Il y a plusieurs sortes de gifles.
D'abord la gifle cinématographique, qui est aussi une gifle générationnelle, celle de Lino Ventura à Isabelle Adjani dans le film éponyme.
Ensuite la gifle télévisuelle, celle de Joey Starr à Gilles Verdez, chroniqueur de l'émission de Cyril Hanouna et la prise en otage de l'antenne par ledit Cyril Hanouna. La gifle spectacle, la gifle qui est d'autant plus spectacle qu'elle est d'autant moins spectaculaire.
Et puis bien sûr la gifle politique. De celle administrée par Bayrou en 2002 à celle reçue par Valls en 2017 il y a un monde. Si celle de François Bayrou avait immédiatement pris valeur de programme politique en incarnant l'autorité du "Pater Familias", celle reçue par Manuel Valls hier, tient surtout lieu de bilan. De triste bilan.
Violence symbolique (je parle de la giflounette) contre violence institutionnelle. Et au sein de cette violence institutionnelle peut-être le dernier vrai clivage gauche-droite. La droite qui insulte ("casse-toi pauv'con"), qui appelle à la violence ("viens ! descends un peu si t'as des c…") et la gauche qui reçoit les coups (la giflounette de Valls donc, mais avant elle – notamment – les oeufs de Macron ou la farine de Valls – encore).
En elle-même la giflounette reçue par Manuel Valls est plutôt de l'ordre du non-événement, non-événement directement corrélé à l'ampleur du traitement médiatique qui lui fut réservé. Faute de grives on mange des merles, et faute de projet on prend des baffes.
Mais cette gifle ne fait pas que cristalliser une violence symbolique. Elle stigmatise aussi l'absence de réaction troublante du giflé. Si la gifle reçue est une humiliation c'est aussi parce qu'elle signe la fin d'un dialogue, qu'elle rend toute réponse impossible dans le rapport "adulte giflant – enfant giflé". Manuel Valls n'est pas un enfant. Sur Facebook quelqu'un écrivait :
"Ce qui est grave ce n'est pas la gifle, ce n'est pas la charge musclée du garde du corps. C'est la réaction de Manuel Valls qui traduit le mépris et son incapacité au dialogue. Aucune réaction, aucune admonestation, aucune demande d'excuse juste : je repars. C'est sidérant et lourd de sens quand on sait qu'après il porte plainte et se dit incarner le vivre ensemble."
Et puis bien sûr il y a les mèmes.
Car la gifle est aussi et surtout un mème. Cet élément fondateur de la culture web. Notamment celui ci-dessous qui combine esthétisme, nostalgie, mythologie moderne, rapports de pouvoir et rapports de force (vieux coup classique du maître et de l'esclave) et – par les phylactères vides – facilite et incite à toutes les réappropriations.
Si la gifle en elle-même se prête si bien aux mèmes en tous genres, c'est probablement aussi parce qu'elle interroge la même vieille dichotomie que le numérique dans son ensemble ne cesse d'interroger : celle entre sphère publique et sphère privée. La gifle est historiquement et culturellement de nature privée : le théâtre de la gifle est d'abord le cercle privé, le cercle de famille. Son rendu public est une forme de double peine, de double humiliation, celle du geste en lui-même (car qu'elle soit générationnelle, politique ou télévisuelle, la gifle est avant tout une humiliation), et celle de l'inscription de ce geste dans l'espace public, aux yeux de tous.
La plupart des mèmes ont pour fonction et pour point commun de saisir et de figer une outrance (outrance de situation, outrance de caractère), et de la transposer dans un univers de discours, dans un contexte totalement différent venant créer ou renforcer un effet de décalage. La rapport texte / image est lui aussi un élément clé de la viralité des mèmes (aussi bien sur le fond que sur la forme – typographie)
La gifle reçue par Manuel Valls suit depuis hier le trajet classique de la viralité.
Phase 1. Comme à chaque fois qu'une personnalité publique, notamment un politique, se trouve au centre d'une "agression" qui reste minime même si elle demeure condamnable, la déclinaison numérique de ce fait-divers suit invariablement le même cycle, la même partition de viralité. Cela commence par de simples logiques de rediffusion et de partage, immédiatement suivies pas un flot ininterrompu de commentaires le plus souvent moqueurs ou assassins dans ce flaubertien gueuloir que sont les chambres d'écho de Twitter ou de Facebook constituées comme autant d'exutoires.
Phase 2. Une fois un certain seuil de partage atteint, vient ensuite la "mèmefication", la transformation en mème de l'image de la scène concernée.
Phase 3. Après les commentaires, après la "mèmefication", vient alors la "ludification" c'est à dire l'instrumentalisation ludique du fait-divers. Transformé en expérience ludique, le fait-divers initial entre alors dans une seconde cycle de viralité et de partage. Les exemples sont assez nombreux et assez bien documentés. L'une des ludifications les plus réussies et les plus partagées fut celle du coup de boule de Zinedine Zidane. Plus récemment c'est Trump en Pussy Grabber qui cartonna. Mais l'on pourrait aussi citer les "Super-pourris" (Balkany), Cahuzac devenu "Pac-Huzac" et bien sûr l'affaire DSK qui eut "l'honneur" de différentes déclinaisons vidéo-ludiques (là en satyre, ou là en escroc tentant d'éviter la femme de chambre). Sans oublier les virées en scooter de François Hollande. Le politique en général reste une inépuisable source de ludification. Cela porte même un nom : les "newsgames"
En l'occurence la gifle reçue par Manuel Valls pourrait entrer dans l'histoire des internets comme le premier fait-divers politique retranscrit sous forme de jeu / application de réalité virtuelle avec force leapmotion, retour de force et tout et tout. Exutoire puissance 1000. Sauf qu'il ne s'agit pas du tout de rebondir sur l'effet gifle du 17 Janvier 2017, puisque ledit jeu baptisé "Je t'offre une Valls" est disponible … depuis le 15 Avril 2016. le Gameplay fictionnel de la gifle en avance de 9 mois sur la réalité du fait-divers. Je vous laisse méditer là-dessus.
C'est pas une gifle, c'est un soufflet.
La moralité de cette gifle reçue par Manuel Valls c'est qu'elle n'en est pas une. Ce n'est pas une gifle c'est un soufflet. Dans l'esprit des lois Montesquieu écrit :
"Un soufflet devint une injure qui devait être lavée par le sang, parce qu'un homme qui l'avait reçu avait été traité comme un vilain."
A l'époque en effet les nobles combattaient habituellement la tête protégée par le heaume, et étaient donc rarement blessés au visage. A l'inverse les pauvres combattaient eux, le visage découvert. Gifler un noble, y compris dans l'euphémisation du soufflet, revenait donc à le blesser au visage et à le rabaisser au rang du simple manant. Un acte profondément politique. CQFD.
Bonjour. Il me semble aussi qu’il y avait déjà eu un jeu il y a quelques années on l’on pouvait s’entraîner à lancer une chaussure à Nicolas Sarkozy…