Community Managers Will Never Die.

La rentrée 2013 sera donc celle de l'ouverture de la licence pro que j'aurai l'honneur de piloter, portée par l'université de Nantes et l'IUT de La Roche sur Yon, et centrée sur le métier de "community manager", in french in the texte, "animateur / gestionnaire de communauté".

Long live the communities.

Je voudrais dans ces quelques lignes vous expliquer quelle est la logique de l'ouverture de cette formation, et surtout pourquoi je crois qu'au-delà des débats (souvent vifs, parfois féconds), sur la pérennité de ce qui est encore en France davantage une "fonction" qu'un véritable "métier", pourquoi je crois que les métiers de la gestion et de l'animation de communautés vont non seulement perdurer mais être amenés, à l'inverse de l'idée dominante, à monter rapidement en compétence et en qualification, et, contrairement à une autre idée dominante, être de plus en plus identifiés comme des spécificités que comme des transversalités mixant un peu de communication institutionnelle, un peu de marketing, et un peu des internets.

Définition.

La définition à mon sens la plus claire, la plus synthétique, la plus enthousiasmante et la plus pragmatique également est à lire chez Pierre Lévy qui (pour ceux qui ne connaitraient pas ses travaux) est l'un des tout premiers à avoir réfléchi et théorisé la notion "d'intelligence(s) collective(s)". L'article dans lequel je l'ai puisée s'appelle : "Quelles compétences cognitives pour la société du savoir ? Utiliser les médias sociaux pour apprendre tout en développant sa pensée critique." (.pdf)

Pierre Lévy y explique que le principe de la collaboration sur internet réclame une vertu cardinale : "l'attention au réseau", déclinée comme suit : "prendre conscience des situations, contextes, communautés, mémoires locales", et surtout :

        "éviter de faire perdre du temps aux autres par l’ignorance de leurs contributions ou par la redondance et la non pertinence de nos interventions."

Une feuille de route qui me semble largement suffisante mais que je vais quand même un peu détailler.

L'attention au réseau.

La force de ce que seront les gestionnaires de communautés de demain sera précisément de parvenir à subvertir ou à s'abstraire des seules logiques de l'économie de l'attention pour les remplacer par une réelle "attention au réseau". Une attention qui ne devra pas uniquement se décliner sur le mode de la vigilance (= veille) mais à celui du "soin apporté" ; porter attention au réseau c'est aussi en "prendre soin" et l'investir en connaissance de cause, c'est à dire en maîtrisant – par exemple – ses mutations les plus fondamentales (neutralité, protocoles). C'est à partir de ce soin, de cette compréhension portée à la fois vers l'infrastructure technique (le Net) et ses manifestations de surface (le web) que passeront de plus en plus des logiques pérennes de déploiement et d'animation de communautés à la fois stables, identifiables, réellement "contributives" plus que simplement "participatives" et, à l'image du réseau lui-même, en reconfiguration permanente.

Dit autrement : profiter de cette "attention au réseau" pour dépasser le cadre marketé d'une "économie de l'attention" et investir à côté des ingénieries relationnelles qui raflent pour l'instant l'ensemble de la mise, le terrain d'une "économie de l'intention" au sein de laquelle seule la reconnaissance du besoin d'une qualification / médiation humaine permet d'amorcer des logiques contributives intéressantes et capitalisables.

De l'infodoc à l'infoData

Ces métiers de l'animation de réseaux ne pourront assurer la place qu'ils méritent qu'à la condition que se développent en parallèle et en synergie deux autres approches, à la fois complémentaires dans leurs enjeux, et spécifiques dans leur coeur de formation. Ces deux autres métiers sont les suivants :

  • architectes de l'information
  • Data Scientist

Pour les architectes de l'information, le mouvement déjà très présent outre-atlantique s'amorce doucement en France, notamment (et hélas exclusivement à ma connaissance) via l'ouverture à Lyon d'un master "architecture de l'information" (l'occasion de revisionner mon intervention effectuée pour l'école d'été en Architecture de l'information).

L'autre pôle regroupe des dénominations aussi anglo-saxonnes que "analyste Big Data" ou "Dataviz", bref tout ce que l'on regroupe sous le terme de Data Scientist. Les formations à ces métiers là sont pour l'instant (et toujours à ma connaissance) totalement absentes en France alors qu'elles prospèrent et sont identifiées comme stratégiques depuis déjà 2 ou 3 ans aux Etats-Unis. Il s'agit pour l'essentiel de former de professionnels capables de faire parler les données, de les scénographier, de travailler les outils amont permettant leur interopérabilité et, en aval, leur appropriabilité, tant il reste vrai, comme le faisait remarque Daniel Kaplan que : "les utilisateurs ne se mettront à contrôler leurs données  que si on leur propose d'en faire usage".

Contrôle des données "personnelles" qui m'amène logiquement au second pilier de la formation.

Identité numérique.

Le second "pilier" de la formation sera naturellement consacré aux
enjeux de l'identité numérique et/ou de l'e-reputation (cf ce
magnifique ouvrage
pô cher du tout en POD et total free gratos en ligne). Là encore, au-delà des seuls outils et
méthodologies permettant d'assurer une veille constante pour un individu ou une collectivité, et de mesurer le cas échéant
les ripostes (graduées ou non) à apporter à d'éventuelles attaques ou
mises en causes, il s'agira surtout de pouvoir disposer d'une
compréhension fine des logiques et des ingénieries de la représentation
et/ou de l'exposition de soi (individu ou collectivité) qui régissent
l'ensemble des processus de publication sur le réseau.

