(les diapos de mon intervention sur "l'industrie lourde de la dématérialisation" n'étant pas très lisibles, je republie ici sous forme texte le début du scénario de science-fiction réalité-anticipée qui figurait au début)
Science-fiction ?
Nous sommes en 2015. Dans sa maison, un homme enregistre sur le dernier
disque dur de la dernière tablette de la planète, le dernier document
écrit de la planète. C’est un fichier word.
15 ans plus tard …
Il n’y a plus sur terre aucune copie physique d’aucun document, d’aucune image, d’aucun film. L’ensemble de nos données personnelles, l’ensemble des biens culturels de la planète, films, DVD, disques, musique, livres, BD, sont disponibles, en ligne, et à la demande, sur des écrans géants holographiques ou via des lunettes Google Glasses.
Les musées ont tous disparus. Ce sont désormais Facebook et Apple qui décident des critères de ce qui est ou non une œuvre d’art, ainsi que des règles sociales régissant les tabous et les interdits.
La totalité des ordinateurs personnels, tablettes, etc a disparu. Il ne reste plus que des life-phones. L’écriture manuscrite a également disparue. Ainsi que l’écriture tapuscrite, sur les anciens claviers, également envolés. Remplacées par la commande vocale.
Grâce à l’informatique en nuage (cloud computing) les opérateurs de l’accès savent en permanence ce que nous lisons, ce que nous regardons, ce que nous écoutons, quels passages nous soulignons dans les livres, etc.
Nous ne « possédons » plus rien puisque nous n’achetons plus que la possibilité d’accéder à quelque chose. En me couchant hier soir ma « bibliothèque numérique » comprenait 17 livres. En me réveillant ce matin elle n’en compte plus que 4, dont 3 nouveaux que je n’ai jamais commandés mais que je lirai quand même. Peut-être.
Les cinémas et multiplex ont disparu mais l’industrie cinématographique ne s’est jamais aussi bien portée. Des caméras intégrées aux téléviseurs holographiques, nous filment en permanence, pendant que nous regardons des films en streaming, et facturent ensuite cette « séance » en fonction du nombre de personnes présentes dans la pièce ou assises sur le canapé.
L’ensemble de nos comportements en ligne, de nos intentions d’achat, de nos envies de sorties ou de rencontres sont déjà prévus, à l’heure près. Il est également possible de prévoir l’évolution de nos idées politiques, de nos préférences sexuelles ou religieuses. Une nouvelle science s’est d’ailleurs créée, baptisée « la science du gouvernement par anticipation »
Les « moteurs de recherche » ont été remplacés par des « moteurs de suggestions » : il est devenu impossible de poser une question, une simple « requête » composée de plusieurs mots. On entre désormais une seule lettre et le moteur nous affiche la liste des questions les plus fréquemment posées, et, instantanément, les réponses qu’il a sélectionnées, réponses qui ne sont valables que pour nous, qui n'ont plus rien à voir
avec une quelconque objectivité, qui ne viennent, au mieux, que
renforcer nos propres croyances ou, au pire, nous dire quoi penser. Les stéréotypes, y compris les pires, n'ont jamais été aussi pregnants, aussi insidieux.
Les déclarations de naissance et de décès s’effectuent sur Facebook. Chaque nouveau-né dispose ainsi de son profil personnel et à son décès, chaque individu voit son compte se transformer en mémorial.
Le capitalisme financier s’est effondré, remplacé par le capitalisme linguistique. Ce sont désormais les moteurs de recherche qui contrôlent l’entrée dans le dictionnaire de nouveaux mots. Nouveaux mots dont ils fixent ensuite le prix aux enchères. Chaque individu est alors taxé une fois par an (via un paiement sans contact opéré par la puce sous-cutanée de son Facebook ou via son life-phone) en fonction des enchères et de son taux d’utilisation des mots (vu que toutes les « commandes » vocales sont enregistrées par les opérateurs) : c’est ce que l’on nomme le revenu linguistique. Il a totalement remplacé l’ensemble des autres impôts et prélèvements sur le revenu.
Et maintenant la version avec, en liens, les passages ne relevant pas uniquement de mon imagination débordante …
Nous sommes en 2015. Dans sa maison, un homme enregistre sur le
dernier disque dur de la dernière tablette de la planète, le dernier
document écrit de la planète. C’est un fichier word.
15 ans plus tard …
Il n’y a plus sur terre aucune copie physique d’aucun document,
d’aucune image, d’aucun film. L’ensemble de nos données personnelles,
l’ensemble des biens culturels de la planète, films, DVD, disques,
musique, livres, BD, sont disponibles, en ligne, et à la demande, sur
des écrans géants holographiques ou via des lunettes Google Glasses.
Les
musées ont tous disparus. Ce sont désormais Apple et Facebook qui
décident des critères de ce qui est ou non une œuvre d’art, ainsi que
des règles sociales régissant les tabous et les interdits.
