#inistgate : le retour des Jedi de l’Open Access.

Dans l'affaire #inistgate qui bat désormais son plein depuis trois semaines (pffff …), la première quinzaine a rendu délicat l'évitement d'une personnalisation du débat. Les gens soutiennent (merci), agissent (merci), disent qu'ils sont prêts à aller plus loin y compris en justice (merci), ils sont déjà plus de 500 à le dire en leur nom propre ou en celui de leur(s) revue(s) (encore merci) mais in fine, dans la presse comme dans la communication des associations professionnelles, l'affaire est longtemps restée celle de la "Lettre à l'Inist", du "chercheur qui part en croisade", "Ertzscheid contre Inist". Jusqu'à la très récente intervention de la Ministre de la recherche et de l'enseignement supérieur.

Loin de moi l'idée de m'en plaindre. Je suis un grand garçon. Je sais évidemment ce que je fais. J'assume. Pour autant, cette personnalisation me met en position d'encaisser le premier quelques coups sur lesquels je voudrais revenir. Certains de ces coups sont caricaturaux et ne méritent d'être mentionnés qu'au titre d'un soupir navré, d'autres renvoient à des logiques scientifiques et politiques à mon avis essentielles.

Je pourrais vous parler des reproches qui me / nous sont faits.

Celui de risquer de faire fermer un site industriel dans une région déjà sinistrée et de mettre au chômage ses salariés. Mais comme disait l'autre …

Celui de se tromper d'adversaire en attaquant l'Inist (et le CNRS) alors que c'est le CFC qu'il faudrait mettre à genoux.

Certes. D'autant que le CFC fut également condamné avec l'Inist. D'autant que le fonctionnement de ces agences de répartition des droits est totalement opaque. D'autant que tout le monde le sait (surtout les auteurs qui ne les touchent pas, leurs droits). D'autant que dès la rédaction de ma Lettre à l'Inist j'y ai pensé. Mais l'attaque est rendue plus difficile par le fait que le CFC est un organisme sans tête. Ceci étant, et même si nous sommes d'accord que la responsabilité du CFC est au moins aussi importante dans cette affaire que celle de l'Inist, cela n'exonère pas pour autant l'Inist de la sienne.

Celui de tirer sur une ambulance. Un certain nombre de gens que je respecte par ailleurs beaucoup m'expliquent que cela fait "des années" que l'Inist est "à la ramasse", une "barque à la dérive", "incapable de se transformer et de s'adapter", un "restant du vieux monde". Que tout cela est consigné dans d'innombrables rapports tous méticuleusement enterrés pour de méticuleuses raisons de politique méticuleuse. Il est effectivement possible de laisser encore davantage pourrir la situation. De là à dire que c'est une manière d'en sortir par le haut (du pourrissement de la situation), cela me semble (in)délicat.

Celui de stigmatiser un organisme public plutôt que l'ensemble des politiques publiques d'accès et de financement de l'IST. Oui mais j'ai un métier, une famille, une vie. Y'a pas marqué "spécialiste en dénonciation publique de causes perdues". C'est pas mon métier. En tout cas j'ai pas envie que ça le devienne. Je pars toujours de ma pratique. De ce qui force, contraint ou menace ma pratique. Ce qui suffit amplement à nourir ma capacité d'énervement.

On me reproche aussi de perdre du temps avec la dénonciation de pratiques d'un autre âge alors que ce temps pourrait être mieux employé à défendre et à évangéliser autour de l'Open Access et de l'auto-archivage. Je vous assure que les 3 semaines passées à dénoncer la gabegie du CNRS/Inist ne sont rien au regard de celles passés à évangéliser mes collègues sur la nécessité de l'auto-archivage et les contrats léonins que leur font signer des éditeurs qui ne méritent encore ce nom qu'au regard de leur capacité à faire faire par d'autres le travail qui fut initialement le leur.

On me reproche aussi d'être motivé par l'appât du gain. Et oui. D'ailleurs je songe à passer ce blog en version payante. Vous pourrez recevoir cet article par la poste, sur photocopie couleur, pour 40 euros. 

On me reproche de ne pas condamner les titres et raccourcis racoleurs de la presse (surtout celui-là). On oublie jusque que ce n'est pas moi qui les écrit. Et je n'ai pas la tartufferie de prétendre donner à cette affaire la dimension qu'elle mérite en s'astreignant à utiliser le vocabulaire précautionneux et le surmoi écrasant d'une communauté scientifique qui aime le débat public autant qu'elle le favorise dans son enceinte, c'est à dire fort peu.

On me reproche encore de me tromper d'adversaire et on me suggère – c'est fou comme les gens ont plein d'idées sympa et pensent que j'ai un peu que ça à faire – on me suggère donc de m'en prendre plutôt aux méchantes revues et aux grands vilains éditeurs et à leurs scandaleuses politiques d'abonnement "en bouquet" (= plutôt que de s'abonner à une revue qui nous intéresse, on doit prendre 40 revues qui n'ont pour nous – université, bibliothèque – aucun intérêt). Et là je dis : nous sommes bien d'accord. 

