Alors que l'Euro s'est enfin terminé, que retenir des temps forts de cet événement sur les réseaux sociaux ? Qu'est-ce qui a fait le buzz ? Et pourquoi ? De Paul Pogba à Patrice Evra en passant par Joachim Löw et François Hollande, retour sur 4 phénomènes viraux.
Anecdotisation
D'abord il y eut ces vidéos de l'entraîneur de la Mannschaft pris en flagrant délit de manque d'hygiène et celle de ce joueur Turc se recoiffant au lieu de défendre sa zone et permettant aux Croates de marquer. Deux événements que je vous ai narré dans ce billet, "Du Twitter des nations au Facebook des morpions" en retenant un phénomène "d'anecdotisation" :
"Pour le dire autrement, le régime de l'anecdote constitutif d'un storytelling officieux (grattage / recoiffage) opposé au régime du storytelling officiel (bière / foot). (…) A chaque grande occasion, à chaque temps fort médiatique, les réseaux sociaux mettent en place leurs propres régimes anecdotiques comme autant d'espaces méta-discursifs. Qu'il s'agisse de la disparition de migrants, des derniers épisodes de crues, ou bien encore donc, de l'Euro de Football. Ces régimes anecdotiques fonctionnement principalement sur une instrumentation de visuels, tantôt surexposés, tantôt à l'inverse dissimulés, mais qui à chaque fois nous renseignent de manière utile, autant sur les régimes d'interaction propres à chaque plateforme que sur les espaces discursifs privilégiés par des logiques communautaires elles-mêmes à chaque fois variables au sein d'un "grand récit" médiatique dont il s'agit souvent initialement de s'abstraire (soit pour en dénoncer les manquements soit pour en souligner la répétition et l'absence de diversité éditoriale) ou de "recadrer" pour – parfois – mieux s'y retrouver."
Détachement impossible.
Ensuite il y eut le fameux bras d'honneur de Paul Pogba, épisode narré dans mon billet : "Tim Berners Lee et Paul Pogba" et qui permit d'illustrer la dualité entre deux univers et deux modèles de communication médiatique, aussi fermés l'un que l'autre, celui des médias privés diffuseurs de l'Euro d'un côté et celui des plateformes qui ont, à mon avis à court terme, vocation à les remplacer. L'occasion aussi de pointer un modèle économique de l'ordre du "Merdium" plus que du Freemium et la difficulté de produire des séquences de discours "détachables", c'est à dire à la fois visibles et exportables en dehors des écosystèmes médiatiques qui les ont produits.
Technologies de l'artefact : Patrice #lolilol Evra.
Un autre pic de viralité fut atteint lors du match de la France contre l'Irlande lorsque Patrice Evra prit une pose défensive assez surprenante, laquelle pose fit immédiatement la joie des photoshopeurs de tous poils :
L'intelligence de Patrice Evra fut ici de s'amuser de ces détournements et de les reprendre à et "sur" son propre compte, attestant d'une évolution claire à la fois dans la perception et dans l'usage de ces discours décalés constitués de détournements et de moqueries : il y a quelques années de cela, alors que l'usage des réseaux sociaux pour les joueurs était strictement encadré sinon interdit, de tels détournements auraient pu générer de la tension et de la crispation et obtenir alors un effet inverse à celui que leur partage par l'intéressé a permis de créer : de l'antipathie plutôt que de la sympathie, et un effet Streisand plutôt qu'un simple passage dans une temporalité courte des réseaux.
Cet exemple a aussi été l'occasion de vérifier une nouvelle fois l'importance des technologies de l'artefact et la pulsion ludique partagée et construite dans la durée sur la base d'un non-événement (la pose du joueur qui dura à peine une seconde) inscrit dans une temporalité souvent non-repérée par les médias du temps long (même s'il semble ici que ce soit un cliché de l'AFP qui ait initialement permis ce détournement).
Les effets de "pose" sur les réseaux sociaux ont toujours une viralité proportionnelle à leur "dé-pose", c'est à dire à leur capacité à être décadrés, détournés pour pouvoir alors s'im-poser dans cette temporalité particulière du partage.
