Archimag, la LRU, les sciences du web et tout ça.

Le numéro 250 d'Archimag est disponible en téléchargement gratuit. J'y avais été interviewé deux ans après avoir été élu "homme de l'année", ah ben non, "meilleur blog de l'univers", ah ben non plus, "vainqueur de l'île de la tentation de l'infodoc", toujours pas, "personnalité de l'année de l'infodoc" ah oui ça doit être ça.

Avec l'autorisation de l'interviewer je reproduis ici notre dialogue, dans sa version "uncut" 🙂

Maître de Conférences en Sciences de l’information et de la communication à l’Université de Nantes, comment a évolué la teneur de votre enseignement entre fin 2008 et aujourd'hui ? (sur les sujets, sur la pratique de vos étudiants, sur le type de travaux que vous leur faites faire etc.)

J'ai la chance d'enseigner nombre de matières "vivantes", c'est à dire pour lesquelles il est à peu près impossible de faire le même cours d'une année sur l'autre : la veille documentaire, les techniques de recherche d'information, l'écriture numérique, etc. Même si les "bases" restent constantes, il faut toujours essayer de coller au plus près de la réalité des outils et des technologies. Y compris d'ailleurs pour les cours les plus "vieux jeu", comme le cataloguage par exemple. Globalement j'essaie toujours d'injecter une bonne dose de "culture numérique" dans l'ensemble de mes interventions.
 
Pourquoi faire le choix de rester dans l'enseignement, quand bien même celui-ci est assez (politiquement) malmené en ce moment ?

Parce que j'y suis bien 🙂 Et je me régale d'autant plus en effectuant l'essentiel de mes cours auprès d'un public "jeune" (1ère et 2ème année DUT), généralement boudé par un certain nombre de collègues qui considèrent que c'est plus gratifiant d'enseigner au niveau L3 ou Master (ce qui est exact si l'on considère ladite "gratification" comme une perspective d'avancement de carrière et de reconnaissance par ses pairs). 

Entre fin 2008 et aujourd'hui, il y a eu diverses tentatives d'application d'Hadopi, d'Acta, de la LRU… 3 ans après, votre engagement reste-t-il intact ?

Disons que je ne suis pas très fan de la castration chimique appliquée aux contenus du web (Acta et Hadopi). L'écosystème internet est en train de franchir un palier important de son évolution. Les enjeux de la normalisation, y compris par voie législative vont avoir d'énormes impacts dans les années à venir. Voilà pourquoi il faut être vigilant et s'efforcer de porter sur la place publique un débat qui est finalement assez simple, une fois débarrassé des oripeaux du lobbying des uns et des autres. Pour ce qui est de la LRU, la catastrophe annoncée est bien là. Les présidents d'université (y compris les plus enthousiastes au départ) constatent que les sommes promises ne sont pas versées ou que le mode de calcul des crédits affectés était biaisé. On a de plus en plus de mal à rétribuer convenablement les intervenants dans les formations. On est assommé de tâches administratives redondantes. La concurrence entre chercheurs et la course imbécile à la publication (envisagée uniquement sous son aspect quantitatif) commence à faire d'énormes ravages. Bref, le tableau est loin d'être idyllique (il ne l'était pas non plus avant) mais on se bagarre au quotidien, avec les armes qu'il nous reste 🙂
 
Entre 2008 et aujourd'hui, la discpline que vous enseignez (enfin, son appellation) " Sciences de l’information et de la communication " ne tend t-elle pas à devenir les Sciences d'internet et du web ?

J'aime naturellement l'idée de Tim Bernes Lee d'une "science du web", science pour laquelle les sciences de l'info et de la comm ont naturellement un rôle primordial à jouer. En même temps, le web n'est qu'un écosystème médiatique parmi d'autres. Et pour le comprendre on a autant besoin de regards sociologiques, que mathématiques (théorie des graphes notamment) ou en provenance de l'ensemble des disciplines scientifiques.
 
Selon vous, quelles sont les principales évolutions du Web entre fin 2008 et aujourd'hui ?

L'avènement de nouvelles ingénieries relationnelles. La fin du modèle dominant du pageRank (de nature bibliométrique) et l'émergence de métriques plus fines mais également plus sujettes à caution. Et le terrain des usages dans le domaine des industries culturelles : dans le domaine de la vidéo à la demande, dans celui de la lecture avec les liseuses et e-readers, nous somme au coeur d'un bouleversement qui est passionnant à explorer même s'il est encore bien trop tôt pour proposer des clés d'analyses fiables sur le long terme.
 
"Marchandisation documentaire", "navigation carcérale dans Facebook" : le web est-il en train de filer un mauvais coton ?

Internet est un écosystème qui mûrit. Qui se normalise. Qui s'installe dans l'évidence de l'aspect incontournable de la massification des usages qu'il génère, et qui suscite donc de plus en plus de convoitises, de lobbying, tant les enjeux économiques pour – notamment – les industries culturelles sont forts. Nous sommes à un point où s'affrontent deux conceptions diamétralement opposées de ce que doit être internet : un réseau de réseau, non-propriétaire, sans droits d'accès (voilà pour les tenants de la vision des pionniers de l'internet) ou un supermarché de l'information avec ses autoroutes, ses droits de douane, ses vitesses limitées (question de la neutralité du net) et la survivance exclusive de quelques grandes enseignes (Apple, Amazon parmi d'autres) phagocytant tout le reste.

Quelles ont été vos principales publications depuis 2008 ?

A peine suffisantes pour être considéré comme un chercheur "publiant" par l'AERES, et ne pas être voué à l'infamie du "chercheur-non-publiant". Bref, tout est sur mon blog ou sur ArchiveSic 😉 Plus sérieusement, il y a une publication à laquelle je tiens beaucoup parce qu'elle résume l'un des points centraux de ma recherche ces 2 dernières années : "L'homme est un document comme les autres", publiée dans la revue Hermès fin 2009 (http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00377457/fr/). La "documentation de soi" va être amenée à occuper une place de plus en plus importante, bien au-delà de l'actuel effet de mode du "personnal branding" et de "l'e-reputation". C'est un enjeu crucial, notamment mais pas exclusivement, pour les primo-arrivants de l'internet. Un enjeu sur lequel les professionnels de l'information (au sens large) ont une énorme longueur d'avance. A eux de trouver les meilleurs moyens de faire valoir ce savoir-faire incontestable.

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