World Wide Push : l’internet des objets me file des boutons.

Ils s'appellent Dash ou Flic. Et ce sont des boutons. Mais des boutons "connectés". Et il paraît que c'est l'avenir.

Le principe est simple :

"Utilisez l'application Amazon pour vous connecter à votre réseau Wifi et sélectionnez ensuite le produit que vous voulez commander avec le Dash Button. Une fois connecté, une simple pression déclenche automatiquement votre commande. Amazon envoie une notification de confirmation à votre smartphone pour que vous puissiez éventuellement annuler la commande. Par défaut, le Dash Button ne répondra qu'à une seule pression jusqu'à ce que le produit commandé vous soit livré."

Lessive

"Chérie, y'a plus de lessive." "Et bé appuie sur le bouton"

Donc tu auras le Dash bouton que tu veux : sur ta machine à laver, hop le dash bouton qui te commande de la lessive (chez amazon) quand il n'y en a plus ; sur ta cafetière, hop le dash bouton qui te commande du café (chez amazon) quand il n'y en a plus ; sur ton frigo, hop le dash bouton qui te commande des trucs que y'en n'a plus dans ton frigo (chez amazon) ; Le tout avec le petit logo personnalisé qui va bien.

Amazon annonce pour l'instant dans sa boutique presque 300 produits "boutonnables", de la couche au rasoir en passant par les sucreries et le corned-beef.

Dash

Le post-it réinventé ?

La finalité desdits boutons est donc – en gros – de remplacer les célèbres post-it du frigo, ou plus exactement de t'offrir la possibilité de désormais coller des "post-it boutons" sur ta machine à laver. Wow.

Frigo(Une remarquable thèse consacrée aux portes de frigo comme ancêtres de FlickR, est consultable ici)

Le point commun de ces différents boutons est naturellement d'être couplés avec l'application qui va bien de votre smartphone.

Externalisation de commande.

Du côté du bouton Flic, l'approche consiste à vous proposer d'externaliser un certain nombre de commandes, d'actions, de routines, en paramétrant votre bouton Flic de la manière idoine : prendre une photo, faire sonner votre smartphone pour le retrouver sous le canapé, éteindre votre réveil, allumer la lumière chez vous, mais aussi appeler un taxi, ouvrir une porte, etc.

FlicSouriez, ça va Flicer.

Coût cognitif zéro.

Les lecteurs réguliers de ce blog le savent, l'objectif de nombre des GAFA est d'alléger au maximum le coût cognitif de la moindre action, de la moindre activité de navigation ou de consultation, du moindre de nos choix. 

"(…) nous installer dans un confort cognitif fait de la libération de toute charge (cognitive). Entretenir le coût cognitif zéro, le coût cognitif nul des plus essentielles comme des plus inessentielles de nos interactions." que je disais.

L'apparition de ces boutons s'inscrit donc parfaitement dans cette logique : il était encore un peu trop coûteux – cognitivement – de se souvenir – par exemple – qu'il fallait penser à racheter de la lessive, de le noter sur un post-it ou directement dans l'une des innombrables applis de "to-do list" de notre smartphone, donc on va nous coller directement un bon vieux gros bouton sur la machine à laver pour commander directement de la lessive.

Depuis le 1er brevet d'Amazon déposé en 1997 pour son "one click ordering system" (brevet consultable ici) les plateformes web en général et Amazon en particulier n'ont eu de cesse de tendre vers un objectif zéro-clic, rêvant de laisser le champ entièrement libre au pulsionnel.

L'approche de Jeff Bezos est d'ailleurs parfaitement lisible et constitue le prolongement du "Firefly Button" équipant la dernière génération de smartphones et devant permettre de "Shazamer le monde". Un bouton désormais "découplé" du smartphone qui n'en est plus que l'interface de "programmation" pour mieux se coupler au plus près des processus de commande et des entrepôts du même Amazon.

La pulsion du bouton.

Toutes les grandes marques, tous les grands écosystèmes du web sont engagés depuis déjà longtemps dans une bataille visant à installer le pulsionnel et l' (achat) impulsif comme modalité première de notre présence au monde. Aucun obstacle ne doit se dresser entre l'instant ou nous prenons une photo et celui où nous obéissons à l'envie de la "partager". Aucun temps de réflexion ne doit empêcher de commander une pizza à partir d'un simple Tweet.

