistrement, du "fact-checking". Dans le second cas, il doit être celui de la distance critique plutôt que de la simple reprise ou du simple écho fait à un nécessaire "story-telling". Or il advint que le traitement médiatique des 5 derniers jours inventa d'étranges hybridations de ces deux possibilités ; le fact-telling tout d'abord, qui, dans la temporalité paroxystique des événements "raconte" des faits bien plus qu'il ne les vérifie. Le story-cheking ensuite, qui, dans son rétro-pédalage contraint pour remonter la chronologie des mêmes faits dans un univers cross-media, se trouve dans l'obligation de "vérifier" non les faits eux-mêmes mais la manière dont les différents acteurs s'en sont emparés et les ont relatés.

DSK : l'histoire marginale

Précédant et/ou se juxtaposant de manière parfois très confuse à ces deux espaces de discours, on trouve également : 

  • la glose, littérale "marginalia" de l'immense et indistincte foule des commentateurs / spectateurs, alignant les vraies-fausses rumeurs, les vrai-faux témoignages, les affirmations et les dnénégations, les potentialités de réécriture de l'histoire (comme avec le possible dépôt de plainte dans l'affaire Banon), la glose qui nous raconte l'histoire, précisément, d'un passage à la marge, d'une marginalité en train de s'écrire, celle du directeur du FMI devenu délinquant sexuel.

Le dispositif médiatique touche dans ce dernier cas à l'une de ses limites, et "piège" toute tentative d'interprétation (dans un sens comme dans l'autre) en tentant de juxtaposer deux mises en scène de l'information : celle, mécanique bien rôdée et fabrique énonciative sur-encadrée, de la logique "plateau" d'une part, et celle, beaucoup plus flottante de la glose "virale" ou "sociale". L'information et ses marges. Une copie d'écran permettra de mieux se rendre compte : 

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De gauche à droite, la logique "plateau" d'un discours co-construit entre la présentatrice et l'envoyée spéciale, puis à l'extrême droite la verticalité apparente d'échanges totalement horizontaux, sorte de café du commerce planétaire où l'on échange impressions, bons mots, plaisanteries oiseuses et invectives violentes. Pour le spectateur derrière son écran (en l'occurence, moi 🙂 en train de visionner et d'écouter ce dispositif, l'impression est celle d'un irréconciliable clivage cognitif, qui accentue encore le brouillage initié par la divergence des points de vue et des médiasphères "convoquées" dans cette affaire. 

Vient enfin, ou d'abord, le rendu en temps réel de ces formidables chambres d'écho et de production de l'information que sont – principalement – les moteurs de recherche, mais également au-delà les pierres angulaires de l'édification de l'information dans l'écosystème du web (guerres d'édition sur Wikipédia, méta-rédaction du web assurée par twitter, etc.)

Qui feront l'objet du prochain (et dernier) billet consacré à cette affaire … à suivre.

P.S. : ce qui me frappe également et qui pourrait être à l'origine de l'ampleur médiatique donnée à l'affaire (en faisant abstraction du côté voyeuriste dans son traitement) se résume en un seul mot : Uchronie.

 

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