La totalité des ordinateurs personnels, tablettes, etc a disparu. Il ne reste plus que des life-phones.
L’écriture
manuscrite a également disparue. Ainsi que l’écriture tapuscrite, sur
les anciens claviers, également envolés. Remplacées par la commande
vocale.
Grâce à l’informatique en nuage (cloud computing) les opérateurs de
l’accès savent en permanence ce que nous lisons, ce que nous regardons,
ce que nous écoutons, quels passages nous soulignons dans les livres,
etc.
Nous ne « possédons » plus rien puisque nous n’achetons plus que
la possibilité d’accéder à quelque chose. En me couchant hier soir ma
« bibliothèque numérique » comprenait 17 livres. En me réveillant ce
matin elle n’en compte plus que 4, dont 3 nouveaux que je n’ai jamais
commandés mais que je lirai quand même. Peut-être.
Les cinémas et
multiplex ont disparu mais l’industrie cinématographique ne s’est
jamais aussi bien portée. Des caméras intégrées aux téléviseurs
holographiques, nous filment en permanence, pendant que nous regardons
des films en streaming, et facturent ensuite cette « séance » en
fonction du nombre de personnes présentes dans la pièce ou assises sur
le canapé.
L’ensemble de nos comportements en ligne, de nos
intentions d’achat, de nos envies de sorties ou de rencontres sont déjà
prévus, à l’heure près. Il est également possible de prévoir l’évolution
de nos idées politiques, de nos préférences sexuelles ou religieuses.
Une nouvelle science s’est d’ailleurs créée, baptisée « la science du
gouvernement par anticipation »
Les « moteurs de recherche » ont été remplacés par des « moteurs de
suggestions » : il est devenu impossible de poser une question, une
simple « requête » composée de plusieurs mots. On entre désormais une
seule lettre et le moteur nous affiche la liste des questions les plus
fréquemment posées, et, instantanément, les réponses qu’il a
sélectionnées, réponses qui ne sont valables que pour nous, qui n'ont plus rien à voir avec une quelconque objectivité, qui ne viennent, au mieux, que renforcer nos propres croyances ou, au pire, nous dire quoi penser. Les stéréotypes, y compris les pires, n'ont jamais été aussi pregnants, aussi insidieux.
Les déclarations de naissance et de décès s’effectuent sur Facebook.
Chaque nouveau-né dispose ainsi de son profil personnel et à son décès,
chaque individu voit son compte se transformer en mémorial.
Le
capitalisme financier s’est effondré, remplacé par le capitalisme
linguistique. Ce sont désormais les moteurs de recherche qui contrôlent
l’entrée dans le dictionnaire de nouveaux mots. Nouveaux mots dont ils
fixent ensuite le prix aux enchères. Chaque individu est alors taxé une
fois par an (via un paiement sans contact opéré par la puce sous-cutanée
de son Facebook ou via son life-phone) en fonction des enchères et de
son taux d’utilisation des mots (vu que toutes les « commandes » vocales
sont enregistrées par les opérateurs) : c’est ce que l’on nomme le
revenu linguistique. Il a totalement remplacé l’ensemble des autres
impôts et prélèvements sur le revenu.
Moralité.
Sous chacun de ces liens n'est pas le monde de demain mais celui d'aujourd'hui et déjà souvent même celui d'hier. La question est au-delà de savoir si la réalité dépasse la fiction. Elle la dépasse nécessairement. La fiction est la couche de notre réalité. Elle en accouche.
Il y a cette phrase de Paul Eluard, qui me poursuit depuis mes (lointaines) études littéraires. "Il ne faut pas voir la réalité telle que je suis". La magnifique ambivalence de ce "je" dans laquelle s'engouffre la totalité du monde et son vertige, où l'on sait avec certitude que l'on ne saura jamais si le vertige précède cette totalité ou la suit. Précisément ce vertige du réel. Cette ambigüité du monde. Cette irréalité de la perception. Il y a ce tableau de Max Ernst, éponyme.
Au premier plan duquel figure la réalité souple de notre transparence
numérique. La main levée de notre désir d'acter cette transparence,
d'affirmer que nous en avons la claire conscience. A l'arrière-plan
duquel une autre réalité s'affirme dans le reflet porté de notre ombre
première, qui précisément n'est pas notre ombre. Qui est "autre". Autre posture, autre regard, autre texture. Qui se dit semblable parce que dissemblable. De la femme, de son ombre ou de l'autre, quelle est la réalité
du tableau de Max Ernst ? Cela a-t-il d'ailleurs un sens d'y chercher
une réalité ? Il ne faut pas voir la réalité telle que nous sommes. Ou
seulement au travers du prisme pulsionnel qu'exacerbe sans cesse le
numérique, ce prisme au travers duquel s'affirme la seule réalité : nous
sommes d'abord des êtres fictionnels. De ces fictions qui forgent un réel. Qui disent le vrai. Qui l'instituent dans le rapport désormais aussi irrévocablement que technologiquement médié au monde qui les supporte.