Le web : « for Rent » ou forain ?

Nous étions en 1999. Google n'avait même pas encore un an. Le leader historique de la recherche s'appelait alors Yahoo! et mettait la main sur le 3ème site le plus visité à l'époque : Geocities, lequel hébergeait la quasi-totalité des "pages personnelles" sur le ouèbe. Deux ans plus tard (2001), Yahoo! cherchait à monétiser ce service jusqu'ici gratuit (et donc non-rentable) en y introduisant un modèle freemium. Dix ans plus tard (2009), Yahoo! fermait définitivement le service et avec lui un pan entier de l'histoire du web.

Geocities

Cette histoire est là pour nous rappeler plusieurs choses.

D'abord qu'au-delà du clinquant, des frames, de la ballise <blink> et des gifs animés, il est des biotopes sur le web dont la valeur patrimoniale est indéniable, à la fois parce qu'ils ont permis à tout le reste d'exister, à chacun de profiter de la promesse originelle du web, et qu'ils en constituent aujourd'hui la seule mémoire (heureusement partiellement archivée ici).

Ensuite que l'internet des silos (ou le web des "jardins fermés") a commencé très tôt. Le rachat de Geocities pas Yahoo! me semble même en être l'acte fondateur.

Enfin, et peut-être surtout, que nous sommes aujourd'hui entourés de Geocities du XXIème siècle. Ils ont pour nom TumblR, FlickR, Pinterest, etc. Et que l'avenir de chacun d'eux n'est aucunement plus assuré que ne le fut celui de leur glorieux ancêtre.

King Content VS Data Diktat

Oublier ces 3 aspects, ne pas se donner les moyens de constituer et d'abriter ce "patrimoine du temporaire", ne pas réfléchir aux moyens de se prémunir collectivement de l'approche prédatrice des "Big Four" (Google, Apple, Amazon, Facebook), ne laisser comme seul espace de porosité ou de percolation entre ces biotopes informationnels que celui de la publicité et des régies affiliées, nous condamne et nous enferme irrévocablement. Nous condamne et fait le lit – qui n'a pourtant besoin de personne – de l'installation de couches basses aliénantes du réseau constituées par un annuaire, des applications et – demain – des objets connectés. Le web comme une somme d'applications propriétaires et excluantes, qui concourrent d'ailleurs toutes à fixer notre attention, ailleurs que sur le web.

Pour un web forain.

Bien au-delà des "Big Data" qui occupent aujourd'hui le devant de la scène et sont avant toute chose un fantastique leurre attentionnel, il faut se souvenir que le web est avant tout du "Huge Content" : une somme fantastique de contenus, explicitement produits par un nombre tout aussi fantastique d'individus, et non une somme fantastique de "données" rattachables à une somme tout aussi fantastique de "profils". De ce choix là dépend l'avenir. Les industries de la rente ne voient dans le web qu'un espace "For Rent". C'est la responsabilité de chacun d'entre nous d'un refaire un lieu forain, littéralement et pleinement "forain" : une extériorité, un écart, une "rade ouverte non protégée des vents du large", mais aussi, bien sûr, une véritable fête plutôt qu'une simple somme de jeux.

Bref, revenir aux fondamentaux : un texte visionnaire de Pierre Lévy** où il exposait les 6 principes de l'hypertexte et du réseau. Un texte de 1991. Huit ans avant que Yahoo! ne rachète Geocities.

________________________

** Lévy Pierre. L'hypertexte, instrument et métaphore de la communication. In: Réseaux, 1991, volume 9 n°46-47. pp. 59-68. doi : 10.3406/reso.1991.1831
url : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reso_0751-7971_1991_num_9_46_1831
Consulté le 30 janvier 2014

 

 

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