Billet (très) énervé et rédigé (très) à chaud. A prendre donc comme tel. Ni plus, ni moins 🙂
Grand bruit dans le monde de l'enseignement supérieur. Le groupe "Europe écologie les verts" a fait passer au sénat un amendement entraînant la suppression de la procédure de qualification dans le recrutement des enseignants chercheurs (pour un rappel de la longue histoire autour du débat sur la qualification, voir chez Pierre Dubois)
ça se passe comme ça chez mac donald à la fac.
Pour les non-initiés, pour devenir maître de conférences à l'université il faut d'abord passer un doctorat (une thèse), et là un jury de spécialistes t'accorde en général la mention très bien. Ensuite, tu dois présenter un dossier expliquant :
- ta spécialité que t'es le chef du monde sur le sujet (donc ta thèse),
- tes activités d'enseignement (la plupart du temps les cours que ton directeur de recherche t'envoie faire à sa place parce que ça le saoûle),
- tes publications (les articles que ton directeur de thèse de fais rédiger pour pouvoir les cosigner avec toi dans des revues où il a plein de potes),
- et tes tâches administratives (preuves de ton dévouement à l'université mesurables essentiellement au travers de différentes tâches administrativo-pédagogiques que ton directeur de thèse te confie afin de pouvoir courir le monde de colloques en colloques pendant que tu te colles d'imbitables emplois du temps que les secrétariats administratifs n'ont plus le temps de gérer ou d'improbables dossiers de projets de recherche divers qui se feront de toute façon bananer si ton directeur de thèse ne siège pas à l'AERES ou si leur ROI n'utilise pas les crédits issus du retour sur amortissement permettant de financer les nouveaux investissement).
Voilà donc le contenu du dossier de qualification que tu envoies au CNU. Lequel CNU, composé d'instances disciplinaires (les "sciences du langage", la psycho, les lettres, les mathématiques, la physique, etc …) regroupant des professeurs mandarins et des maîtres de conférences réduits à l'esclavage au moyen de tâches subalternes, émet un avis sur ton dossier pour te dire si t'es qualifié ou non. Si t'es qualifié, alors ça y est, tu peux envoyer ton dossier de candidature (le vrai, celui pour être embauché et avoir un vrai travail) dans les universités, si bien sûr tu trouves un poste correspondant à ton profil et sur lequel il n'y a pas déjà de candidat local, et si ton directeur de thèse a suffisamment de potes dans les jurys de recrutement desdites universités (jurys qu'on appelait avant "commission de spécialistes" et qu'on appelle maintenant "comités de sélection").
Donc voilà. En maintenant on parle de supprimer la procédure de qualification au motif qu'elle est trop coûteuse (mouais …), qu'elle n'existe qu'en France (ok), et qu'elle constitue un doublon inutile par rapport à l'avis du jury de thèse (ben … non en l'occurence ça n'a rien à voir puisque le jury de thèse ne juge que ta thèse, alors qua la qualif permet de juger tes publications à côté de ta thèse, tes activités d'enseignement, tes tâches administratives, etc.).
Mon avis c'est que c'est juste débile.
Mais pas débile pour les arguments le plus souvent corporatistes relayés dans cette pétition ou dans les communiqués de presse repris sur cette page. C'est débile parce que cela ne conduira qu'à amplifier encore davantage le foutoir pourtant déjà ubuesque des processus de recrutement à l'université. Processus dans lequel on considère que des gens (les membres des "comités de sélection") ont les compétences et capacités à mener un entretien de recrutement qui engage une structure publique pour au moins 40 ans, parce qu'ils se sont principalement occupés du choix de l'option latin de leur progéniture en cinquième, et dans lequel ces mêmes gens :
- lisent vite un dossier scientifique que tu leur a envoyé sans rien vérifier de l'exactitude des éléments portés,
- puis te posent une question sur ton statut marital et ta mobilité géographique (à laquelle tu réponds évidemment que "non, non si tu es recruté comme maître de conférences au Havre, ils peuvent se brosser, tu vas quand même pas déménager de Toulouse, faut pas rêver mon gars"),
- vérifient ensuite qu'il n'y a pas déjà un candidat local à faire passer dont le directeur de thèse (ou un de ses copains) appartient au jury de recrutement,
- et donc ne te recrutent en général pas, ou alors si mais principalement sur la seule évidence de ta bonne foi dans l'engagement mis à faire correctement le job en acceptant de déménager dans ladite ville et à accepter pour tes premières années dans le métier l'ensemble des tâches administratives et des cours que tes charmants collègues ne veulent pas.
