Vous connaissez la CPU ? La CPU c'est la Conférence des Présidents d'Université(s). L'association, le groupement qui réunit, donc, tous les présidents de toutes les universités françaises. Et la CPU, surfant sur la double vague de la prochaine loi Lemaire sur le numérique et de la récente tribune publiée dans Le Monde sur la science comme bien commun, la CPU, disais-je, vient de publier, sur son site, une tribune intitulée : "Les données de la science : un bien commun".
Bien commun ? Vraiment ???
Une tribune forte, intéressante, qui met parfaitement les doigts présidentiels sur des enjeux et des décisions à la fois absolument urgentes et absolument déterminantes pour le maintien d'une recherche publique de qualité, pour garantir l'accès aux données et aux articles scientifiques, pour qu'Elsevier arrête de saigner à blanc les bibliothèques universitaires, etc.
Et la CPU d'en appeler aux responsables politiques pour qu'ils prennent enfin les bonnes décisions, et qu'ils promulguent des lois obligeant – notamment – l'accès libre à toute publication scientifique financée majoritairement sur fonds publics, au plus tard 6 mois (pour les sciences dures) ou 12 mois (pour les SHS) après sa publication.
Le bal des faux-culs.
Non vraiment elle est bien cette tribune de la CPU. Elle est surtout d'une coupable et pathétique hypocrisie. Oui oui. Coupable et pathétique hypocrisie.
Parce que, ami Président d'université, je te le dis mais ça ne sert à rien que je te le dise puisque tu le sais déjà parfaitement, tu n'as absolument pas besoin d'une quelconque loi cadre ou d'un énième appel aux alcôves parlementaires pour décider, oui oui, décider, dans ton université, de mettre en place au moins deux des trois points qui composent ta tribune, et ce faisant, sinon sauver le monde, du moins le rendre meilleur.
Toi président d'université, tu sais (sinon ben … renseigne-toi …) que ta bibliothèque universitaire voit chaque année son budget d'abonnement aux "ressources électroniques" grimper de manière totalement scandaleuse pour augmenter les marges d'Elsevier. Et que seul l'Open Access peut arrêter de saigner à blanc les finances déjà passablement dans le rouge de ton université.
Toi président d'université, tu as pourtant depuis très longtemps à ta disposition une plateforme nationale d'archivage ouvert.
Toi président d'université, tu as aussi à ta disposition (ou si ce n'est pas le cas il suffit que tu le demandes) une plateforme d'archivage ouvert rien que pour ton université (exemple pour l'université de Nantes).
Toi président d'université, tu bénéficies de l'interopérabilité de ces 2 plateformes (ce qui est déposé dans la seconde "remonte" automatiquement dans la première).
Toi président d'université, à moins de vivre dans une autre galaxie, il est parfaitement impossible que tu ignores que depuis plus de 10 ans (et encore je suis gentil), ces outils existent et que ces questions sont essentielles. Parce que toi, président d'université, on t'a vu, à d'innombrables reprises, inaugurer ou participer à d'innombrables colloques et conférences sur la question de l'Open Access.
Toi président d'université, tu as souvent été élu sur la base d'un programme dans lequel tu annonçais que tu allais travailler pour que la science soit réellement "ouverte". Et dans l'immense majorité des cas tu t'en es tenu à cette posture morale oubliant tes promesses.
Toi président d'université, tu connais ta "communauté", celle des enseignants-chercheurs de ton université. Enfin j'espère … Alors j'espère que tu sais qu'à part quelques valeureux Jedi de l'Open Access, la plupart des enseignants-chercheurs de ton université, spontanément, ne feront rien qui aille dans le sens de l'Open Access. Parce que trop souvent hélas ils sont ignorants de l'économie de la publication scientifique, parce qu'ils n'ont pas le temps, parce qu'ils n'ont pas envie, parce qu'ils n'ont pas le courage de prendre le risque – même s'il est infime – de "s'opposer" individuellement aux contrats scandaleusement léonins que leur font signer la plupart de leurs "éditeurs" à chaque publication d'article, et surtout parce qu'il faut qu'ils publient à tout prix.