Le "Buy Button" de Google désormais annoncé comme directement inséré dans les pages de résultats en est un énième avatar.

Ce qui est frappant dans les dernières instanciations de ces "boutons" c'est la manière dont ils sont une sorte de deuxième couche d'externalisation, comme si l'objectif était de découper, d'éparpiller façon puzzle l'écran d'accueil applicatif de nos smartphones et de nous permettre d'en coller chacune des vignettes directement et au plus près des objets-cibles : plutôt que d'avoir l'application de la marque de lessive, colle le bouton te permettant d'en commander directement sur ton lave-linge.

Là où nous avions déjà accepté d'externaliser – dans le cloud, dans nos smartphones – un certain nombre d'actions, de routines, de comportements mais également de souvenirs ou de documents, un nouveau cycle d'externalisation se met en place, nouveau cycle qui, pour mieux coller à l'avènement de l'internet des objets et du web physique, fonctionne essentiellement comme un dispositif de retour au réel dans sa plus grande trivialité. Grâce à ces fameux "boutons-actions". Une externalisation de mémoires "actionnables", la volonté de mettre des lignes de commande dans notre quotidien.

La grande histoire des (petits) boutons.

L'histoire du web, son histoire contemporaine en tout cas, est celle du remplacement des logiques d'hyperliens (et la disparition subséquente des claviers) par la systématisation de boutons dits "de partage"; pour ensuite voir émerger le règne de la notification, et désormais donc, proposer un dispositif adapté au web "physique" (nos fameux boutons Dash ou Flic) lequel dispositif sera probablement également capable de remplir – à terme – les fonctions de notification (genre le bouton clignote quand tu vas bientôt manquer de lessive) et/ou de "recommandation" (genre appuie 2 fois si t'es content de la lessive que tu as commandée). Progressivement, nous avons cessé d'écrire pour appuyer sur des boutons.

Soit le cycle :

Liens > Boutons (like) > Notifications > Boutons ("physiques")

Un cycle se superposant à un autre :

Web > Web "social" > Web "applicatif" > Internet des Objets.

World Wide Push.

Après donc le World Wide Web, le World Live Web, le World Life Web, le World Wide Wear et le World Wide Orwell, voici probablement venu le temps du World Wide Push. Un supermarché de la pulsion. Et du contrôle. Car le bouton est également le stade (ultime ?) de nouvelles formes de désintermédiation qui préfèrent la facilitation à la capacitation, et qui visent surtout à masquer toujours davantage les logiques de captation et d'analyse de données et de comportements, à masquer "une architecture technique vaste, solide et rentable, sous la coupe des courtiers de données, des sociétés dont nous n’avons le plus souvent jamais entendu parlé".

"Nous avons cédé le contrôle sur ce que nous pouvons voir, ce que nous pouvons faire et ce que nous pouvons utiliser." Bruce Schneier.

Le bouton comme degré zéro de l'affordance. Un monde de boutons. Et des individus réduits au rang de pousse-bouton. A la manière dont le bouton "like" de Facebook fut l'arme de distraction massive du web dit "social", le bouton "Dash" d'Amazon pourrait être la force de frappe nucléaire des – nouvelles – pratiques de consommation de l'internet des objets et du web physique.

Une chose est sûre : la guerre des boutons ne fait que commencer. Bienvenue dans le World Wide Push.

3 commentaires pour “World Wide Push : l’internet des objets me file des boutons.

  1. D’accord sur le fond, à ceci près qu’Amazon inclut la livraison , et la livraison la plus rapide possible. Il existe une abolition temporelle, spatiale et une composante d’économie d’effort physique et non pas simplement cognitive pour arriver à ces fins. C’est la maîtrise de l’ensemble de ces criteres qu’Amazon vise. Pour l’instant il bute encore sur pas mal de points pratiques et je pense que cela ne nous correspond que partiellement sur le plan psychologique ce qui fait que comme pour beaucoup de domaines numériques ce sera vrai en complément d’autres comportements mais pas en remplacement total.

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