Qui a vécu par le glaive périra par le glaive. Autour des affaires Hanouna et Burggraf.

Invité ce matin de France Inter, Florian Philippot fut interrogé par Patrick Cohen sur le sujet des Fake News qu'il avait relayé. Après les dénégations et les bottages en touche habituels, Philippot eut cette phrase :

"Nous avons tous à travailler là-dessus, y compris les journalistes"

Normalement Patrick Cohen, qui ne manque pas de répartie, aurait du enchaîner avec un truc du genre :

"Mais je ne connais pas de journalistes qui ait relayé des Fake News."

Mais Patrick Cohen n'a rien dit et nous sommes restés sur la phrase de Philippot avant de passer à la pub. Soit Patrick Cohen avait perdu tout sens de l'à propos, soit Patrick Cohen avait en tête la séance qui tourne en boucle depuis Samedi soir dans laquelle une journaliste, Vanessa Burggraf se fait prendre en train de relayer une Fake News en face de Najat Vallaud-Belkacem, et a préféré se taire pour refuser d'offrir à son invité un bâton dont il le devinait prompt à se saisir. 

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L'autre buzz qui sature l'espace médiatique est celui de l'émission Touche pas à mon poste de Cyril Hanouna suite à une énième séance d'humiliation publique homophobe. Un peu partout depuis hier, nombre de commentateurs et d'articles se félicitent de la décision d'un grand nombre d'annonceurs de "se retirer" de l'émission d'Hanouna.

Quel est le point commun entre ces deux affaires ? Entre Hanouna et Burgraff ?

Celui d'une faillite. D'une faillite de l'autorité morale. Je m'explique.

Seul le retrait des annonceurs est capable de rendre possible l'éventuel arrêt de cette émission (même si je suis convaincu que cela ne se produira pas). Seul l'argent qui finance et rend possible les pires dérives de la société du spectacle est aujourd'hui en capacité de stopper ces dérives. Car toutes les autorités morales ont failli. Puisque C8 est une chaîne privée, la première autorité morale est celle de la direction de la chaîne qui aurait dû depuis longtemps s'exprimer pour condamner ces dérives et y mettre un terme. Elle ne l'a pas fait. La seconde est celle du CSA et des mécanismes dits de contrôle qui ont également failli à force d'étaler leur capacité à prendre acte comme forme ultime de leur (im)puissance. La troisième autorité morale est celle des pairs, à commencer bien sûr par les chroniqueurs eux-mêmes, mais également les journalistes, animateurs et salariés de la chaîne. Mais la faillite des deux premières (Direction et CSA) les contraint à une forme de silence qui ne préjuge pas de leur acquiescement mais signe simplement la logique d'asservissement dans laquelle les maintient la peur de perdre leur emploi ou leur émission.

Moralité de tout cela : Qui a vécu par le glaive périra par le glaive. Et pour la pub c'est pareil.

On n'est pas couché. Mais on aurait mieux fait.

Passons désormais à l'affaire "On n'est pas couché". Vanessa Burggraf s'est exprimée suite à ce Bad Buzz et après un micro Mea Culpa circonstanciel (reconnaissant qu'elle aurait du préciser que cette réforme datait de … 1990) elle fait ce que par ailleurs chacun d'entre nous ferait à sa place, c'est à dire essayer de trouver de vagues justifications rétroactives à ses errements journalistiques.

Sur le fond de cette affaire, une journaliste a clairement failli. Ce n'est ni la première ni la dernière fois, et la faute en incombe d'ailleurs au moins autant à la personne elle-même (chacun est faillible, a le droit d'être fatigué ou de ne pas être "bon") qu'à la nature de l'émission dans laquelle se joue cette faillite, une émission précisément orchestrée pour organiser des faillites et des sorties de route, qui préfère habituellement que ses invités en soient les victimes mais qui ne s'émeut pas outre-mesure que ses propres chroniqueurs endossent ce rôle. 

Donc il y a bien eu faillite de Vanessa Burggraf dans son rôle de journaliste, elle a bien relayé une Fake News, et elle a en effet eu la même finesse déontologique que celle qui anime une fin de repas de famille imbibé de vin rosé par 35 degrés à l'ombre en mode "Ah oui mais moi dans l'école de ma fille, patati patata, c'est bien la preuve." Ben non. 

Mais ce qui m'a frappé c'est que depuis cet épisode, et au-delà de l'interview qu'elle a ensuite donné, nombre d'articles sont venus fact-checker cette séquence. Et qu'aucun d'entre eux n'a été catégorique. Tous, ou en tout cas tous ceux que j'ai lu, ont relativisé. Tous ont expliqué que "oui bien sûr", Vanessa Burggraf avait commis une erreur, mais tous ont rappelé que "oui bien sûr" il y avait en effet eu une réforme de l'orthographe datant de 1990 et mise en application par un décret sous le mandat de Najat Vallaud-Belkacem.

Décodeurs, journalistes et fact-checkeurs ont donc factuellement fait leur boulot. Qui se limite à l'énoncé d'une chronologie de faits. Laquelle chronologie seule est d'une ambivalence coupable puisqu'elle ne permet en rien de trancher de quelque manière que ce soit ce débat. Ceux qui détestent la gauche et Najat Vallaud-Belkacem ou ceux qui adorent "On n'est pas couché" et Vanessa Burggraf continueront de penser et d'affirmer ce qui est une réalité historique incontestable : une réforme de l'orthographe est entrée en vigueur sous le ministère dirigé par Najat Vallaud-Belkacem. Les autres continueront avec autant de bonne ou de mauvaise foi d'affirmer que cette réforme datait de 1990 et qu'elle a principalement été instrumentalisée par les opposants (notamment d'extrême-droite) à la politique menée par la ministre afin de décrédibiliser et de déstabiliser à la fois sa parole, son image et sa réputation. 