Toi président d'université, tu es donc parfaitement conscient que si tu veux vraiment favoriser l'Open Access, je parle de vraiment favoriser l'Open Access, pas de publier une énième tribune pour clamer que la pluie mouille, que la guerre tue et que l'Open Access c'est bien, toi président d'université tu sais que si tu veux vraiment favoriser l'Open Access tu dois et surtout, surtout, tu peux, puisque c'est quand même un peu toi le chef, décréter, oui oui, décréter, à l'échelle de ton université, un mandat de dépôt obligatoire pour l'ensemble de tes enseignants-chercheurs. Les obliger (en respectant bien sûr certaines conditions et certaines spécificités disciplinaires), les obliger à déposer leurs putains d'articles scientifiques déjà financés par des putains de fonds publics dans des putains d'archives ouvertes institutionnelles.
Oui pardon je suis un peu grossier mais je suis très énervé. Tu sais que tu le peux, tu sais que tu n'as pas besoin d'une énième putain de loi qui sera de toute façon édulcorée par l'interventionnisme de putains de lobbies prêts à tout tant les enjeux financiers sont colossaux et leur rente pourtant si fragile, tu sais que dans d'autres pays, il y a plus de 7 ans de cela, d'autres l'ont déjà fait sans avoir eu besoin de lois, tu sais que ça s'est très bien passé, tu sais que ça marche, tu sais que si on le fait les résultats sont là, tu sais que c'est le sens de l'Histoire.
Et toi président d'université tu fais quoi ?? Tu publies … une tribune ? Pour demander une … loi ?? 25 ans après la création de la première archive ouverte (ArXiv) ? 15 ans après l'initiative de Budapest pour l'accès ouvert ? 12 ans après la déclaration de Berlin pour le libre accès à la connaissance ? Déclaration que toi ou ton prédécesseur avez pourtant signée il y a déjà 12 ans ? On en est encore là ? Vraiment ? A publier des tribunes de bonnes intentions et à geindre dans le giron du législateur en rêvant qu'il nous ponde une loi pour résoudre nos problèmes alors que l'on connaît les solutions, que l'on a les outils pour les mettre en place, qu'on sait que ça marche ?
Universités et grandes écoles confondues, la France compte à la louche une petite centaine d'établissements d'enseignement supérieur. Combien d'entre eux ont mis en place un mandat de dépôt obligatoire ? Quarante ? Vingt ? Dix ? Non. Une. Une seule (à ma connaissance). L'université d'Angers. En 2013.
Ne serait-ce pas plus prosaïquement un évident manque de gonades mâles ?
Est-ce que toi, président d'université, tu ne serais pas un peu en train de réaliser le Hat-Trick parfait : rater le train de l'Histoire, nous prendre pour des dindes, et tout mettre en place pour organiser le status quo plutôt que conduire un changement dont tu as la responsabilité et pour lequel – pardon de te le rappeler – tu as quand même été un peu élu ?
Tiens, cadeau, je les reprends, les 3 points de ta tribune.
Donc tu veux :
"rendre obligatoire par voie législative l’accès libre à toute publication scientifique financée majoritairement sur fonds publics au terme d’un embargo de 6 mois pour les sciences et techniques et 12 mois pour les sciences humaines et sociales, à l’instar des mesures prises dans d’autres pays comme les Etats Unis, l’Italie, l’Allemagne ;"
Je viens de t'expliquer que tu n'avais pas besoin d'une loi. Puisque de toute façon, même dans les pays que tu cites et dans lesquels ces fameuses lois ont été votées, faut vraiment habiter au pays de Oui-Oui et diriger l'université des Télétubbies pour penser que la loi est suffisante et qu'elle n'est pas déjà outrageusement contournée voire tout simplement extraordinairement complexe à appliquer. Attention hein, je te vois venir, je ne dis pas qu'il ne faut pas légiférer sur le sujet. C'est toujours mieux si en effet il y a une loi cadre. Je dis qu'attendre une loi est coupable et irresponsable puisque l'on n'a pas besoin d'une loi pour faire ce qu'il faut.
Après tu dis qu'il faut – toujours par voie législative :
"donner aux établissements la sécurité juridique leur permettant de rendre obligatoire le dépôt dans une archive nationale de tout article publié financé partiellement ou totalement sur fonds publics, au minimum dans la dernière version validée avant publication ;"
Et oui parce que tu flippes. Tu sais que tu risques d'avoir un coup de fil d'Elsevier. Tu sais que les services juridiques des universités sont souvent indigents (ou inexistants) et tu sais que les enseignants-chercheurs qui sont juristes dans ton université (et qui sont souvent très très très très bons) ne t'aideront pas sur le sujet puisqu'ils sont pour l'essentiel totalement déconnectés de ces questions, et que, accessoirement, ils appartiennent à la seule discipline universitaire (le droit) pour laquelle chaque auteur est encore systématiquement et directement rémunéré pour chacune de ses publications. Donc tes juristes ne t'aideront pas. En tout cas – à quelques rares exceptions près – pas la génération actuelle.