"Moi, Gif Président"
Enfin, last but not least, il y eut bien sûr cette image du président François Hollande après le 2nd but contre l'allemagne en demi-finale :
il a poussé le graet, jsuis mdr pic.twitter.com/WvkNeCEJsk
— philippe (@philousports) July 7, 2016
Que dire de ce Gif tant il résume tout ? On y voit l'effarante banalité d'un homme, mais d'un homme seul, dont l'impossibilité même d'aller au bout de son enthousiasme et de communier l'exclut, de fait, de la banalité qu'il voulait brandir comme un étendard. Il y a d'abord ce tressautement, ce petit trépignement, un trépignement comme empêché, non-assumé, un trépignement en retenue, celui d'un homme qui voudrait exploser et sauter de joie mais que ses ailes de géant sa fonction cloue au sol. Il y a ensuite l'errance fugace de ce regard qui cherche des gens venant a lui pour communier, ce regard qui cherche d'autres bras, d'autres mains pour célébrer l'instant mais n'en rencontre aucun. Alors il pousse. N'osant pas vraiment exulter (#trépigne), ne trouvant personne qui vienne vers lui pour aller au bout de la célébration (#regard), il y a cette tentative désespérée de proxémie maladroite, celle où le Gif-Président normal s'en trouve réduit à forcer le trait de la célébration pour goûter un peu à une joie qu'il espère n'être pas que solitaire, et pousse donc maladroitement Noël Le Graet, semblant lui dire "je suis là, célèbre avec moi". Et l'échec de cette poussive et pathétique tentative d'épiphanie qui culmine avec le regard du poussé, qui d'abord s'étonne ("que me veut-il ? pourquoi fait-il cela ? n'a-t-il donc point d'amis ?") avant de revenir vers son propre espace de célébration en laissant définitivement seul le Gif-Président d'un soir.
La viralité de cette séquence, qui a tourné dans la plupart des JT en guise d'apothéose médiatique, vient naturellement de la posture (présidentielle) qui signale avant tout une imposture : celle de l'impossibilité d'être là, à l'unisson d'une "communion" pourtant voulue structurante du discours politique ambiant depuis le début de la compétition. En moins de 3 secondes c'est tout un Gif-quinquennat qui défile sous nos yeux : il n'y a jamais eu et il n'y aura jamais de président normal, il n'y a que des construits médiatiques de la normalité qui, dans ce moment de vérité que l'on nous vend comme constituant la joie d'une nation enfin rassemblée, dévoilent toute l'étendue de l'imposture. Les anglo-saxons ont leur procédure d'Impeachment, nous avons un gif qui restera dans l'histoire comme celui d'un président littéralement empêché. Empêché de s'adonner à la joie pleine de voir son équipe qualifiée pour la finale de l'Euro, empêché de combattre son adversaire la finance, empêché de défendre réellement les lanceurs d'alerte, empêché d'accueillir les migrants à l'échelle de ce que l'on croyait être une "grande nation", empêché de protéger les droits des plus faibles dans l'hallucinante déroute de la loi travail. Un président empêché. Définitivement.
Malgré l'échec en finale, il paraît que cet Euro aura permis à la France de passer d'une sélection à une équipe. Au soir du 2nd but contre l'Allemagne en demie-finale, le Gif-Président apparaissait totalement seul, sans aucune équipe, probablement même pas sélectionnable pour les prochaines primaires. Là du coup, parfaitement normal.
Du slip au Gif.
L'absence d'une connaissance de l'émetteur (à l'origine du détournement, de la parodie ou de la démonstration en gif animé) empêche toute contextualisation ou interprétation a priori et permet de porter toute l'attention sur le contenu lui-même en dehors de tout cercle de connivence ou de compétence pré-établie ou décrétée.
Bien au-delà du mur des (gifs animés) des célébrations et des lamentations, des tréfonds du slip de l'entraîneur d'une équipe nationale jusqu'à la posture entravée du Président du pays hôte et organisateur, les réseaux sociaux de cet Euro 2016 ont montré que la dimension virale n'effaçait jamais, dans les logiques de réappropriation qu'elle fait naître, une dimension métaphorique souvent essentielle, et constituant un espace discursif à part entière, mobilisant ses propres codes de représentation et capable d'inaugurer de nouvelles formes de projection, de connivence, d'empathie ou de distance critique.
Ce gif animé me fait surtout penser à une opération de com pour mettre en valeur un président qui en réalité se moque totalement des résultats du foot et préfère nettement ceux du CAC40.