Le pouce bleu, l’index blanc et la main rouge. #lamainrouge

Nous y sommes. Le tout premier site "bloqué" suite aux affaires / débats / événements autour du contrôle et de la censure de l'apologie du terrorisme et autres modes d'embrigadement en ligne, s'appelle "islamic-news". Le fait que ce blocage administratif – et la visibilité qui va immanquablement être donnée à cette affaire – intervienne à quelques jours d'une élection n'est peut-être pas totalement fortuit …Bref.

Stéphane Bortzmeyer et Guillaume Champeau et Marc Rees sont les premiers à s'être collés à la tâche de l'analyse et du décryptage à chaud, et ils l'ont bien fait donc je me contente de vous renvoyer vers leurs billets :

<Mise à jour> Sur Rue89, Andréa Fradin explique – clairement – comment ça marche – techniquement : "Terrorisme : le blocage des sites internet (sic) a commencé". </mise à jour>

J'ajoute juste que bloquer ce site alors même que sa page Facebook reste active prouve une nouvelle fois la nécessité de réfléchir de manière intelligente et si possible coordonnée à ces questions complexes

Mais je voulais juste profiter de l'occasion pour souligner, autour de 3 visuels, l'évolution du réseau et des internets.

Internet 1.0

Tout commença par une main blanche, un index tendu.

Index

Internet 2.0

Cela se poursuivit par le pouce bleu du Like.

Facebook_like_thumb

Internet WTF.

Et désormais la main rouge.

Censure-gouv-fr

Bleu, blanc, rouge.

Le blanc. L'âge de l'innocence. Celui de l'index également. De l'index comme curseur, indexant l'écriture cursive nouvellement cliquable. Le clic comme espace de discours, comme nouvelle discursivité. Le temps où l'on ne se souciait même pas de l'existence des juges, ni de faire la police sur le réseau, la netiquette suffisait. Le temps où l'horizon de la publication en ligne était encore pour l'essentiel immaculé, le temps, aussi, où était en train de s'installer une nouvelle bourgeoisie, une nouvelle aristocratie de la parole en ligne, ils avaient quelque chose à dire, à partager, ils le disaient, ils l'écrivaient, le publiaient. Car tous ne publiaient pas bien sûr. Mais tous étaient curieux. 

Le bleu. L'âge du sentiment. Du pulsionnel. Des plateformes. L'âge du pouce. Le pouce de l'appréciation mais aussi le pouce qui remplace l'index dans nos scriptuaires. Sur le web on naviguait à l'index et on publiait de l'index, sur Facebook comme sur nos smartphones nous publions, nous naviguons et nous écrivons avec le pouce, nous y sommes d'ailleurs souvent "poussés". Pas par hasard si Michel Serres raconte l'histoire de la petite poucette. Mais un bleu d'ailleurs assez marine. Bleu Marine. Peut-être pas un hasard non plus, que cette nouvelle forme de fascisme, de surveillance globale, de dictature du buzz et du lol. Déportation dans le Cloud, web carcéral, chemin de ronde et écritures applicatives de nature délatoire et concentrationnaire. Bleu Marine hélas.

Le rouge. L'interdit forcément. Trop de publications, trop de gens, trop de tyrannie des agissants. Trop compliqué, trop long de demander aux juges, alors on coupe, on castre, on bloque, on administrative. C'est la main paume ouverte qui dit "Stop". On ne navigue plus. La main du gendarme, la main de l'autorité, la main de l'administration. Pas très étonnant que l'étape précédente ait été bleu marine.

Bleu, blanc, rouge. Ce vieux drapeau.

Et ces vieux mots associés : Liberté, égalité, fraternité.

Liberté blanche. Celle de cliquer. Liberté bleue, celle "d'aimer". Liberté rouge : celle de contourner la censure. Toutes les censures. Rouge comme le sang. Le prix du sang. Le prix du sang de ceux qui sont morts d'avoir voulu le faire.

Égalité blanche. Celles des contenus, de tous les contenus qui se valent. Celle de la neutralité du réseau qui le permet. Égalité bleue, celle du "ça m'est égal", j'y jette un oeil, j'y place un like puisque c'est là, mais finalement, ça m'est égal. Égalité rouge : dans les plateformes bleues, déjà la main rouge des CGU.

Fraternité blanche. Tous publiants, tous "dans" l'index. Celui du moteur. De Google. Du web. Fraternité bleue, celle du "tous amis", l'autre index, l'autre catalogue, celui des visages, celui de Facebook. Fraternité rouge. Celle qui reste hélas. Celle des combattants, du Djihad, des milices, Boko Haram, Daesh. Celle que l'on bloque. Au secret. Celle que l'on soustrait. Aux regards. La fraternité monstrueuse des combattants de Daesh ou de Boko Haram. La main rouge du blocage pour répondre aux mains coupées des fanatiques et des assassins. Vraiment ? Sérieusement ?

Bleu, blanc, rouge. Liberté, égalité, fraternité. L'index, le pouce, la main paume ouverte.

La main rouge. Ce qu'elle dit de l'histoire. La main rouge. Ce qu'elle dit de notre échec sur la question de la liberté : l'absence du passage par la case justice. La main rouge. Ce qu'elle dit de notre échec sur la question de l'égalité, de la neutralité : site bloqué ici mais page Facebook encore ouverte là. La main rouge. Ce qu'elle dit, aussi, de notre échec sur la fraternité. Sans qu'il soit hélas besoin de commenter.

Il fut un temps sur le réseau ou un seul lien était à la fois bleu, blanc, et rouge. A la fois liberté, égalité et fraternité. Il y avait cette main blanche, celle de la liberté de cliquer. Il y avait ce texte bleu, ce texte bleu et souligné, à égale distance de tous les autres puisque la notion de distance avait été abolie. Il y avait ce passage au rouge (bon d'accord au violet bande de petits chipoteurs et briseurs de métaphore visuelle), il y avait ce passage au rouge, une fois le lien cliqué, une fois visité, marqueur d'une fraternité à l'oeuvre, car pour être fraternel il faut se souvenir, de ce que l'on a vu, de ceux que l'on a rencontrés.

Il fut un temps sur le réseau ou un seul lien était à la fois bleu, blanc, et rouge. C'était il n'y a pas si longtemps. Là il y a juste cette main rouge. On voudrait pouvoir dire "Pouce" sans dire "j'aime". On voudrait refaire le lien avec la justice. Mais il y a juste cette main rouge.

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