Donc tu flippes mais surtout – et là excuse-moi mais c'est quand même un peu problématique – tu te trompes. Un auteur, n'importe quel auteur, dans n'importe quelle discipline, pour des travaux financés majoritairement ou totalement sur fonds publics, peut, quel que soit son éditeur, déposer au moins ce que l'on appelle la "version auteur" de son article dans n'importe quelle archive ouverte publique ou institutionnelle sans encourir aucun, je dis bien aucun, risque d'une quelconque poursuite juridique. Sauf si leur éditeur leur a fait signer un contrat qui leur interdirait de le faire. Lequel contrat serait d'ailleurs illégal mais passons. Le fait est que, pourtant, la plupart des universitaires sont comme toi, président d'université, ils croient qu'il y a une insécurité juridique à le faire. Pourquoi ? Parce que le niveau d'acculturation à ces questions reste encore dramatiquement faible, parce que le rapport de force installé par les éditeurs est très prégnant, et parce que l'incitation, la pression à publier à tout prix est de plus en plus forte. Et que ces trois phénomènes s'auto-alimentent les uns les autres. Bref. Arrête de nous bassiner avec ton besoin de sécurité juridique et fais ton taff.
Et puis le dernier point de ta tribune c'est de demander d'ajouter dans la loi une exception :
"une exception permettant le libre exercice de fouille de données et de texte (TDM) sur les publications de recherche acquises par les établissements."
Là OK. Là c'est vraiment du ressort du législateur. Quoi que y'aurait bien moyen de faire sans, quoi que pour ce qui est des données inscrites dans le cadre de travaux financés sur fonds publics la question ne devrait même pas se poser, mais admettons. Admettons.
Reste la conclusion de ta tribune :
"C’est à ces conditions, en intégrant l’ouverture et le partage des données de la science dans le champ démocratique, que la recherche contribuera, en offrant une information éclairée au public, au bien-être des populations et à un développement durable."
Saaaaans décooooonner. Ah bé oui. Permets-moi de réécrire la conclusion de ta tribune :
C'est uniquement si les présidents d'université – qui ont tout pouvoir et toute légitimité pour le faire tout de suite et sans avoir besoin d'un recours à la loi – c'est uniquement si les président d'université créent dans leurs universités un mandat de dépôt obligatoire dans une archive institutionnelle ouverte de tous les articles et données produits par leurs chercheurs pour des travaux partiellement ou totalement financés sur fonds publics, que en effet, ils régleront à la fois le problème de l'escroquerie monopolistique que constitue la rente de certains éditeurs (dont Elsevier), celui des lamentations justifiées de leurs bibliothèques universitaires chaque jour plus exsangues, et qu'ils auront fait ce qu'il faut pour le bien-être des populations, le champ démocratique, le développement durable et tout plein d'autres choses.
L'autre solution consistant à se draper dans la dignité de son incurie assumée en publiant des … tribunes.
Mais parfois quand même, quand tu réfléchis à cette décision que 80 présidents sont incapables de prendre, tu te dis que c'est tellement simple, que ça résoudrait tellement de problèmes, que ça permettrait de ramener tellement d'argent dans les caisses des universités (ou d'arrêter d'en dépenser inutilement), que ça fait tellement d'années qu'on sait tout cela, que c'est parfaitement et scientifiquement documenté, que vraiment, vraiment, tu piges pas pourquoi les types qui connaissent la solution ne continuent de voir que les problèmes. Alors tu t'énerves et tu publies une tribune sur ton blog pour dénoncer les tribunes que d'autres publient sur leurs sites. Tu sais que tu es en train de pratiquer une forme d'ondinisme musical (de pisser dans un violon quoi) mais tu veux y croire, parce que depuis plus de 12 ans que tous tes articles sont déposés dans des archives ouvertes et depuis plus de 10 ans que tu tiens ce foutu blog de chercheur t'as réussi à en convaincre quelques-uns, des collègues, et quand tu lis ce genre de tribune de la CPU t'as l'impression de faire un mauvais rêve et que tu vas encore perdre 10 ans, 10 putains de longues années pendant lesquelles les collègues vont t'expliquer qu'ils attendent une loi, et qui, lorsqu'elle sera votée (si elle est votée …) t'expliqueront que "oui mais concrètement c'est compliqué". Alors tout ça te met en colère. Parce qu'à l'échelle de la France, pays des lumières et tout ça, l'avenir de la science comme "bien commun" tient – pas uniquement mais pour une bonne part – à la décision que 80 personnes, 80 présidents d'université refusent de prendre depuis plus de 10 ans.