Mais comme c'est quand même en général pas bien violent, comme c'est relativement bien payé, qu'il y a la sécurité de l'emploi (ou pas), que tu ne sais faire que ça, et que comme de toute façon si par bonheur tu es "classé 1er", t'as peu de chances (aucune en fait) de trouver un autre poste plus intéressant dans une autre université plus intéressante située dans une ville au climat plus sain, ben forcément tu acceptes et tu commences à mettre des cierges à Sainte Marie des mutations et Saint Joseph de l'avancement de carrière.
Pour résumer, la plupart du temps, les bons étudiants en thèse (mention très bien minimum), c'est à dire la très grande majorité des étudiants en thèse en France obtiennent leur qualification en deux tentatives maximum. Ensuite ils ne sont en aucun cas recrutés sur leur talent, leur expertise scientifique (bon d'accord parfois si), ou leur capacité à filer des cours dans un amphi de 250 personnes ou dans des groupes TP de 15 étudiants, mais sur l'absence de candidat local (ou le présence de deux candidats locaux soutenus par des mandarins différents), par un jury ad hoc parfaitement incompétent en matière de recrutement, qui les recrute donc essentiellement sur leur profil "recherche" et en se souciant comme d'une guigne de leur capacité à enseigner (ce qui constituera pourtant au moins au début de leur carrière, les 3/4 de leur métier).
Franchement, en l'état actuel des choses, le seul intérêt de la procédure de qualification est de permettre de repérer quelques thèses un peu trop louches (c'est déjà pas mal), et d'établir une zone "tampon" pour éviter que dès leur thèse obtenue tout le monde se jette sur les postes ouverts au recrutement, ce qui viendrait accroître un taux de pression à l'entrée déjà hallucinant (j'ai plus les stats et elles sont variables selon les disciplines, mais compter en moyenne une trentaine de candidats pour un poste, souvent beaucoup plus, très rarement moins – et là vous me dites, "ben c'est pas tant que ça" -, sachant que ledit poste est en général hyper hyper hyper hyper spécialisé et profilé pour convenir à un seul et unique candidat – local si possible).
Il faudrait aussi supprimer la guerre (c'est mal) et la tranche de concombre dans le hamburger (c'est pas bon).
Donc je me moque que la procédure de qualification soit ou non supprimée. Le recrutement à l'université est un processus global qui fonctionne mal parce que l'ensemble des rouages du système est mal pensé et mal mis en place. Un peu comme si ton plombier t'expliquait qu'il va remplacer une dérivation de ton circuit de chauffage par une autre dérivation plus courte et plus rapide. Comme t'es pas plombier, t'es plutôt tenté de lui faire confiance. Sauf que si à la base ton plombier à un diplôme de maçon, si les salariés de son entreprise sont tous des plaquistes de formation, et si ta maison est équipée de radiateurs à gaz et que t'as une chaudière au fioul, même en changeant le circuit de dérivation, y'a des chances que tu continues de te peler les miches en plein hiver.
La suppression de la procédure de qualification relève de la même logique. Au mieux ça fonctionnera encore plus mal qu'avant, au pire, ça fonctionnera moins bien.
Le plus énervant dans cette affaire, c'est que cela fait déjà plus de 10 ans qu'à grands coups d'états généraux, d'assises de la recherche et autres grands raoûts organisés par les différents ministres en place avec ou sans l'adhésion des enseignants-chercheurs eux-mêmes et l'appui de leurs réprésentants syndicaux ou associatifs, cela fait déjà plus de 10 ans que des propositions "systémiques" sont sur la table pour changer et faire évoluer globalement le processus de recrutement à l'université. En gage de ma bonne foi j'ai même de mon côté publiquement reconnu que les plus incompétents des ministres sur le sujet avaient été capables de lister des propositions intéressantes – habilitation à diriger des enseignements – en la matière (bisoux Valérie). Au lieu de cela on continue de saucissonner le système, on enlève une pièce par ci, on en rajoute une autre par là, on prend un grand soin à maintenir les rares éléments du systèmes unanimement décriés et qui plombent objectivement ses finances (bisoux l'AERES), et on met des cierges en espérant que ça ne va pas trop s'emballer et partir en vrille en misant sur la force d'inertie du cadre institutionnel dans lequel officient les principaux acteurs concernés par le recrutement, inertie qu'alimente grandement les logiques de reproduction sociale (bisoux Bourdieu) qu'ils s'escriment à grands coups de mandarinat à maintenir efficientes.