Ce moment de télévision aura un impact. Déjà mesurable ce matin chez Patrick Cohen dans son absence de réponse à la saillie de Philippot.

Le point commun des affaires Hanouna et Burggraf c'est leur effet de contagion et de contamination.

Cela s'arrête là mais c'est à mon avis suffisamment grave pour être souligné.

L'homophobie et l'humiliation indécente qu'Hanouna fait subir tantôt à ses propres chroniqueurs tantôt à des inconnus, contamine l'ensemble du champ sociétal et contribue à un effet de banalisation des violences physiques ou psychologiques que ces personnes subissent déjà.

L'erreur de Vanessa Burggraf (et encore une fois elle a le droit d'en commettre) et la cacophonie médiatique qui a suivi et dans laquelle le simple fact-checking ne démontre rien d'autre qu'une chronologie librement interprétable au prisme des a priori et des opinions déjà faites que chacun de nous se fait de ces sujets, contribue à un effet de trivialisation de la parole journalistique et à un empêchement de toute forme de débat construit en dehors des orchestrations médiatiques qui ne visent qu'une spectacularisation d'arène et de mise à mort. Du pain et des jeux. Des nouilles et des slips. Du Buzz et du clash. 

Relayer des Fake News ?

"Nous avons tous à travailler là-dessus, y compris les journalistes".

Non. Justement non. Pas les journalistes. Pas. Les. Journalistes. Bordel.

L'erreur de Burgraff et la faute de Hanouna à la lumière de la faillite des autorités morales existantes, l'erreur de Burggraf et la faute de Hanouna participent toutes deux de cette forme de trivialisation dans laquelle plus rien n'est digne d'intérêt hormis le cirque médiatique lui-même.

La vie privée est une négociation collective. Et les Fake News aussi.

"La négociation de la vie privée se vit avant tout comme une négociation collective, conflictuelle et itérative, visant à adapter les règles et les termes d'un service aux besoins de ses utilisateurs."

Voilà ce qu'écrit et explique depuis longtemps Antonio Casilli. Il en va de même pour les Fake News et, de manière plus inquiétante, de ce que nous appelions vérité. 

Puisque les autorités morales ont failli, puisque le fact-checking ne suffit plus à faire taire les Fake News, puisque la publicité est devenue à la fois le problème et la solution (mais que cela ne doit pas nous faire oublier qu'elle est d'abord ce qui a permis de créer le problème …), plutôt que de se féliciter de la vertu de ces grandes marques qui au nom de leurs "valeurs" (sic) préfèrent se retirer de la tranche horaire de TPMP comme un proctologue retire son index du cul d'un patient qu'il espère revoir très vite dans son cabinet**, plutôt que de se jeter sur Vanessa Burggraf en victime expiatoire commode, il nous faut inventer des moyens d'agir et de pallier la faillite des anciennes autorités morales.

L'un de ces moyens d'agir, l'une de ces modalités d'action est d'abord citoyenne. Depuis fin 2016, des activistes regroupés sous le nom de Sleeping Giants ont décidé d'informer les marques lorsque leur publicité était affichée sur des sites connus pour leur sympathies d'extrême droite ou leur propension à relayer de fausses informations. L'initiative Sleeping Giants qui ciblait initialement le site Breitbart au lendemain de l'élection de Trump est en train de s'étendre et de parvenir à assécher les revenus publicitaires qui permettent à ces sites d'exister. Et elle arrive en France, où leur compte Twitter indique : 

"Prévenons les annonceurs français dont les publicités financent à leur insu des sites haineux."

C'est devenu nécessaire. Mais ce sera tout sauf suffisant.  

** Je m'excuse auprès de la communauté des proctologues qui n'a rien demandé mais j'ai pas pu m'empêcher.   

2 commentaires pour “Qui a vécu par le glaive périra par le glaive. Autour des affaires Hanouna et Burggraf.

  1. L amalgame Hanouna/Bugraff est assez genant.
    Autant le premier est dans son creneau de trash TV ( j ai jamais regarde une seule de ses emissions mais vu les compte rendu, je suppose que j ai pas perdu grand chose) autant le second est pas vraiment une fake news.
    La question est de savoir ce que fait un ministre et quel est son degre de responsabilite & de controle de son administration.
    Car meme si la decision initiale datait de 1990, c est quand meme son administration qui a decidé de la mettre en oeuvre (je suppose que si ca n a pas ete applique avant (27 ans d incubation !), c est bien que les anciens ministres devaient trainer des pieds). Et elle ne peut pas plaider l ignorance car apparemment ca a fait des vagues.
    Autrement dit, a quoi sert un ministre ?
    Si un ministre n est pas capable de diriger son administration ou d assumer les decisions impopulaires de son ministere s il est d accord avec, a quoi sert il ?
    A faire joli ?
    A l epoque de De Gaulle, un ministre de la justice a du démissionner a cause d une evasion de détenu. Il est evident que le ministre n etait pas materiellement responsable de cette evasion. Mais il devait porter la responsabilite de celle ci.
    Maintenant on est passe du “responsable mais pas coupable” des annees 80-90 aux “ni responsable ni coupable”

  2. Le tort de la journaliste est de ne pas avoir posé la bonne question et préféré tomber dans la facilité du relai de la fake-new. Puisque la bonne question aurait été Pourquoi avez vous mis en application via un décret une réforme qui datait de plus de 20 ans. Qu’elles ont été vos motivations etc…
    Si Hanouna est dans son créneau, une journaliste se doit d’être dans le sien également et accepté également de se faire taper sur les doigts quand elle fait une boulette. Sinon on ne se met pas en image avec Ruquier !!

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