Est-ce que tu sais, toi président d'université, ce qui me met le plus en colère dans ta tribune ? C'est que plus je la relis, et plus je pense à ce type, celui qui est mort et aussi à l'autre type, celui qui lui a rendu hommage.
"Quiconque affirme qu'il y a de l'argent à faire avec un stock d'articles scientifiques est soit un idiot, soit un menteur."
Alors je te le dis une dernière fois, à toi, président d'université :
Quiconque affirme qu'il y a besoin d'une loi pour rendre obligatoire l'accès libre à toute publication scientifique majoritairement financée sur fonds publics est soit un idiot, soit un menteur.
Au passage certaines disciplines, comme la mienne, l’astrophysique (et la physique plus généralement), n’ont pas attendu de loi ou de décision de président d’université pour mettre leurs articles (preprints) en open access, voir : arxiv.org
Merci pour le cri !
XXX
Thésard de 3ème année, gestion,
élu CS, UFR, commission consultative des contractuels
=> désabusé, dépité, écoeuré, par le fonctionnement de l’Université, le mandarinat afférent, ses incohérences discours/action, le théâtre (« bal des faux-culs ») quotidien, l’inconsistance de certains enseignants, le pipeau de l’évaluation (voire de la thèse elle-même !! : audit de conformité souvent demandé..médiocre passe avec les « félicitations du jury »…des amis du directeur, évidemment…), etc……
Risque de s’y inscrire professionnellement car, malgré tout ça, aime la recherche, se poser des quantités de questions et essayer d’y répondre !
Info flash : a fait une étude permettant de nous octroyer plus des 12% d’accès aux revues scientifiques de sa discipline, grâce à l’appui de la bibliothécaire en chef et du directeur d’UFR…
A « milité » pour l’open access institutionnel, l’utilisation de logiciels d’analyse libres (R, IramuteQ, RQda, voir le site tapor.ca par exemple, etc…)…et s’est confronté à un « NON » massif des enseignants : « on ne peut changer les règles du jeu, ce n’est pas comme ça que ça marche ». Un « non » amèrement prononcé dans des mails trèèès rétifs.
Utopie du monde de la recherche, du partage de connaissance, anéantie en moins de 3 mois ! 🙂
C’est évidemment par les paradoxes que tout se définit. Il était assez facile de deviner le panier de crabes, naïveté envolée rapidement ! 🙂
Super blog !
Espérant vous croiser à Nantes !
A bientôt,
XXX
Si les décisions des présidents étaient respectées et appliquées par leur communauté ça se saurait non ? C’est à la fois un peu facile et par trop angélique de laisser croire que la volonté d’un seul puisse racheter la responsabilité de tous… mais je te promets de te faire un point sur le mandat de l’UA un de ces jours mais ce dernier seul est loin d’être suffisant hors les moyens et l’énergie mis en œuvre par les équipes au quotidien pour sensibiliser, former et accompagner les enseignants-chercheurs. Pour ce qui est de l’inutilité de loi, je suis entièrement d’accord toi. Bon les élections c’est dans 6 mois… tu te présentes ? 😉
salut Olivier, il n’y a pas de facilité ni d’angélisme. Il est juste question de volonté « politique ». Certes tout le monde est responsable et au 1er plan les EC. Mais seuls les président sont en capacité de prendre une décision qui « engage » le ventre mou des EC. Comme toi je préfèrerais une mobilisation spontanée, mais – comme toi ? – je n’y crois guère.
Bravo… A part sur la référence aux gonades males qui me semble un tantinet empreinte d’un stereotype ordinaire 😉
Tres bien. Juste une reserve sur l’obligation de depot. Il y a toujours une possibilite d’obliger le depot sur une archive institutionelle.. avec la petite idee derriere la tete de pouvoir ainsi produire les fameux « indicateurs » qui font tourner le monde du management… Donc ok pour le depot mais laissons la liberte de deposer ou l’on veut sans penaliser ceux qui deposent la ou cela leur semble le mieux pour la diffusion de leur travaux et l’acces au plus grand nombre…
Pour completer ce que tu dis…pas besoin de presidents d universite
En maths on a tous une page web avec nos papiers accessible
Probleme regle!