La valeur du vote

Quelques grandes multinationales et à peu près autant d'agences de notation décident de l'avenir de l'économie. Quelques grandes entreprises de l'agro-alimentaire décident des semences accessibles aux plus riches ou aux plus pauvres et de ce qui sera dans notre assiette. Quelques grands laboratoires pharmaceutiques décident de qui doit vivre et qui doit mourir, de qui peut être soigné ou non sur la planète. Les gouvernement néo-libéraux ou sociaux-démocrates se contentent, depuis des décennies, d'accompagner ou de faciliter plus ou moins mollement, plus ou moins énergiquement ce mouvement.

Il semble parfois que la dernière chose sur laquelle nous, citoyens, ayons réellement prise, est celle des "valeurs". Valeurs qui se traduisent dans ce que le politique appelle des "réformes de société" : droit de vote des femmes (1944), droit à l'avortement (1975), dépénalisation de l'homosexualité (1982), mariage pour tous et adoption pour les couples homosexuels (2013). Voilà quelques-unes de ces valeurs fondamentales, que chacun est d'ailleurs libre de partager ou de rejeter.

En 1982 François Fillon n'a pas voté la dépénalisation de l'homosexualité. Il a même voté contre. Il explique aujourd'hui que cela ne fait pas de lui un homophobe. Que quelqu'un refuse que l'homosexualité soit reconnue comme autre chose que comme un délit pénal sans être homophobe, l'exercice intellectuel semble assez hardi. François Fillon explique ensuite qu'à l'époque, il était dans l'opposition, que le gouvernement de François Mitterrand venait de faire passer plein de réformes, et qu'il s'agissait donc, pour l'opposition de voter systématiquement "non". C'est à cela à mon avis que l'on reconnaît "le politique", ou c'est en tout cas à cela que j'aimerais que l'on puisse le reconnaître : à sa capacité à discerner, même à une époque donnée, même dans un contexte donné, même dans "l'opposition", qu'il est des sujets qui sont le fondement d'une société de tolérance, d'émancipation et d'acceptation de l'autre. Dépénaliser l'homosexualité fait partie de ces sujets. Rien ne peut justifier que l'on vote "contre" cette dépénalisation. Et surtout, rien ne peut justifier, 34 ans après ce vote que l'on n'en éprouve "aucun regret". Aucun "catholique" puisque c'est de cela qu'il s'agit, ne peut réclamer que l'on continue d'envoyer en prison deux personnes du même sexe au seul motif de leur amour. François Fillon a pourtant voté, en 1982, contre la dépénalisation de l'homosexualité. Et il ne fut en effet pas le seul. Cela l'exonère-t-il pour autant de ce vote ? En aucune manière. François Fillon a, depuis, poursuivi son chemin avec le succès que l'on sait, en allant chercher des voix, très tôt, du côté des homophobes et anti-ivg traditionnalistes de la Manif pour tous et de "sens commun" qui ont fait de lui leur champion et dont il assume sans sourciller le leadership.

J'irai ce dimanche voter pour le second tour de la primaire de la droite et du centre. Je suis pourtant un électeur de gauche. Viscéralement de gauche. Je suis également agnostique. Fondamentalement et irrévocablement agnostique. Que l'on en vienne, en France, en 2016, à invoquer, du côté des deux finalistes de la primaire de la droite et du centre, le Pape François pour valider le volet sociétal d'un programme politique m'effraie et me navre. Je mettrai cependant un bulletin Alain Juppé dans l'urne. Je le ferai comme citoyen, dans ce petit village où tout le monde se connaît. Où l'on me reconnaîtra. Je le ferai sans honte, à visage découvert, avec conviction, avec engagement, sans avoir l'impression de me renier, sans me rendre coupable d'un quelconque tripatouillage à une élection à laquelle certains m'expliquent que je ne suis pas invité, sans d'aucune manière fausser un quelconque "jeu démocratique". Je n'ai pas voté au premier tour de la primaire de la droite mais j'irai voter au second. Parce que je ne voterai ni pour Alain Juppé, ni pour François Fillon. Je voterai pour des valeurs. Puisqu'on m'en donne la possibilité et les moyens, je voterai pour qu'aucun obscurantisme, si politiquement correct soit-il, aussi digne et droit dans ses bottes soit celui qui le représente, pour qu'aucun obscurantisme jamais, ne puisse venir remettre en cause ces valeurs fondamentales de tolérance, d'acceptation de l'autre et d'équité des droits. A part lors de l'opposition entre Chirac et Le Pen au second tour des présidentielles de 2002, à bientôt 45 ans, jamais aucun second tour d'aucune élection ne m'a permis de voter pour les valeurs que je défends. Depuis déjà trop longtemps plus aucune élection nationale ou législative ne nous permet plus de voter sur ces "valeurs" noyées dans un "programme" trop marketé et sondagier pour être parfaitement honnête. Le vote de ce dimanche, fût-il un second tour, fût-il celui de primaires de la droite et du centre, sera cette occasion. Même si cela me coûte 2 euros, même si je dois signer une charte de pacotille, la valeur de mon vote, elle, sera authentique. Chacun se déterminera "en conscience" comme le veut la formule, mais j'espère que nous serons nombreux, électeurs "de gauche", "agnostiques", à défendre ces valeurs. Des valeurs simplement, nécessairement, urgemment républicaines. 

3 commentaires pour “La valeur du vote

  1. Bravo et merci!
    Moi je n’irais pas voter mais je vous remercie pour les agnostiques existentialistes de gauche et/ou qui ont des valeur sociales et humaines.

  2. C est quand meme une escroquerie intellectuelle car comme vous le dites, vous etes de gauche et pas de droite et que vous n avez aucunement l intention de voter Juppe aux présidentielle (en admettant qu il gagne la primaire).
    C est un peu comme si un électeur de droite etait allé a la primaire du PS pour voter Valls car le plus proche de ses idees.
    Enfin c est quand meme pas tres grave, car tout comme Valls fut eliminé, Fillon avec 44 % au premier tour va eliminer Juppé
    PS:
    1) personnellement mes valeurs m interdisent de voter pour un repris de justice
    2) j espere justement que Fillon ne va pas faire du « societal » comme l a fait Hollande histoire de faire « de droite » comme hollande a essaye de faire « de gauche » avec le mariage homosexuel (appelons un chat un chat). Une extension du pacs aurait suffit et on aurait evite de perdre un mois en debat pour monter les gens les uns contre les autres. Contrairement a vous, je pense que s ils le veulent les politiques peuvent faire des choses et pas seulement acter ce que veulent les dirigeants de multinationales. Le probleme c est que nos dirigeants ne le souhaitent pas et deguisent leur collusion ideologique voire financiere en contrainte (c est de la faute de bruxelles, de la bourse, de monsanto …)

  3. Qu’alliez vous faire dans cette galère ? Outre que ce faux déport démocratique, qui exclut une large partie du corps électoral, invalide le fonctionnement des partis politiques il donne une apparence de légitimité à ce qui devrait être du seul ressort de l’élection présidentielle.

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