L'importance de l'éthique dans les NTAD**.

**NTAD : nouvelles technologies de l'attention et de la distraction. Que je préfère largement à la dénomination TIC

Après avoir vécu les années 2005-2010 dans la "société des requêtes", nous sommes entrés dans la société des réponses ( et ) : nous y emmènent et nous y plongent l'informatisation du monde (y compris du monde des objets) et l'ère des Big Data. Un moment du réseau empli de commentaires, d'avis, des réponses aussi diverses que pléthoriques, le tout sous la coupe calculatoire des algorithmes de quelques sociétés contrôlant l'ensemble des interactions connectées, et l'instrumentalisant au moyen de systèmes de recommandation et de personnalisation de plus en plus "discrétionnaires" et nous offrant de la réalité du monde une perception de plus en plus "dégradée."

Ton avis c'est ta vie.

Or c'est un fait largement connu et documenté qu'une partie significative de ces avis et systèmes de recommandation seront largement "bidonnés". Il est donc essentiel dans la gestion des communautés de pouvoir disposer d'une éthique permettant non seulement de comprendre comment elles fonctionnent (psychologie des foules – et de l'individu – adaptée au média internet), mais comment les ramener à des niveaux d'authenticité ou de personnalisation qui ne soient plus uniquement fondés sur une appartenance géographique hyper-territorialisée (= géolocalisation) ou sur des calculs statistiques à très large échelle (= systèmes de recommandation en général). Ainsi qu'à l'inverse, être capable de comprendre, d'analyser et au besoin de contourner les logiques calculatoires imposées (à la manière dont le Google Bombing permit un temps de contourner la prime à l'exposition inhérente au PageRank).

Pour des métiers "données".

Lors de mon intervention sus-mentionnée dans le cadre du "Master architecture de l'information", je faisais part du constat selon lequel le passage d'une approche "documentaire" à une approche "computationnelle" obligeait à revoir la perspective classique des "données" agrégées en "informations" nourrissant elles-mêmes des champs de "connaissances" pour s'intéresser de près à la manière dont des données de nature, d'étendue et aux possibilités d'appropriation radicalement différentes (big data) constituent le champ d'expression et d'exposition privilégié (même à leur corps défendant) d'individus ou de collectivités qui ont alors besoin d'instancier cette présence au monde numérique au travers de traces documentaires dont il faut étudier la manière dont nous pouvons ou non aujourd'hui en faire collection, ainsi que le sens à donner auxdites collections constituées.

Diapositive64

Cette mutation essentielle peut et doit être prise en charge par le tryptique de ces métiers "données", dont seule la synergie et le développement conjoint permettront aux citoyens, aux collectivités, aux acteurs économiques et aux états, d'accompagner intelligemment et sereinement la transition numérique dans laquelle ils se trouvent irrévocablement engagés.

Illustration.

Diapositive65

Autour de ces trois piliers – "attention au réseau", "identité/présence numérique" et "éthique des NTAD" – et en convergence avec les horizons de l'architecture de l'information et l'analyse des Big Data, voilà pourquoi je crois énormément dans ce qui n'est certes aujourd'hui qu'une petite goutte d'eau, qu'un premier pied dans l'engrenage, mais qui me semble essentiel – cette licence pro donc – un VRAI métier dont la réduction à des missions de stagiaires animant (mal) des pages Facebook (moches) tout en modérant (à la truelle) des commentaires (insultants) me hérisse de plus en plus le poil que j'ai par ailleurs d'habitude assez soyeux.

Moralité.

Si tu veux des VRAIS community managers, alors propose nous (vite) des contrats d'apprentissage. Ah oui, parce qu'accessoirement, paraît que c'est la crise et qu'on a besoin de thunes. Grave.

3 commentaires pour “Community Managers Will Never Die.

  1. En fait il commence à y avoir pas mal de Master de type « Big Data » mais ils ont des appellations différentes. Il n’y a pas de traduction satisfaisante.
    Grandes masses de données
    Analyse de données complexes
    Extraction de connaissances à partir de données (avec le LINA)
    Les écoles d’ingénieur sont sur le créneau
    Parfois ce sont aussi des formations issues du domaine des statistiques

  2. Je vous souhaite beaucoup de réussite pour cette rentrée qui vous attend et pour cette belle entreprise.
    Si, en plus de produire des documents vantant les bienfaits de votre formation, vous éditiez un fascicule qui permettrait de faire entendre à des dirigeants obtus qu’il est inapproprié de confier la défense de l’identité de leur marque aux sus-cités stagiaires (ou pire), ça permettrait de préparer le terrain au sein des entreprises pour accueillir les gens visiblement de qualités que vous vous apprêtez à lâcher sur le marché.
    Parce qu’aujourd’hui (et j’en sais quelque chose) le message est encore très loin d’être passé. Le p’tit neveu qui s’y «connait très très bien pour facebook et twitter» suffit souvent…
    Bonne chance de votre coté, je continue à creuser mon tunnel à la p’tite cuillère de mon coté. Rendez-vous au milieu ! u.u;

  3. Salut Olivier,
    Bravo et bon vent pour ce nouveau diplôme ! Une brique de plus dans la rénovation des formations en sc de l’info. A quand des ischools ?
    100% d’accord sur l’éthique, valable aussi pour les architectes de l’info qui ne sont pas là que pour optimiser la captation de l’attention à des fins mercantiles, mais bien pour construire un nouveau contrat de lecture/écriture.
    Petit point de désaccord sur ton poil soyeux…

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