On me dit : mais, cher collègue, voilà 20 ans que Refdoc existe, et en voilà autant que la British Library fait de même et à des prix souvent encore plus exorbitants. Je sais. Et je n'ai jamais dit que je comptais m'arrêter en si bon chemin, surtout lorsque je suis si bien accompagné, même si dans le cas de la BL, le fait que le droit moral français diffère beaucoup de la tradition anglo-américaine du copyright rend l'angle d'attaque encore plus obtu (mais pas nécessairement fermé).

Je pourrais vous parler des derniers événements dans "l'affaire"

Mais je vais me contenter de remercie Marie Lebert et la joyeuse bande de SavoirsCom1 pour leur documentation de l'affaire. Ici pour Marie, et là pour SavoirsCom1. Quand l'écume de l'inistgate s'effacera, cette documentation persistera et témoignera. J'aime aussi le web pour cela.

Je pourrais faire court et en résumé vous indiquer que :

Sur le fond, comme me le faisait remarque par mail un éminent collègue (Obiwan Kenobi) :

"Les vraies questions dans le cas de Réfdoc, ce sont celles relatives au
rôle légitime et au comportement légal d'une instance publique. La
deuxième question est particulièrement importante dans le cas d'un
organisme public qui se voit condamner en cour, mais juge que le coût de
l'amende, parce que trop basse, n'empêche pas de continuer la
transgression. Cela me paraît très grave
."

Sur la forme l'Inist/CNRS et le CFC se renvoient la balle. L'Inist/CNRS nient en bloc la réalité juridique de leur condamnation (par deux fois) au motif de leur pourvoi en cassation dont on ignore quand il sera jugé (le pourvoi a été effectué il y a 16 mois de cela … on peut donc espérer que ça va arriver bientôt …). Que la récente prise de position de la Ministre de l'enseignement supérieur suite à l'interpellation du député Lionel Tardy est aussi courageuse qu'elle pouvait l'être : du fait de ce pourvoi en casssation, la ministre n'a effectivement d'autre choix que d'attendre la décision de justice. Du coup sa conclusion est encore plus violente que la colère d'Anakin

"En fonction du résultat des jugements en cours, nous prendrons les
mesures nécessaires, mais il revient d'abord au CNRS, tutelle de
l'INIST, de faire en sorte que les pratiques de l'INIST soient
totalement conformes aux objectifs de libre accès à l'information que je
poursuis."

Et que du coup, j'ai bien envie de dire merci à Geneviève Anakin Fioraso Skywalker pour ce limpide rappel à l'ordre.

Je pourrais vous annoncer la suite et vous faire des révélations.

Cette affaire ne va pas
s'arrêter là. La communauté scientifique dans son ensemble n'est
plus prête à se désintéresser commodément de la libre circulation des
résultats de la recherche. De nombreux points doivent être éclaircis et vont bientôt l'être, y
compris par un recours devant les tribunaux et organes administratifs
compétents (dont la CADA) : quel est
précisément le nombre de documents vendus par le CNRS et l'Inist qui
sont accessibles en accès libre ? Quelle est la nature exacte
de la convention qui lie l'Inist/CNRS et le CFC ? Combien
rapporte exactement le service Refdoc (argent public toussa toussa) ?
Parce que dans l'assourdissant silence de ces 2 dernières années qui a
permis d'étouffer complètement ces pratiques en méprisant ou en ignorant
ceux qui s'en alarmaient, s'est également construit un nouveau projet
encore plus inquiétant (pour rester dans la métaphore Star Wars, je
l'appelerai bien "l'étoile de la mort" ;-), projet baptisé BSN,pour
"Bibliothèque Scientifique Numérique" (plein d'infos dans le dernier numéro – 68 – de la revue Arabesques) projet au sein duquel un axe (BSN 8) vise à "Concevoir un service
unifié de diffusion à distance de documents numériques et papier
(convergence des dispositifs de prêt et de commande de l’ABES et de
l’INIST)
". Tu imagines un peu le truc sans l'affaire Inistgate ? Aujourd'hui le service Refdoc lance une OPA hostile sur l'ensemble du système de prêt et de diffusion de la
recherche française, et demain Refdoc devient LE guichet unique d'accès à la documentation scientifique. Voilà. Du coup quand j'entends Geneviève Anakin Fioraso parler du même projet BSN dans la même réponse à la question en rapport avec l'affaire Inist/CNRS je me dis que le pire est peut-être évité, ou en tout cas qu'elle ne pourra pas feindre de ne pas avoir été avertie 🙂 C'est donc
un doux euphémisme que d'indiquer que je – mais pas tout seul – vais
continuer d'être particulièrement vigilant, attentif et offensif sur
ces questions.