La vérité est ailleurs.
Commençons donc par confier le recrutement des universitaires à des pairs "formés" sur cette question, organisons ledit recrutement sur des logiques d'expertise en recherche et de compétence en enseignement. Luttons réellement contre le fléau du localisme. Raisonnons sur des logiques pluri-annuelles ET systémiques. Cessons surtout de croire qu'un universitaire est un enseignant qui enseigne en sachant transmettre sa passion plutôt que de filer les photocopies du Que Sais-Je qu'il a rédigé il y a 10 ans + un chercheur qui trouve + un DRH compétent + un gestionnaire de système d'information efficace + un manager d'équipe à la fois ferme, humain et responsable + un commissaire aux comptes honnête + un secrétaire administratif dévoué et bénévole + un expert comptable capable de gérer intuitivement des bugdets de dizaines de milliers d'euros + quelques autres choses encore que j'oublie sur le moment.
Et plutôt que d'envisager la suppression ou le maintien de la procédure de qualification, commençons sérieusement à envisager d'arrêter les conneries. Non mais.
<Update> à lire aussi l'excellent billet de Christophe Benavent </Update>
<Mise à jour du soir> Bon ben finalement le communiqué suivant commence à circuler sur différentes listes :
"Les sénatrices et Sénateurs écologistes ont proposé, dans le cadre du débat de la loi ESR dans un amendement d'alerte, un amendement pour la suppression de la procédure de qualification nécessaire en France pour que des docteurs puissent devenir candidats à des postes d'enseignants-chercheurs. C'est une spécificité française.
Dans un souci de coordination nous avons proposé la suppression du CNU comme instance de qualification (et non le CNU en général instance de gestions des carrières des EC). Cette suppression de la qualification correspondait à une proposition des assises reprise dans le rapport Berger.(N° 126).
Après 24 h de débat en séance, en l'absence de très nombreux collègues, et par une conjonction assez improbable de votes, le CNU a été supprimé dans sa totalité !
Les bons observateurs auront vu l'incohérence des votes successifs, l'un soutenant la proposition, l'autre la faisant tomber. Nous pouvons vous rassurer, cette mesure tombera en Commission mixte partiaire mercredi, cet amendement ayant été refusé en Commission au Sénat, et ayant été voté contre l'avis du gouvernement et contre l'avis de la rapporteure.
L'émotion provoquée ne s'est manifestée qu'après le vote.
Le débat riche sur la qualification mérite d'être poursuivi après le vote de la loi sur les avantages et inconvénients de cette particularité français et qui fait débat.
Corinne Bouchoux, Marie Blandin, André Gattolin Sénateurs -trices EELV membres de la Commission Culture"
Et tout en réactivité, le communiqué développé sur le site EELV (avec de vraies questions dedans, mais aussi quand même avec un peu de langue de bois et de rétro-pédalage qui se voit, mais bon …)
Le faux problème est donc réglé. Reste juste à régler le vrai …
</Mise à jour du soir>
Merci !!
Enfin un commentaire sensé sur cette histoire… C’est en effet débile, et en effet, globalement on s’en fout, c’est un faux problème. Quand on lit dans les communiqués que la qualif est « garante de la qualité des candidats », on se demande s’il l’on doit pouffer ou s’étrangler… Très touchant aussi de voir tout le monde unanimement hurler contre le localisme — mais sur le terrain, rien ne bouge.
Les procédures de recrutement marcheront mieux le jour où on acceptera d’y consacrer du temps et de l’argent — plus interdiction pure et simple du localisme (ça marche dans certaines disciplines, cf. les maths).
b.
Je m’insurge. Le concombre dans le hamburger, c’est bon. Pour le reste, je suis d’accord.
Tout à fait d’accord avec l’article. La qualif n’est rien de plus qu’un vague filtre qui évite aux comités de se farcir 200 dossiers au lieu de 80. En revanche, elle n’empêche jamais le localisme. Une vraie blague!
Pour ce qui est du concombre dans le hamburger, il me semble que l’on met généralement des tranches de gros cornichons aigre-doux qui sont très bons et apportent vraiment quelque chose, contrairement à la qualif.
