Ressources éducatives libres : quel mode de financement ?

Article de commande pour la revue Documentaliste, sciences de l'information, publié ici dans sa version longue. Article également déposé sur Archivesic.

Pour citer cet article :

Ertzscheid Olivier, "Les enseignants, la formation en ligne et les ressources éducatives libres : quel mode de financement ?" in Documentaliste, sciences de l’information. Vol. 48, n°3, Octobre 2011, pp. 52-53. En ligne <http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/>

<ATTENTION> La version que vous allez lire ici est la version longue, non-relue par le comité éditorial de la revue. Elle comporte 2000 signes de plus que la version déposée sur ArchiveSic et publiée dans le numéro d'Octobre de Documentaliste, sciences de l'information. C'est parti 🙂 </ATTENTION>

INTRODUCTION. Pour définir ce qu’est une Ressource Educative Libre (REL), rien ne vaut le recours à l’une des premières d’entre elles, l’encyclopédie collaborative Wikipédia :

"L'expression Ressources Éducatives Libres (REL) (Open Educational Resources (OER) en anglais) désigne un mouvement mondial initié par des fondations, universités, enseignants et pédagogues visant à créer et distribuer via internet des ressources éducatives (cours, manuels, logiciels éducatifs, etc.) libres et gratuites. (…) Cette expression a été adoptée pour la première fois lors du Forum 2002 de l'UNESCO sur l'impact des logiciels de cours libres pour l’enseignement supérieur dans les pays en voie de développement." (Source)

De projets phares à visibilité mondiale comme celui de l’OpenCourseWare du MIT jusqu’aux plus petits tutoriels ou manuels librement accessibles sur le web en passant par la fondation Wikimédia (1)  ou par les fourches – souvent caudines – des portails de REL universitaires, étatiques, disciplinaires, thématiques et linguistiques, la question du financement de ces REL est d’autant plus cruciale que le recours au « monde du libre » et à la formation à distance (FOàD) est toujours exposé à un fort risque d’instrumentalisation pour justifier à la baisse certaines lignes budgétaires supposément régaliennes.

UNE RESSOURCE LIBRE N’EST PAS UNE RESSOURCE GRATUITE. Dans le monde du logiciel libre, la confusion avec la gratuité est très fréquente. Un logiciel « open-source » n’est pas nécessairement un logiciel gratuit. Les modes de financement de l’informatique libre sont largement transposables aux REL. Financement par la communauté (don ou participation bénévole), vente de services associés (SAV, maintenance, formation), produits dérivés, mécénat public ou privé en sont les principales modalités. Les autres modes de financement sont les suivants (2) :

"A variety of funding models for OER have been proposed including : endowment, membership, donations, conversion, contributor-pay, sponsorship, institutional, governmental, partnerships and exchanges 
(Downes, 2007) (3). In a public post secondary institution context traditional sources of funding are : public grant funding from taxes, individual donations, organizational donations, advertising, fees for products or services 
(Lane, 2008)" (4)

LE RECOURS AUX FONDATIONS. Historiquement, c’est la « William and Flora Hewlett Foundation » qui est la plus associée aux REL et également l’un de ses principaux financeurs au travers de différents programmes visant à développer les REL, à mesurer leur impact, mais également à promouvoir des stratégies incitatives auprès des décideurs. Parmi les principales fondations donatrices on trouve également la Mellon Foundation, la Ford Foundation et, plus récemment, la Bill and Melina Gates Foundation (5).

LA PUISSANCE PUBLIQUE ET LES ETATS. Si certains projets liés aux REL sont financés par des états (Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, etc) ou des fédérations (union européenne), les licences d’usages des REL financées sur fonds publics sont – paradoxalement ? – souvent plus restrictives que celles utilisées dans les REL financées par des fondations (cf infra).  

LES ONG  A LA MANŒUVRE. Comme le note Jean-Marie Gilliot sur son blog, si « plusieurs ONG ont fait un travail sur le sujet des REL », l’une des questions en suspens est de savoir « comment s’articule l’action de : l’Unesco, de l’Ocde, du commonwealth (et) par quelle porte entrer ? » A ces ONG s’ajoutent également, principalement « dans le monde anglo-saxon, (…) un certain nombre d’organismes porteurs de ce concept (outre le commonwealth) comme l’Open University, l’Open Training Platform de l’Unesco, l’initiative Open Course Ware. »

L’EXEMPLE DU MIT OPENCOURSEWARE. Lancé le 4 Avril 2001 (7) le projet OpenCourseWare du MIT repose sur l’accord des enseignants volontaires pour publier l’ensemble de leurs matériaux de cours, et vient de fêter ses 10 ans d’existence. Il est l’un des projets les plus ambitieux, les plus aboutis, et les plus visibles des REL. Son financement repose sur des donateurs individuels, des entreprises ainsi que sur différentes fondations. Il compte à ce jour plus de 2000 cours publiés et 225 sites miroirs dans le monde. Le coût de publication d’un cours (8) est évalué par le MIT à hauteur d’un investissement de 10 à 15 000 dollars, incluant la réunion des différents matériaux du cours, l’établissement d’une licence adéquate et la « mise en forme » des matériaux de cours pour une large diffusion. Le coût est doublé pour des cours contenant des séquences filmées (vidéos). Le projet du MIT a essaimé pour donner naissance à l’Opencourseware Consortium (9), sur le site duquel on peut consulter la liste des universités du monde entier proposant des REL (pdf, audio et video) et qui dispose également d’un moteur de recherche de cours.

