L’autonomie selon Macron : en marche fuyons.

Le président Macron vient d'écrire au président de la CPU (conférence des présidents d'université) suite à la missive que ladite CPU avait adressé au président nouvellement élu (pour lui demander du pognon par pitié mais sans que ça se voit trop qu'on demande).

Et donc quand deux punks à chiens entretiennent une correspondance sur l'avenir de l'ESR (enseignement supérieur et recherche), le résultat c'est ça : 

 

Macron-lettre-esr

 

Alors pour faire simple et pour ceux de mes lecteurs n'étant pas très familiers des logiques feutrées de l'ESR, disons qu'en gros la CPU réunit des gens (présidents d'université) qui n'ont de cesse de réclamer à l'état davantage de moyens humains et financiers tant l'état leur en doit et tant ils constatent chaque jour à quel point leurs universités sont sous-dotées, mais – et c'est là toute l'astuce – qui sous peine de passer pour de dangereuses vermines communistes, ne peuvent évidemment pas passer leur temps à réclamer des postes et du pognon et sont donc contraints de jouer le jeu d'un libéralo-misérabilisme bon teint en espérant qu'une obole plus ou moins symbolique viendra couronner leur acceptation des règles de gestion liées à l'autonomie et dont chacun d'entre eux perçoit parfaitement à quel point lesdites règles de ladite autonomie sont en train d'éparpiller façon puzzle l'idée même d'un droit à l'enseignement supérieur pour l'ensemble d'une classe d'âge. 

Ceci étant dit, venons-en aux trois propositions phares du président Macron concernant l'enseignement supérieur et la recherche. Il s'agit donc :

  1. de renforcer l'autonomie des universités
  2. de leur donner la liberté de définir leurs formations
  3. et de leur donner la liberté de recruter leurs enseignants

Grâce à quoi la France sera une start-up nation et l'université une entreprise comme une autre, après tout, c'est bien d'économie de la connaissance dont il est question non ? 

Sauf que, et cela n'aura probablement pas échappé à votre sagacité :

  1. l'autonomie des universités est déjà enclenchée depuis la loi LRU portée en son temps par Valérie Pécresse et est sublimée depuis par l'ensemble des gouvernement successifs. 
  2. les universités ont de toute éternité la liberté de définir leurs formations (et j'ai envie de dire, c'est quand même un peu tant mieux vu que c'est quand même un peu leur raison d'être …)
  3. les universités ont toujours eu, aussi, la liberté de recruter qui elles voulaient comme enseignant-chercheur. 

Donc première hypothèse, le type qui a rédigé la lettre de Macron est un stagiaire qui s'est trompé de bureau. Possible.

Deuxième hypothèse : Macron se fout carrément de la gueule du président de la CPU. Improbable.

Troisième hypothèse : en fait ces trois propositions veulent dire autre chose que ce qui est écrit. Voilààààààà.

Donc en fait voilà ce qu'il faut comprendre dans les trois propositions Macron :

    1. renforcer l'autonomie des universités ?

Là il s'agit en fait de pousser l'autonomie à la limite. Sachant qu'on est déjà à la limite de la rupture pour tout plein d'universités dites "moyennes" (en taille et en nombre d'étudiants). Et pousser l'autonomie à la limite ça veut dire au moins deux choses : primo acter que les sous que l'état doit aux universités (plusieurs millions rien que pour la mienne, Nantes, et qui est loin d'être la moins bien lotie) ne seront jamais versés, et qu'en plus de cela l'état va encore se désengager davantage. Ça va donc piquer. Mais alors vraiment piquer très fort. Parce qu'en plus ou indépendamment de tout ça, s'il y a bien un chiffre sur lequel tout le monde s'accorde, des plus obscurs et incompétents cabinets d'audit aux acteurs les plus renseignés et les plus impliqués dans tout ce bouzin, s'il y a bien une certitude qui traverse toutes les strates, du terrain aux "instances", c'est la certitude que la démographie étudiante va continuer d'exploser. Et là … vu comment c'est déjà tendu comme un string, la ficelle dudit string va se transformer en fil à couper je sais pas trop quoi mais je sais juste que va y'avoir des dégâts collatéraux dont on n'a même pas idée du potentiel social explosif qu'ils contiennent. 

