Rien de grand dans le monde ne s'est fait sans copie. Le numérique est l'apogée de la copie. Copie partout. Copy-party. Mais aujourd'hui il faudrait inventer l'antonyme de copier. Il n'en existe pas. Littéralement. Mis à part un vague "innover" qui ne rend compte que d'un infime sens du verbe copier, déjà dévoyé.
Le numérique donc. Des copies de copies. Des recopies de copies. Nous stockons des copies. Nous produisons des copies. Nous consommons des copies.
Chercher un antonyme à "copier".
Décopier ? Désapprendre à copier ? Ce que les hérauts de la rente pédagogique asservie aux industries de la copie voudraient nous inciter à faire. La vieille antienne. "Le photocopillage tue le livre". Trop facile. Très peu pour moi. Rien de grand dans le monde ne s'est fait sans copie.
Apocryphes copies.
Alors quoi ? Acopier peut-être. A-copier. "A" privatif pour copie justement "privée".
Il y a ce que tout le monde sait. Que les données, leurs copies et les copies de leurs copies sont dans les nuages. Que les nuages appartiennent aux industriels de la copie : Google, Amazon, Apple et les autres. Que ce déplacement est une déperdition. Que ces copies sont déportées. Que nous ne les reverrons jamais. Jamais en tout cas en notre espace propre. En notre espace réellement privé.
Il y a ce que tout le monde fait. Utiliser ces services. Ne pas lire les CGU. Ah ben tiens. Vous me le copierez. Il y a ce modèle : celui de l'allocation. Rappel :
"dans le cadre de l'appropriation
marchande (= achat) d'un bien culturel (livre, musique ou film) ce qui
nous est présenté comme un acte d'achat impliquant l'usage privatif
inaliénable du bien concerné, n'est en fait qu'une location
dissimulée, le fichier résident "à distance" et la transaction
commerciale se déplaçant à l'unisson, c'est à dire ne désignant plus
le bien en lui-même mais plutôt l'autorisation d'accès à distance au
dit bien. On ne vend plus un bien, on alloue un accès (cf le modèle de l'a-llocation décrit dans ce billet),
on met en place une "souscription" : l'écriture de l'acte commercial,
la trace – opposable en cas de conflit – de la transaction, devient, à
son tour, une écriture "en-dessous", sub-scribere. Soit
l'aboutissement de la logique décrite dans ce billet.)"
Il y a aussi la question de la transmission et de la mort. Car la copie est (aussi) ce qui permet de dépasser la mort. Cette copie c'est celle d'Anne Franck copiant son journal et celle des copies qui rendirent ce journal immortel. Cette copie c'est celle de ces vieux ouvrages, de ces vieux disques que nous avons presque chacun récupérés à la mort d'un proche, ne sachant d'abord quoi en faire, et puis s'y replongeant un jour pour y lire des copies de souvenirs. De nos souvenirs dans leurs copies.
Bruce (se) fait le (Steve) Job(s)
Il y a l'acteur. Et la belle histoire. Celle de Bruce Willis soucieux de léguer le contenu de sa bibliothèque Itunes à ses filles après sa mort : sa musique, ses films (y compris ceux dont il est le héros), tout ce qu'il a acheté. La bibliothèque de Bruce Willis. Sa discothèque. Sa vidéothèque. Et puis il s'aperçoit alors qu'il ne peut pas, parce qu'à sa mort, son compte Itunes sera fermé. Sa mémoire vidée. Sa patiente collecte effacée. Bruce pas content contre Apple tout puissant. Le pitch idéal.
La pomme était en cristal. Bruce l'a croquée. Piège de cristal.
Il y a la réalité. Cette histoire de Bruce Willis attaquant Apple en justice pour pouvoir léguer sa bibliothèque à ses filles et mettre fin à cette escroquerie en dépossession, cette histoire serait finalement une simple rumeur lancée par un tabloïd.
Tant pis. C'est une belle histoire. Et il est probable qu'elle fera beaucoup plus à elle seule pour une pédagogie de la copie que 20 ans de travaux universitaires sur le sujet.
Je vais la garder cette histoire.
Je vais la copier.
"L'acteur de 57 ans veut encore un peu plus assurer
l'avenir de ses trois filles Rumer, Scout and Tallulah, qu'il a eu avec
Demi Moore. Le principe de son action en justice est simple : faire en
sorte que sa descendance puisse hériter de sa bibliothèque I-Tunes, à
savoir les musiques qu'il a achetées – pour l'essentiel des classiques
des Beatles ou de Led Zeppelin – ou encore ses films.
Bruce
Willis souhaite remettre en question les conditions d'utilisation qui
prévoient que le compte d'un utilisateur décédé soit désactivé et ses
téléchargements effacés. En définitive, le fan de fichiers multimédias
ne ferait qu'emprunter le contenu payé.
Au delà de son héritage
personnel, l'acteur de «Die Hard» entend militer à travers cette action
judiciaire pour accroître les droits des millions d'utilisateurs du
service d'Apple. Affaire à suivre de près."
La recopier. En faire une oeuvre. Une oeuvre d'abondance et de travail. Soit toute l'étymologie de la copie, comme la raconte Philippe Aigrain :
"Les racines latines ops/opis désignent l’abondance, les ressources, l’aide et l’assistance.
Il en dérive, toujours en latin le mot opulentia (opulence), mais
surtout le mot cops/copis et copia qui signifie abondance (des idées et
des mots). Inutile de préciser que nous en avons retenu le mot copie."
Définition.
<HDR> L'acopie ce serait alors l'antonyme de la copie. Un terme désignant la mystification visant à abolir, au travers d'un transfert des opérations de stockage et d'hébergement liées à la dématérialisation d'un bien, la possibilité de la jouissance dudit bien et ce dans son caractère transmissible, en en abolissant toute possibilité d'utilisation ou de réutilisation réellement privative. </HDR>
Moralité.
Rien de grand dans le monde ne s'est fait sans copie. Pas vrai Bruce ?
Rien à voir mais quand même.
L'occasion de vous (re?)signaler l'excellent numéro de la revue Medium consacré à la … copie 🙂
Très intéressant. A mon avis, il faut miser sur une autre formule. L’acopie et la copie, à l’oral, donnera le même son. D’ailleurs, l’URL du billet est symptômatique : …./lacopie.html !
Il n’est donc pas pratique d’utiliser cette forme. Mais il y en a plein d’autres. Et la décopie est un beau pied de nez au « photocopillage », cet exocet éditorial si efficace du point de vue du lobbying…