<Mise à jour du lendemain> J'apprends, via France Info ce matin, que ce que j'ai raconté au sujet des Pokémons et du conflit israelo-palestinien, fonctionne aussi pour la guerre entre Corée du nord et Corée du sud 😉 <Mise à jour>
Encore un (petit) billet sur PokémonGo en lien avec différentes actualités.
Des Pokestops et de l'Opt-Out.
D'abord, un certain nombre de lieux (musées, écoles) sont progressivement retirés du jeu par la société Niantic. Vrai qu'il est délicat de voir des gens chasser le Pokémon à Auschwitz, à l'ossuaire de Douaumont ou au musée de l'holocauste. Les responsables de ces différents lieux ont donc la possibilité de remplir un formulaire de demande de retrait. A charge ensuite, pour la société Niantic de traiter leur demande. Ce problème est un problème de référencement connu depuis l'existence de moteurs de recherche. C'est aussi le problème de l'opt-in et de l'op-out. Je m'explique. Pour pouvoir fonctionner les moteurs de recherche indexent la totalité des pages web accessibles. C'est à l'éditeur de tel ou tel site, s'il ne souhaite pas le voir apparaître dans les résultats du moteur, d'en demander explicitement la désindexation ou le déréférencement aux moteurs concernés ; on parle alors d'une logique "d'opt-out" : le moteur indexe par défaut toutes les pages et si vous ne souhaitez pas qu'il indexe la votre, c'est à vous de faire explicitement une demande de "sortie". A l'opposé on trouve les logiques "d'opt-in" qui voudraient qu'avant d'indexer une page ou un site, les moteurs de recherche obtiennent l'accord préalable du propriétaire du site. Ces questions avaient notamment défrayé la chronique aux heures les plus polémiques de Google Books, lequel pratiquait le même type d'opt-out sur les oeuvres littéraires que sur les pages web et les éditeurs et auteurs souhaitant qu'il mette en place une procédure d'opt-in.
Dans le cadre de PokemonGO, la société Niantic s'appuie sur plusieurs bases de données (dont celle qui répertorie les différents "points d'intérêt" sur lesquels sont implantés les arènes et autres Pokestops) ainsi que sur le système de cartographie Google Maps (qui est aussi une base de donnée). L'opt-out pratiqué est ainsi un opt-out géographique qui peut se résumer de la manière suivante : tous les lieux publics (jardins, parcs …) ou semi-publics (musées par exemple) et "points d'intérêt" géographiques existants sont potentiellement des implantations possibles d'arènes et de pokestops (et donc de pokémons), à charge pour leurs responsables de demander leur retrait.
Dans le domaine du SEO et du référencement il existe également une procédure technique (le fichier robots.txt) qui permet, une fois paramétré et implanté à la racine du site, d'autoriser ou d'interdire l'indexation de tout ou partie des différentes pages aux différents "crawlers" des moteurs de recherche. La question que pose PokemonGO et ce nouveau type d'opt-out géographique, est donc double : primo il s'agit de savoir à qui "appartient" chaque parcelle de la réalité géographique ainsi indexée et "ludifiée", qui est, en quelque sorte, l'éditeur du réel géographique qui sert de support au plateau de jeu, et, deuxio, s'il est possible / envisageable / souhaitable – et comment ? – de pouvoir soustraire automatiquement certains points de notre réel géographique à une ludification dont on voit bien que PokemonGO ne constitue que l'avant-garde.
Pikachu habite en Israël mais vit en Palestine.
Ce qui m'amène au second point de cet article. On vient en effet d'apprendre que Google Maps avait pris la décision de retirer la Palestine de la carte du monde. A toutes fins utiles voici d'abord une image de l'évolution de la Palestine et des territoires palestiniens depuis la création de l'état d'Israël :
Et voici maintenant deux copies d'écran réalisées ce matin. La première est issue du service Open Street Map, et la seconde de Google Maps.
Une pétition a presqu'immédiatement été lancée pour réclamer le retour de la Palestine dans Google Maps. L'article de France-Inter revient parfaitement sur l'ambiguïté de cette "suppression" en rappelant que, "selon l'ONU, la Palestine est un Etat, observateur mais non-membre de l'ONU, donc pas officiellement reconnu par la communauté internationale. Un statut pas très clair fait pour ménager toutes les sensibilités" et en interrogeant un sociologie israélien qui indique que :
"En 2013, l'entreprise a changé le nom de sa page d'accueil de "Google territoire palestiniens" à "Google Palestine", ça a beaucoup énervé le gouvernement israélien. Mais d'un autre côté, Google ne nomme pas la Palestine sur ses cartes et donc les palestiniens s'énervent à leur tour. Mais Google est une entreprise ! En fait, elle essaie simplement de satisfaire un maximum de ses clients."