ET EN FRANCE ? Si trois établissements français seulement sont membres de l'OCW consortium, l’hexagone dispose cependant d’un large panel de projets apparentés aux REL : Université Ouverte des Humanités, portail des universités numériques thématiques ou bien encore l’association Sesamath, fondée en 2001 et qui depuis 2005 produit et diffuse des manuels scolaires pour le collège, rédigés de manière collaborative (sur un wiki), librement téléchargeables dans leur version électronique, mais également vendus en version papier (10).

REL et LICENCES CREATIVE COMMONS. Même si les REL peuvent bénéficier d’un large éventail de licences d’utilisation, la tendance est clairement à une ouverture de plus en plus grande, à l’aide des licences creative commons (11) du type « Attribution. Utilisation non commerciale. Partage à l’identique. »

Openlicensingcontinuum
Source de l’image : http://paulgstacey.files.wordpress.com/2010/10/openlicensingcontinuum.jpg

QUE LA FORCE SOIT AVEC TOI. La possibilité offerte par les REL à tout enseignant, élève, étudiant ou simple citoyen de pouvoir ainsi accéder à un enseignement à la carte, gratuit, pluri-disciplinaire, certifié par une autorité institutionnelle et affranchi du temps et de l’espace constitue une réelle opportunité. D’autant qu’au-delà des seules ressources éducatives dédiées, se développent également les blogs d’enseignants et de chercheurs (12), ainsi qu’un immense éventail de matériaux libres pouvant être réutilisés ou servir de base à de futures REL (13). La multiplication et la granularité de ces ressources ou de ces fragments de REL permet d’entrevoir ce que Henry Jenkins décrivait comme des « Youniversities » (14), des « universités fonctionnant à la manière de YouTube », c’est à dire permettant « le déploiement rapide d’expertises dispersées et la reconfiguration des champs disciplinaires. »

RESSOURCES EDUCATIVES (in)VISIBLES. La visibilité de ces REL au-delà du seul cercle des initiés est essentielle, comme l’est l’importance de leur indexation par les moteurs de recherche généralistes, et le travail sur les possibilités de moissonner les métadonnées de ces ressources pour bâtir une visibilité qui soit pérenne.

L’EDUCATION EST UN MARCHÉ, ET LA FORMATION EST SA VACHE À LAIT. Au monde des REL s’oppose celui de l’accès gratuit parce que financé par de la publicité à des ressources libres mais hébergées sur des plateformes ou des environnements propriétaires. Nombre d’universités, et des plus prestigieuses sont ainsi présentes dans l’OCW consortium mais également sur des plateformes logicielles propriétaires et fermées, comme ITunes U (ITunes University) (15). De l’analyse d’usages massifiés jusqu’à la formation aux nouvelles litératies du numérique, l’entrisme des opérateurs privés conjugué à l’ampleur du public captif dont ils disposent pourrait constituer une menace sérieuse pour le développement et la pérennité des REL.

LE DANGER DES UNIVERSITES "LOW-COST". D’autant que pour compenser ici des restrictions budgétaires ou là, la bulle spéculative de l’augmentation de frais d’inscription universitaires dans le monde anglo-saxon notamment (16), on observe l’émergence de nouveaux types d’universités « en-ligne », ne s’apparentant que de loin ou très faussement à la galaxie des REL. La logique de développement de ces « universités Low Cost » (17) ne correspond pas à une volonté réelle de mettre en place un nouveau rapport à l'enseignement et une diffusion la plus large possible des connaissances et des savoirs, mais répond d’abord à une logique comptable : rassembler des ressources d'enseignement aujourd'hui aussi nombreuses qu'hétérogènes sur le Net, et y attacher la délivrance de diplômes. 

NOTES & REFERENCES :