Sauf erreur de ma part, aucune section CNU ne précise les critères qui président à la qualif ou à la non-qualif. A mon sens, dans certaines sections, c’est la composition du jury qui prévaut (cf. « our commencer, je voudrais raconter une expérience. J’ai été quatre ans membre d’une section CNU. […J]e me suis livrée dès la première année à une petite expérience, un peu perverse, il faut bien le reconnaître : prédire, en ayant connaissance seulement des membres du jury de thèse, quels seraient les dossiers qualifiés et quels seraient les dossiers non qualifiés dans le lot de dossiers qui m’étaient attribués. (Pour les thèses faites à l’étranger, je m’autorisais à ne rien prédire.) Croyez-le ou non, mes prédictions ont toujours été exactes. » Sophie Roux in http://academia.hypotheses.org/1108); et juste derrière le rapport de thèse. En histoire, un PR d’Antique m’avait indiqué il y a longtemps qu’il fallait aussi avoir enseigné. Et vu le précédent cette année, inventer des publis est une raison suffisante pour ne pas qualifier.
En l’absence de critères explicites, je ne suis pas sûre que l’évaluation pour la qualif soit différente de celle de la thèse. Qui plus est, il ne peut y avoir de recours contre la décision souveraine de la section.
Titulaire d’un doctorat en sociologie, obtenu avec la mention « Très honorable » mais sans plus (ce qui est d’ailleurs mérité puisque je ne visais pas à continuer dans la recherche ni même initialement à faire une thèse), non qualifié (donc disqualifié) et non publiant (je publie des articles, mais pas là où il faut…), je travaille pourtant comme enseignant contractuel pour et dans une université depuis maintenant près de sept ans… Chaque année, après une période d’angoisse de plusieurs mois allant crescendo (mon poste sera-t-il reconduit ?), on m’informe que mon contrat de travail est renouvelé pour encore un an, mais que ce sera la dernière fois… En dépit de mon profil d’outsider (je ne suis pas issu de l’université qui m’a recruté et me re-recrute chaque année) et de loser de la recherche (même pas qualifié, non publiant, etc.), qu’est-ce qui fait que je suis toujours dans le circuit universitaire ? Mon atout majeur, c’est que je suis l’un des rares à vraiment enseigner, à s’impliquer pédagogiquement auprès des étudiants, à s’assurer de leur suivi et même de leur insertion professionnelle pour ceux de certaines filières, mais aussi… à accepter les cours que personne ne veut faire. A l’université, quand je regarde autour de moi, c’est à qui publiera dans les revues les plus en vue dans la discipline, à qui réussira à obtenir telle ou telle responsabilité (ça fait bien dans son CV d’être « responsable de » et donc du bien à sa carrière), à qui réussira à créer son master (au fait, quid des débouchés ?), etc. Au fond, l’enseignement et les étudiants ne comptent pas vraiment ou si peu, et la recherche scientifique se résume bien trop souvent à l’obtention de fonds pour la réalisation de projets dont on tire des articles qui seront lus uniquement par quelques-uns de ses pairs de la même discipline… (moi qui pensait que la science doit publique et qui milite par ailleurs pour la science participative, autant dire que ça me dépite). Le monde universitaire français est un monde très égo-centré, un monde où l’évaluation et la compétition individuelle règnent déjà en maitre et contribuent à renforcer cet égocentrisme, où l’enseignement (et sa qualité) et les étudiants (et leur réussite et insertion sur le marché de l’emploi) ne sont que des prétextes pour la réalisation d’objectifs très personnels… La loi LRU avait comme mérite de mettre à nu et d’exacerber cela. Avec la suppression de la qualification, les (avant) derniers éléments institutionnels d’oligarchie sont brisés et c’est tant mieux ! Vive l’individualisme anomique et allons à présent jusqu’au bout des contradictions d’un monde universitaire français schizophrène (ou rongé par la mauvaise foi) ! Comme vous l’aurez compris, je ne supporte pas le monde universitaire français d’aujourd’hui et tout ce qui contribue à exacerber les tensions qui le traversent me remplissent d’une joie coupable. Et pourtant, me direz-vous, c’est ce système qui me fait manger ; certes, vous répondrai-je, mais je n’ai jamais tendu la main : c’est au contraire lui qui me demande de venir manger en échange de ce que beaucoup ceux qui y sont attablés ne savent plus produire, à savoir un enseignement de qualité. Si les universités sont encore, et dans une certaine mesure, des lieux de production du savoir, elles sont devenues de piètres lieux de sa transmission.