Mais cette affaire, d'un point de vue non pas géopolitique mais strictement Pokémonique (?), est un signal d'alerte passionnant. Un signal qui démontre que la réalité observable, que la réalité géographique, que la réalité géopolitique se jouent sur plusieurs plans de représentations, plusieurs plans d'existence différents : jusqu'ici – dans le conflit israelo-palestinien par exemple – il y avait la réalité géographique et la réalité géopolitique qui interagissaient (cf la première image de ce billet sur l'évolution dans le temps des territoires palestiniens). Il y a désormais un troisième type de réalité, la réalité algorithmique / projective / augmentée qui à son tour vient directement interagir avec la réalité géographique et la réalité géopolitique.
Tous les Pokestops palestiniens sont … israéliens.
Un utilisateur palestinien de PokemonGo, en train de jouer à PokemonGO sur l'un des territoires palestiniens, ne pourra trouver et localiser des Pokémons, des arènes et des pokéstops … qu'en territoire israélien. Il évolue ainsi simultanément dans trois pans de réalité différents et partiellement antagoniques. Il est habitant de l'état Palestinien : ça c'est la réalité géopolitique. Il vit et habite sur l'un des territoires palestiniens : ça c'est la réalité géographique. Mais (en tout cas pour Google Maps et quand il joue à PokemonGO), il joue et se déplace sur la représentation numérique de l'état d'Israël.
A l'image d'une sorte de nouveau paradoxe de Zénon, comme il était théoriquement impossible à une flèche d'atteindre sa cible, il est théoriquement impossible pour un chasseur de Pokémons palestinien d'en trouver ailleurs qu'en Israël. Achille ne rattrapera jamais la tortue, et cet utilisateur n'attrapera jamais de Pokémons palestiniens.
Au-delà de l'anecdote et de la chasse aux Pokémons (il ne m'a pas échappé que les habitants d'Israël et de la Palestine avaient d'autres soucis), la question que pose ce retrait de la Palestine du service Google Maps corrélée à celle posée par le retrait d'un certain nombre de lieux réels du jeu PokemonGo, est celle de l'interaction toujours plus forte, toujours plus prégnante entre des pans de réalité différents, différemment "augmentés", et surtout celle de savoir quelle réalité "l'emporte" sur les autres à partir du moment où nous vivons et éprouvons quotidiennement la connectivité comme moyen de vivre et de se déplacer dans chacune de ces réalités.
Pour le dire différemment, si nous voyageons en Israël et souhaitons nous rendre en Palestine, jusqu'à quand accepterons-nous la sentence de Google Maps nous indiquant "impossible de trouver Palestine" et rendant notre voyage impossible ? Il suffit bien sûr me direz-vous de changer de "service" et de passer sur Open Street Map par exemple. Certes. Mais aurons-nous à la fois la connaissance de ces autres services, l'envie de le faire (qui nécessite un coût cognitif plus élevé que d'utiliser l'implantation par défaut de Google Maps sur la plupart des services que nous avons l'habitude d'utiliser), et surtout aurons-nous encore la possibilité de le faire ? Une possibilité qui tient à deux facteurs essentiels : il faut que d'autres services existent (et soient indépendants), et il faut que les services "de première intention" que nous utilisons et qui sont la propriété de Google (par exemple …) nous permettent, nous autorisent à basculer en deuxième intention vers des services tiers indépendants de la marque hôte.
Quant aux autres questions, tout aussi passionnantes soulevées par l'arrivée de PokemonGO, vous les trouverez dans mes précédents billets sur le sujet :
- "PokemonGO : l'important c'est pas la (pika)chute"
- "Pokémon pharmakon : le numérique dissociatif"
- "PokémonGo : 25 ans plus tard"
<Mise à jour> Voir aussi l'article du Guardian sur la suppression de la Palestine qui n'en est pas vraiment une … mais qui ne change rien au fond de ce billet, et lire également l'article de Numérama </Mise à jour>
Forcément, quand on parle de Israël et de la Palestine, ça peut éventuellement générer des commentaires… 🙂
Une simple interrogation : « Sur OpenStreetMap, le nom ‘Palestine’ n’apparaît pas… »
Est-ce bien certain ? Même pas en arabe ? https://www.openstreetmap.org/relation/1703814#map=9/31.8881/34.8225 (voir name et name:ar sur le côté gauche).
Intéressant article Olivier, un détail cependant, la Palestine mandataire d’avant 1948 n’est pas un état arabe comme le laisse penser la première carte mais un territoire géré par les britanniques, voir notamment les sources de l’article Wikipédia « Palestine Mandataire ». Si on remonte davantage, la Palestine faisait précédemment partie de l’empire Ottoman jusqu’en 1922.
Amicalement,
Intéressant article Olivier, une précision cependant, la Palestine mandataire d’avant 1948 n’était pas un état arabe comme le laisse entendre la première carte mais un territoire géré par les britanniques. Si on remonte encore le temps, la Palestine constituait une partie de l’empire Ottoman jusqu’en 1922. C’est bien expliqué dans l’article de Wikipédia sur le sujet 😉
https://fr.wikipedia.org/wiki/Palestine_mandataire
Amicalement,
Avez vous fait les vérifications d’usage ???
Cela prend 1 minute. Ou la lecture de 20 minutes…
http://www.20minutes.fr/insolite/1906979-20160810-non-palestine-supprimee-google-maps