  1. porteuse de nombreux projets relevant des REL dont Wikipédia (http://www.wikipedia.org) mais aussi Wikibooks (http://fr.wikibooks.org/wiki/Accueil ), Wikiversité (http://fr.wikiversity.org/wiki/Accueil) etc.
  2. Stacey Paul, « Foundation Funded OER vs. Tax Payer Funded OER–A Tale of Two Mandates. », Open Ed Conference, Barcelone,  in Barcelona, 2-4 Novembre 2010. En ligne : http://edtechfrontier.com/2010/10/26/foundation-funded-oer-vs-tax-payer-funded-oer-a-tale-of-two-mandates/
  3. Downes, S. (2007). Models for Sustainable Open Educational Resources. Interdisciplinary Journal of Knowledge and Learning Objects. Volume 3, pp. 29-44
  4. Lane, A. (2008). Reflections on sustaining Open Educational Resources: an institutional case study. Retrieved August 31, 2010 from http://www.elearningeuropa.info/files/media/media16677.pdf.
  5. pour le détail des projets de REL soutenus par ces fondations, voir Stacey Paul, « Foundation Funded OER vs. Tax Payer Funded OER–A Tale of Two Mandates. », Open Ed Conference, Barcelone,  in Barcelona, 2-4 Novembre 2010. En ligne : http://edtechfrontier.com/2010/10/26/foundation-funded-oer-vs-tax-payer-funded-oer-a-tale-of-two-mandates/
  6. Stacey Paul, « Foundation Funded OER vs. Tax Payer Funded OER–A Tale of Two Mandates. », Open Ed Conference, Barcelone,  in Barcelona, 2-4 Novembre 2010. En ligne : http://edtechfrontier.com/2010/10/26/foundation-funded-oer-vs-tax-payer-funded-oer-a-tale-of-two-mandates/
  7. Goldberg Carey, « Auditing classes at M.I.T., on the Web and Free », New-York Times, 4 avril 2001, en ligne http://www.nytimes.com/2001/04/04/us/auditing-classes-at-mit-on-the-web-and-free.html
  8. Un « cours » est en fait l’équivalent d’une « unité d’enseignement » francophone, chacune d’entre elles pouvant comprendre plusieurs cours (matières ou modules) http://ocw.mit.edu/about/our-history/
  9. http://www.ocwconsortium.org/ Ce consortium compte seulement trois membres français : ParisTech, l’université de Lyon et l’école de Management de Grenoble.
  10. Emmanuel Vieillard-Baron, « Sésamath un modèle de mutualisation et de diffusion gratuite de ressources mathématiques », Séminaire international thématique ePrep 2009, en ligne : http://www.eprep.org/seminaires/seminaire09/comm_sem09/ePrep09_Sesamath_descriptif.pdf
  11. Le mot-clé « open educational resources » rassemble, sur le site de l’initiative Creative Commons, un très grand nombre de liens vers des articles, témoignages et retours d’expérience.  http://creativecommons.org/tag/open-educational-resources
  12. voir par exemple la plateforme http://hypotheses.org/ pour les sciences humaines et sociales.
  13. en Mars 2010, le site FlickR a dépassé les 100 millions de photos en Creative Commons  (http://creativecommons.org/weblog/entry/20870), de nombreux outils de recherche (dont Google) permettant, en recherche avancée, d’accéder à des filtres de recherche dédiés à la remontée de ressources sous licence Creative Commons.
  14. Jenkins Henry, « From Youtube to Youniversities », in Chronicle of Higher Education, 16 février 2007, en ligne : http://chronicle.com/article/From-YouTube-to-YouNiversity/7800
  15. lancé en Mai 2007 à l’occasion de la version 7.2 du logiciel ITunes, ITunes University s’affiche avec le slogan suivant : « Le campus qui ne dort jamais ».
  16. "Will Higher Education Be the Next Bubble to Burst?" Chronicle of Higher Education, 22 Mai 2009, en ligne : http://chronicle.com/free/v55/i37/37a05601.htm
  17. Jeff Young, « New Low-Cost University Plans to Use Social-Networking Tools » in The Chronicle of Higher Education, 27 Janvier 2009. En ligne :  http://chronicle.com/blogs/wiredcampus/new-low-cost-university-plans-to-use-social-networking-tools

2 commentaires pour “Ressources éducatives libres : quel mode de financement ?

  1. Bonjour,
    Vous omettez de préciser que les licences de type non-commercial (qui, stricto sensu, ne méritent pas d’être qualifiées de Libres[0]) ne sont pas sans effets pervers[1] notamment dans un contexte éducatif[2].
    Par ailleurs, Sésamath (ça s’écrit avec un accent) aurait peut-être mérité un peu plus qu’une simple mention (un lien, à tout le moins[3]), étant quand même un précurseur particulièrement significatif — pré-Creative Commons, pré-Wikipédia, etc. Côté universitaire, un travail un peu plus développé sur ce projet a été proposé par un étudiant de Master[4].
    [0] http://freedomdefined.org/Licenses/NC
    [1] http://robmyers.org/weblog/2006/11/why-the-nc-permission-culture-simply-doesnt-work.html
    [2] http://www.framablog.org/index.php/post/2009/12/02/licence-creative-commons-paternite-et-education
    [3] http://www.sesamath.net/
    [4] http://www.framablog.org/index.php/post/2010/09/08/sesamath-comment-ca-marche

  2. Merci pour ces liens (et ces précisions).
    Simplement vous dire que la contrainte d’écriture était la suivante : « 6000 signes espaces compris pour présenter les ressources éducatives libres et leurs enjeux à un public non-averti ». Difficile de parler sereinement et complètement de tout dans ces conditions. Mais le lien vers Sésamath figure bien dans la version papier de l’article (et jele rajouterai dans celle-ci, ainsi que l’accent oublié) 🙂

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