    2. leur donner la liberté de définir leurs formations ?

Bon ben bien sûr comme je le disais, on n'a attendu ni l'autonomie ni la Valérie pour définir nos formations hein. En fait depuis que les universités existent elles définissent leurs formations. Tout cela est bien sûr assez heureusement réglementé pour éviter de faire n'importe quoi et de répondre à n'importe quelle injonction du patronat mais bon le principe général c'est que les universités ont la liberté de définir leurs formations, le tout en garantissant aux étudiants un truc qui semble de plus en plus désuet, c'est à dire un cadre national pour leur diplôme. Et encore je dis désuet mais pas pour les formations privées qui débarquent à genou en nous suppliant de délivrer le titre de Master qu'elle n'ont désormais officiellement pas le droit de délivrer et qu'au prix où leurs étudiants paient l'année de formation ben ça la fout un peu mal. Et vous savez pas la meilleure ? Et bé nous on accepte. Et oui. On est vraiment trop cons.  

Mais alors pourquoi qu'il dit ça le président de la CCI France Start-Up nation ? Et bien parce qu'en fait il ne veut pas donner aux universités la liberté de définir leurs formations mais – attention subtilité du fils de la ruse de la vengeance de l'entourloupe – mais disais-je il veut donner aux universités la possibilité … de faire payer leurs formations !!! Hé bé oui. L'idée, la grande idée de la grande loi sur l'autonomie c'est, pour les dangereux marxistes dans mon genre, la vente à la découpe des universités et de leurs formations. Pour les libéraux qui sont aux commandes et à la manoeuvre il s'agit de "capitaliser sur la marque université" et "d'optimiser les fertilisations croisées rendues possibles par la modularisation des formations au regard des demandes d'employabilité d'un territoire" (1). Mais au final c'est la même chose : qu'il ne reste plus qu'une grosse dizaine d'universités "bancable" générant du ROI comme je me beurre la tartine le matin et assurant la promotion de la marque université dans la start-up nation France. WTF.

    3. donner aux universités la liberté de recruter leurs enseignants ?

Donc là en fait il faut lire : leur donner la liberté de payer leurs enseignants-chercheurs bancables autant qu'elles le voudront pour faire venir des enseignants-chercheurs bancables. Bah oui, on attire pas les mouches avec du vinaigre et on entend depuis tellement longtemps que les salaires de misère des enseignants-chercheurs français ne permettent pas d'attirer les meilleurs chercheurs étrangers … Il fallait donc déverrouiller tout ça, voilà qui devrait bientôt l'être. Non pas pour mieux payer ces feignasses d'enseignants-chercheurs hein, on est pas en URSS non plus. Non là il s'agit juste de pouvoir recruter n'importe quelle star et/ou pointure en lui faisant miroiter un salaire de joueur de NBA. Ce qui accessoirement permettra de justifier l'envol des frais d'inscription, la vie est bien faite. Naturellement on pourra aussi, et ainsi, recruter hors de tout cadre statutaire, mais là encore rien de grave ni d'inédit, la magie de la loi LRU ayant déjà permis que l'on recrute des maître de conférences sur des contrats à durée déterminée (CDD). Licencier plus pour embaucher mieux, tout cela est parfaitement cohérent. Et accessoirement à gerber. 

A quoi sert la ministre ?

Alors voilà. Moi si j'étais Frédérique Vidal (c'est la ministre de l'ESR, enfin il paraît vu que pour l'instant à part beurrer des tartines de macronisme on n'a pas trop de visibilité sur sa vision mais c'est pas super grave non plus vu que le double aveugle est une procédure que l'on maîtrise bien à l'université), moi si j'étais Frédérique Vidal donc, je m'empresserai de me barrer à toutes jambes parce que les prochaines rentrées universitaires à ce rythme là vont être au-delà du très très chaud niveau température sociale et qu'elle va pouvoir mesurer toute l'étendue du sous-entendu "fusible" dans l'intitulé de son poste de "ministre d'état et d'application de la LRU et advienne que pourra".