Mais je voudrais surtout vous parler d'autre chose.

Vous dire que c'est la semaine de l'Open Access. Et que le semaine de l'Open Access c'est comme la journée de la femme. C'est juste mieux que rien. Mais c'est juste aussi pas assez. C'est même très très loin d'être assez. Très.

Vous dire que le mouvement de l'Open Access n'est pas réductible à une bande de beatniks fan d'agit'prop et ignorants des enjeux économiques et financiers de la circulation de savoirs, vous dire que se sont des gens structurés, de plus en plus structurés et que leur force est autant dans leurs convictions que dans cette structuration.

Vous dire que les gentils (éditeurs / revues) et les méchants (éditeurs / revues) ont compris depuis longtemps que l'auteur était la clé unique de l'ensemble du système mais qu'aujourd'hui les auteurs pourraient enfin disposer pour partie de la garde de leur clé plutôt que de n'avoir d'autre choix que celui de n'avoir pas le temps de s'en occuper ou d'être obligé de la confier à d'autres.

Vous dire que le débat sur les modèles alternatifs avance. Qu'il est encore loin de faire concensus au sein même des défenseurs de l'Open Access. Mais qu'est déjà certaine, inscrite, instruite et actée la fin des situations de rente actuelles et de leurs répétés abus de position dominante. En tout cas si on continue de rester vigilants … et structurés 😉

Vous dire qu'en à peine 38 diapositives, vous aurez les idées au clair sur la question.

INDIGNEZ-VOUS mais jusqu'au bout 😉

Vous dire que signer la pétition contre les pratiques de l'INIST/CNRS c'est bien (continuez). Vous dire que demander le retrait de vos publications, c'est bien itou (continuez). D'ailleurs vous êtes nombreux à avoir reçu le mail du service client de l'Inist : "Suite à votre demande nous vous informons que vos publications ne sont plus signalées dans REFDOC". Mais.

MAIS

Mais rien de tout cela n'a de sens si vous ne déposez pas systématiquement vos publications, toutes vos publications, dans des archives ouvertes. Votre éditeur / contrat d'édition ne vous en donne pas le droit ? Il vous demande / impose un embargo ? Déposez alors immédiatement la version "auteur" de votre publication. C'est essentiel. C'est vital. Réellement vital. Et la France accuse sur ces questions un retard insensé. Que cette affaire permettra peut-être de rattraper partiellement. C'est parce que j'en suis convaincu que je mets tant d'opiniâtreté à la défendre. Et que je compte bien continuer à le faire.

Lettre à toi.

Toi qui a relayé l'affaire "inistgate", toi qui a envoyé un nombre incroyable de mails sur les listes de ton université ou de ton labo et réseau en invitant à signer et à dénoncer le scandale, tu dois poursuivre ce mouvement. Aller au bout de la contestation. Mettre réellement à bas ce système pervers (c'est bon là niveau agit'prop, tout le monde suit ? bon alors je continue). Et il n'est qu'un moyen de le faire. Déposer massivement et systématiquement tous tes articles en libre accès dans des archives ouvertes. Les Jedi de l'Open Access appelent cela de l'auto-archivage. Parce qu'on n'a pas le temps d'attendre que d'autres le fassent à notre place. Parce qu'il n'y a qu'un Bernard Rentier et que j'ai cessé d'espérer qu'un jour nos présidents d'université ou leurs vices (présidents s'entend) seraient capables de se saisir de l'urgence absolue des questions de mandat obligatoire de dépôt, trop occupés qu'ils sont à tenter de se dépêtrer des outils de pilotage comptable à l'aveugle que leur ont assigné les différents gouvernements qui se sont jusqu'ici succédés, trop occupés qu'ils sont à régler des problèmes de budget de photocopieuses. Parce que c'est très égoïstement le meilleur moyen d'avoir accès à de la documentation scientifique de qualité. Parce que c'est très altruistement le meilleur moyen d'autoriser cet accès à ceux qui en ont le plus besoin et le moins les moyens.

Skywalker is writing. Skywriting is (a) walker

J'aime bien les mots. Même quand ils ont valeur de slogan. Les mots pour ce qu'ils dégagent de zone de glissement, d'évocation. J'aime bien aussi les Jedi. Parce qu'ils ont bercé mon enfance. Les seuls Jedi que je connaisse sont des personnages de fiction. Dont la dynastie Skywalker. Dans le vaste monde des Jedi de l'Open Access, on évoque souvent non une dynastie mais une pratique dite de "skywriting". Ecrire dans le ciel. On m'a beaucoup reproché de jouer les chevaliers Jedi. On m'a souvent proposé de rejoindre le côté obscur de la force. Faudra quand même que j'en parle à mon psy.

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