Dead or A Like : vous n’emporterez pas vos likes dans votre tombe.

Titre alternatif de ce billet : Ou pourquoi le web nous rend immortels quand les plateformes nous tuent.

J'ai souvent, sur se blog traité la question de la "mort numérique", ou plus exactement celle de l'avenir de nos données après notre mort ("Mort numérique : choix de l'oubli et droit à la copie", "Il y a qque chose après la mort : cela s'appelle le réseau", "La mort numérique vous va si mal", "Word Wide Death : from Ashes to Data", "Le World Wide Wear : c'est pas la mort !").

Dead or A Like.

Facebook vient d'annoncer qu'il allait se lancer dans une grande opération de nettoyage des comptes inactifs, grand ménage dans le cadre duquel les "likes" attribués par des utilisateurs décédés seront supprimés des pages qu'ils – les utilisateurs – avaient "likés". L'explication donnée est la suivante : il s'agit de permettre aux détenteurs des pages en question d'avoir une vue et des données plus précises pour mieux qualifier leur audience (vu que les morts font rarement de bons clients).

Un lien ne meurt jamais.

Cette annonce démontre une nouvelle fois s'il en était besoin, qu'à la différence du lien hypertexte (remember : "Le like tuera le lien"), les "likes" sont moins des marqueurs "documentaires" exploitables comme autant d'externalités que des outils de segmentation marketing alimentant les internalités de la plateforme qui leur est dédiée (Facebook donc).

Cette annonce témoigne également de la supériorité des "liens" qui, eux, ne meurent jamais, ou en tout cas pas pour les mêmes raisons. Le problème des liens "morts", c'est à dire aboutissant à une page inconnue ou erronée ou supprimée, est apparu en même temps que le web lui-même, éprouvant tout autant la vigilance des éditeurs de sites que l'architecture d'adressage globale du réseau. Pour qu'un lien "meure", il faut que la page qu'il ciblait ait disparu ou ait été déplacée ou effacée. Mais le lien lui-même ne meurt pas. Il existe toujours sur la page source, il est toujours matérialisé et cliquable, et mieux, il désigne toujours la page cible même lorsque celle-ci a disparu, il en porte la trace.

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Quand bien même ce serait l'auteur de la page source qui viendrait à décéder que la page elle-même et ses liens demeurent actifs, activables, cliquables. Jean Véronis est mort mais son blog est toujours en ligne. Les liens qui parsèment la plupart de ses billets sont toujours actifs, ils participent toujours de cette entreprise collective inédite qui nous permet de mieux comprendre, de mieux documenter, de mieux appréhender le monde dans lequel nous vivons. Si Jean Véronis n'avait pas eu un blog mais une page Facebook, si au lieu d'utiliser des liens il s'était contenté de mettre en place des "likes" pour signaler à notre attention telle ou telle ressource, pour la partager dans la plateforme, depuis la plateforme, alors il ne resterait presque plus aucune trace de l'extraordinaire travail qu'il a pourtant accompli au travers des liens qu'il partageait avec nous.

Diamonds and Links Are Forever.

Au-delà de l'exemple de Jean et au-delà de l'annonce de Facebook, il nous faut nous poser la question de la préservation et de la pérennité de l'extraordinaire richesse que nous sommes en train de construire collectivement et que l'on appelle "le web". Des fondations comme l'Internet Archive, des financements étatiques comme celui qui alimente le dépôt légal du web à la BnF, des programmes de coopération comme celui permettant à la bibliothèque du Congrès de disposer d'une copie des comptes publics de Twitter, ont heureusement déjà commencé à traiter ce problème.

Mais à l'échelle des jardins fermés du web, qu'ils se nomment Facebook, Twitter ou même Google, la seule question envisagée est celle de savoir ce qu'ils permettront qu'il subsiste de nous en nous autorisant, par exemple, à désigner un légataire censé gérer nos données post-mortem. Ils ne se préoccupent pas du devenir collectif de cette immense et inédite collection documentaire. Et leur en faire le reproche serait à la fois vain et déplacé : ce n'est tout simplement pas leur travail, pas leur business.

Pourtant demain d'autres réseaux verront le jour, (sup)portés par ces plateformes. Ainsi, Facebook qui, en Inde avec le projet Internet.org, fournira les infrastructures de connexion et hébergera également les contenus.

Sans alternative, sans souci quotidien de préférer, chaque fois que c'est possible, les externalités du web aux internalités des plateformes, il ne restera bientôt plus grand chose de la promesse du web, sauf un délicieux souvenir, celui d'un temps où chacun pouvait, à son gré, disposer d'une page, d'une adresse, et déployer des liens à la durée de vie non-corrélée à la sienne propre, toucher, ce faisant, à une forme d'éternité dont la seule limite n'était pas uniquement celle de l'attention portée, mais aussi celle de la collection de ressources en train de s'élaborer, de se déployer, de se délier

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