Grande panne.
On connaît (sinon on se renseigne, chez Virilio notamment) la théorie de la grande panne. On connaît aussi l'un de ses avatars les plus médiatiques : le bug de l'an 2000.
On apprend hier qu'un Hacker a découvert une faille de sécurité qui lui aurait permis (il ne l'a pas fait) d'effacer toutes les vidéos Youtube. Ce n'est plus "Le jour où Youtube fermera" mais "le jour où Youtube disparaîtra."
On pourra toujours bien sûr ergoter. Sur le fait que quand même, toutes les vidéos, vu la procédure décrite, ça lui aurait pris un peu de temps. Sur le fait également que bon quand même Google a certainement des copies de sauvegarde de ces vidéos. Peut-être pas de toutes, mais au moins de … quelques-unes ? Sur le fait que bon quand même sur internet y'a un truc qui s'appelle le copier-coller, le "duplicate content", et qu'une grosse partie de la base Youtube doit être également disponible sur d'autres services, d'autres plateformes. N'empêche.
Comme le dit Virilio, chaque technologie porte en elle sa propre catastrophe. Quand on invente le bateau, on invente simultanément le naufrage.
Grand Bug.
A ce titre, la catastrophe numérique fantasmée fut longtemps celle du grand "bug". A ceci près que comme le rappelait récemment Gérard Berry dans une conférence (propos reformulés par mes soins) :
"quand on "programme", on décide d'une liste d'instructions à effectuer mais il est impossible de tester toutes les itérations de cette liste d'instructions (c'est même un peu pour ça qu'on programme et qu'on s'appuie sur les capacités de calcul dont dispose la machine et dont, par définition, nous ne disposons pas). Dès lors l'algorithme va tester toutes les combinaisons et toutes les itérations possibles, parmi lesquelles se trouvent presque nécessairement certains "bugs". Le "bug" est donc en quelque sorte "naturel", presque impossible à éradiquer."
Grande faille.
A l'ère des 3 Big (Big Brother, Big Data, Big Cloud) s'y ajoute un autre versant tout aussi probable, tout aussi catastrophiste : celui de la grande faille. Faille de sécurité de systèmes régulant des pans entiers de nos vies, de nos loisirs, de nos économies. Pas un mois sans que ne soit annoncé qu'un "hacker" a détecté une faille de sécurité importante, pas un mois sans que ne soient dérobées ou que ne "fuitent" d'immenses quantités de données personnelles, bancaires, industrielles, commerciales.
La "bug" est une catastrophe de la panique, du dérèglement, de l'horizontalité (effet domino), du mouvement (celui de l'accélération brutale ou de l'arrêt tout aussi brutal). Une catastrophe de la capacitation qui s'affranchit des limites que nous pensions pourtant avoir posées.
La "faille" est une catastrophe de la perte, de l'effacement, de la disparition. Une catastrophe de la verticalité, de l'effondrement. Une catastrophe du rebours. Une catastrophe "à rebours". Une catastrophe du détournement, de la dérobade, de l'enfouissement.
Ces deux figures contemporaines de la panne (le bug et la faille) entretiennent et expliquent à elles seules une bonne partie des fantasmes et/ou des angoisses relevant du néo-luddisme comme de l'irénisme technophile le plus béat.
Cette grande faille est à l'image de la grande faille de San Andréas sur laquelle vivent des milliers d'américains par ailleurs parfaitement conscients de l'inéluctable prochain "big one". Comme nous sommes tous parfaitement conscients qu'un Big One numérique se produira un jour, que nos données, nos biens, nos documents, nos profils y seront emportés et définitivement engloutis.
"Nous sommes à la fois les ingénieurs crédules et les béta-testeurs bénévoles d’un nouveau projet Manhattan. Un Hiroshima technologique, génétique, boursier, n’a jamais été aussi probable." que j'écrivais ici en Mai 2014 à propos du World Wide Orwell.
La grande faille de la vallée du silicone.
L'histoire adore l'humour. Surtout quand il est noir. On le sait (ou pas), la Silicon Valley est en fait installée sur l'une des régions où l'instabilité sismique est la plus forte des Etats-Unis, à portée de secousse de 3 failles, dont celle de San Andreas.
(Source : http://geomaps.wr.usgs.gov/3D4Dmapping/html/central11.html)
Voici la carte de la "Silicon Valley" en Californie.
Voici maintenant la carte de quelque-unes des entreprises emblématiques qui s'y trouvent installées et qui détiennent à elles seules sur leurs serveurs l'essentiel des données de l'humanité connectée.
Et voici une carte sur laquelle vous n'aurez pas de mal à resituer la Silicon Valley et les risques de tremblements de terre associés aux différentes failles qui l'entourent.
(Source : Wikipedia)
Nul ne sait quelle catastrophe se produira en premier. La catastrophe géologique et naturelle du Big One ou la catastrophe technologique du Big One de la faille de sécurité.
Une seule certitude en l'état : c'est autour de ce qui adviendra autour de San Andreas et de la Silicon Valley que se jouera essentiellement le destin faillible des données même les plus inessentielles de l'humanité connectée.
Sachant cela, en serons-nous plus sages ? Citoyens connectés, il n'y a pas que nos données qui y résident : nous habitons tous San Andreas.
J’ose tout de même croire (espérer) que les serveurs de stockage ne sont pas localisés dans la Silicon Valley …
non, bien sûr, de ce que l’on en sait, chacune de ces compagnies dispose de data center à différents endroits du globe et dans des zones bcp moins sismiques. Mais bon n’empêche …
Principal problème à reconnaître — et contrecarrer —, actuellement,
le renoncement au modèle de graphe interconnecté, non-orienté, du réseau des réseaux :
Permettre à tout nœeud du réseau de relayer et stocker les informations nécesaires au routage et à la sauvegarde de tout le trafic en route,
Et si on va vers du ‘cloud’,
instaurer comment stocker des copies à jour de données dans le strict respect de la neutralité du « net’sur tout client/serveur connecté …
c’est à dire ne pas se mêler de revendiquer une propriété ou une redevance sur les stockage…