Moi qui suis en train de faire des emplois du temps pour la rentrée des deux licences dont j'ai la charge en corrigeant des tombereaux de rapports de stage, en réglant des tonnes de problèmes informatiques et administratifs que je vous épargne, en me préparant à n'avoir comme congés d'été qu'une période s'étendant péniblement du 14 Juillet au 15 août (2), en tentant vaguement de rédiger quelques articles rendant compte d'une activité de recherche que les machins cités précédemment rendent nécessairement famélique, moi qui observe mes collègues en faire de même, moi qui croise au quotidien de moins en moins de personnels BIATSS dans les couloirs tant les arrêts maladie se multiplient comme autant de symptômes d'une déshérance de la gestion des ressources humaines à l'université qui finit par ressembler à s'y méprendre à de la maltraitance, moi qui suis finalement un étalon de normalité dans un océan de collègues peu ou prou aussi noyés et désemparés que moi, et moi qui me tape depuis déjà trop longtemps la lecture des mêmes rapports complaisants faisant les mêmes constats affligeants et proposant les mêmes mesures inutiles en s'appuyant sur tant de prémisses faussées que les conclusions ne peuvent qu'être pragmatiquement hasardeuses pour autant qu'elles soient idéologiquement très marquées (à droite), bref, moi, quoi, je n'ai plus rien que la certitude que tout cela va finir par un bon gros "boum" dans le mur et que l'on est en train de casser méthodiquement, organisationnellement, structurellement, ce qui fut et reste heureusement encore un peu parfois, avant tout un magnifique outil d'émancipation, un truc qui s'appelait une université et qui se foutait bien d'être une marque, a fortiori une marque rentable.

J'avais promis à quelques-uns de mes lecteurs de ne pas faire assaut de vulgarité cette fois-ci dans l'expression de ma colère. Je pense y être parvenu. J'espère que vous apprécierez l'effort car soyez assurés qu'il m'en coûta.   

—————————– 

(1) vous me croirez si vous voulez mais je vous jure que j'ai vraiment entendu cette phrase lue tout à fait sérieusement par un jeune homme d'un cabinet privé encore trop à l'étroit dans la mission d'audit qu'on lui avait confié sur fonds publics et tout prêt à chavirer du haut de son inconséquence manifeste et de ses chaussures à bout pointu et à bascule. 

(2) et non, je ne suis pas en train de me plaindre, mais par contre oui, je bute le premier qui vient m'expliquer que j'ai trois mois de vacances

 

11 commentaires pour “L’autonomie selon Macron : en marche fuyons.

  1. Merci pour ce texte et pour ces analyses si justes et si bien senties. Au départ je me disais que le côté un peu familier serait un frein à sa diffusion (j’avais en effet envie de le faire connaître à tous-univ chez moi), mais au fur et à mesure de la lecture je me suis rendu compte que ce décalage est en fait nécessaire et même salutaire: il rend la lecture de ces choses désespérantes supportable, tout simplement, en faisant sourire malgré tout. Un peu d’humanité dans ce monde de brutes macronistes et assimilées (dans et hors université), en somme.

  2. J’aurais bien repris un peu de bite et de chatte personnellement. Y’a un moment, quand on en a gros, il faut que ça sorte vulgairement…

  3. Purée mais comme je vous comprend (un collègue dans les EDT, les stages, les dossiers, les projets de l’an prochain, bénévole aux CPN _ le dingue, et à qui on annonce gel des postes + baisse des primes de resp + prop° de fermetures bienvenues).. et qui voit (une partie) de la formation privée ouvrir des maquettes de coin de table, frimer, sans filet (péda) ni crash barrière…
    ça sent la fin d’année, vivement les 3 m..semaines de vacs

  4. Merci de ne pas insulter les punks à chiens en les comparant à ces connards. Déjà que les punks à chiens sont d’après eux des gens qui ne sont rien (puisqu’on les trouve souvent autour des gares). Mais je voudrait quand même pointer le fait que les vrais punks a chiens sont, eux, dotés d’humanité, d’empathie et de compassion! Rien à voir avec ses connards dorés!

  5. Patience. Un jour, les universités du monde entier seront sponsorisées par Google, Facebook, Apple, Amazon et Microsoft (qui licencie un peu quand même). Tout le monde sera heureux. Les étudiants seront comme aux USA endettés jusqu’au cou, mais les facs seront de vraies entreprises bien juteuses.
    Bon, certes, l’esprit critique aura disparu de la planète. Mais finalement à quoi ça sert de toujours critiquer et maugréer, hein ? Voyons…

  6. Bonjour,
    Si vous cherchez à quitter le monde de l’enseignement, vu que vous êtes maître de conférences en sciences de l’information et que vous enseignez entre autre le community management, j’ai trouvé une offre pour vous.
    Bon, c’est un stage, mais enfin en startup quand même, et il faut bien commencer quelque part dans une nouvelle fonction : Chargé de webmarketing – Growth Hacking
    (…) Dans ce cadre, tu seras chargé de :
    – développer l’acquisition via le web
    – développer la notoriété de X autour des apps et de la Liste X
    Pour cela tu devras mettre en application (notamment) les compétences suivantes :
    – SEO / netlinking
    – community management
    – rédaction de contenus le blog
    – emailing
    – gestion de campagnes adwords

  7.  » …[l’université] fut et reste heureusement encore un peu parfois, avant tout un magnifique outil d’émancipation, un truc qui s’appelait une université et qui se foutait bien d’être une marque, a fortiori une marque rentable ».
    Cette pure idéologie qui existe depuis l apparition de l université nous ferait presque croire que l’université serait un monde à part, en dehors de l’économie, en somme une forme d’état de droit mais positif dans l etat, et que le seul savoir « immatériel » émanciperait l’homme de ses conditions physiques contraintes… Je connais un homme de théâtre qui disait que les intellectuels étaient coincés telles des mouches dans un bocal… et je crois qu’il n’avait pas tort. Et ca ne date pas d’hier.
    Quoi de plus vrai, concernant les universitaires, MCF et Professeurs de tous bords?
    Si on tourne cette phrase dans un autre sens, on pourrait dire aujourd’hui que l’université, qui s’est toujours prônée comme l’instrument d’émancipation par excellence, est un système qui n’a aucun scrupule, sous couvert d’émancipation justement, à dénier qu’elle utilise (en tant que prise inevitablement dans le systeme economique, même si sous couvert ideologique), pour faire subsister ses « formations » et nombres de départements de recherche,utilise donc, les étudiants, dont leur avenir est le cadet de ses soucis. Le surnombre ainsi que le mensonge sur les débouchés de formation proposés pour cacher qu’il n’y en a pas, ou pas pour la majorité, le jeu avec les espoirs qu’elle entretien vis a vis des jeunes durant plusieurs années pour déboucher sur des déceptions amères, cela effectivement, elle s’en fou bien! On aimerait en entendre parler! Vive l’idéologie du gai savoir qui emancipe! Continuons à créer des formations qui continuerons de selectionner par l’inflation du diplome! Cela vous arrange bien pour continuer a vous curer les neurones, tandis que la masse étudiante, ne sera pas vouée à ce sort!
    Les jeunes malheureusement, ont aussi un corps!
    Et le corps de l’université, qui prône une telle émancipation, est totalement soumis, collabore, geint dans les articles et publications. Il continuera à collaborer avec, puisque les intérets des professeurs, et maitres de conferences, devenue cette noblesse désargentée, qui ont acquis leurs places si durement et si chèrement, seraient capables de tuer père et mère pour rester au sein de leur pré carré, écrire des ouvrages, publiés de leur noms, de belles scérénades sur les droits de l’homme et du citoyen, de la défense de l’opprimé… les gentils de gauches, du côté de l’émancipation et du bien commun, eux memes si peu émancipés, si coincés dans leurs rôles respectifs!
    mais quelle misère, quand on voit, que ceux qui voulaient nous enseigner que, le savoir universitaire émancipe, se retrouvent coincés oui, physiquement, et comme des mouches dans un bocal, dans un système auquel ils contribuent, de toutes leurs forces meme, pour survivre…et que ces derniers, sont en effet bien les derniers, à manifester auprès des étudiants quand ceux ci subissent les injustices du système. Conflit d’intérêt? Merci grands defenseurs des opprimés!!

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