De Facebook à Datebook. Fragments d’un réseau social amoureux.

La conférence F8 de Facebook, conférence dite "pour les développeurs" où sont annoncées les nouveautés de la firme, de la plus stratégique à la plus anecdotique, vient de se tenir. Et l'une des annonce de Zuckerberg est, à dire vrai, assez hallucinante.

Au sortir de deux annus horribilis et à peine remis de son audition au congrès et sur les cendres encore chaudes du scandale Cambridge Analytica (qui vient de fermer), Zuckerberg a tranquillement annoncé son intention de transformer Facebook … en site de rencontre. Bah oui. Un peu comme si DSK t'annonçait qu'il fondait le parti de l'amour courtois une semaine après sa sortie du Sofitel.

"Plus c'est gros …"

Parmi les rares pans de notre "privacy" qui pouvaient encore – relativement – échapper au grand F panoptique on trouvait la partie dite "3S" pour "strictement sentimentalo-sexuelle" liée au "dating" à proprement parler, c'est à dire à l'aspect organisationnel ("la rencontre") de notre vie sexuelle et amoureuse. Quoique. Quoique pour notre vie amoureuse comme sexuelle, Facebook en sait déjà davantage que la plupart des sites de rencontre où nous pouvons être inscrits. De fait et par ailleurs, nombre de ses sites ou applications de rencontre recommandent ou contraignent à s'inscrire via un compte Facebook, ce dernier collectant donc au passage nombre de données afférentes**.

** le fait de passer par son compte Facebook pour s'inscrire sur une application ne donne à Facebook  aucun accès direct aux données de l'application (sauf s'il existe un Deal entre l'application et Facebook) mais en revanche, dans cette logique d'identification "unique", Facebook pousse l'application tierce à installer ses outils de tracking publicitaires qui, eux, permettent de remonter plein de données liées à l'usage de l'application. 

Le choix dans la date (de lancement du service)

C'est d'ailleurs peut-être cette brèche depuis longtemps déjà ouverte qui a donné à Zuckerberg (et ses actionnaires) l'envie de pousser la logique jusqu'au bout. Notons qu'à ce jour le service de Dating a été annoncé mais qu'aucune date de déploiement n'a été indiquée. Il n'est donc pas totalement improbable qu'il s'agisse d'une gigantesque opération de diversion 😉

<Mise à jour de quelques mois plus tard> Vendredi 21 Septembre 2018 : le service est officiellement lancé. Pour l'instant uniquement en Colombie. Pourquoi en Colombie uniquement ? Je n'en sais rien. </mise à jour>

What The Fuck Facebook ?

Mais à part peut-être faire diversion et en profiter pour faire dévisser en bourse le cours des actions des autres sites de rencontre, de quoi d'agit-il vraiment ? D'une application de Dating intégrée. Un double retour aux sources puisque d'une part Facebook était au départ, rappelons-le, un site permettant de noter les plus jolies filles du campus, et que d'autre part la règle 34 continue de s'appliquer sur les internets et dans les plateformes : "If it exists, there's Porn of it. No exceptions." Et le "Dating" est le premier pas vers le "Porn".

Blague à part, l'idée est, selon Zuckerberg, la suivante :

"Cela sera destiné à construire des relations authentiques et durables, pas seulement des plans d'un soir."

Comme on ne peut pas lui faire l'offense d'imaginer qu'il n'a pas été briefé sur les travaux de recherche (en sociologie notamment) portant sur les sites et applications de rencontre, on peut donc raisonnablement affirmer qu'il est soit extrêmement naïf, soit qu'ils nous prend pour des quiches. A titre personnel la seconde hypothèse me semble la plus juste. 

Favorisant la logique de clair-obscur qui a fait son succès, cet entre-deux ni réellement public ni réellement privé, Facebook annonce que côté utilisateurs, tous vos amis ne seront pas nécessairement au courant de votre état de misère sexuelle ou sentimentale. 

Ainsi dans Le Parisien

"Les utilisateurs qui le souhaitent pourront créer un nouveau profil grâce à un bouton présent sur leur page déjà existante. La fonction « Dating » ne sera pas visible pour les amis ou n’apparaîtra pas sur le fil d’actualité (sic). L’identification se fera par le simple prénom."

Et dans Le Monde

"Face aux potentielles inquiétudes sur l’utilisation des données personnelles, Facebook assure que son service de rencontres ne communiquera pas avec ses autres composantes. Le profil spécialement créé ne sera pas visible par les amis des utilisateurs. Aucune information ne sera affichée sur leur fil d’actualités. Et les messages seront séparés de la boîte principale."

Ou bien encore dans The Verge

We have designed this with privacy and safety in mind from the beginning. Your friends aren’t going to see your profile, and you’re only going to be suggested to people who are not your friends.

Donc ce profil "dating" évidemment associé au vôtre pour Facebook ne serait "visible" que pour d'autres utilisateurs à la double condition qu'ils aient également activé un profil "dating" et ne qu'ils ne soient pas amis avec vous. Donc c'est cool. Puisque par exemple vous pourrez tomber sur le profil Dating de vos (grands) enfants avec qui vous n'êtes pas amis. #AuSecours. 

Mais tout cela ne pourrait être qu'un leurre de plus destiné à éviter de souffler trop rapidement sur les braises encore chaudes des scandales touchant aux données personnelles. Car selon toute probabilité – je suis prêt à prendre les paris – Facebook fera a minima ce qu'il fait déjà lorsque vous vous inscrivez à Tinder via votre profil Facebook, c'est à dire que vous verrez pour vos "matchs" que vous disposez d'un certain nombre d'amis de deuxième niveau communs (des "amis d'amis"), et ce afin de vous inciter à interagir davantage. 

Reformulons donc la conception de la "privacy" du Dating selon Zuckerberg :

La fonction "dating" ne sera pas visible par vos amis, mais dans le cadre de la fonction "dating" vous verrez très probablement les amis d'amis de vos "Dates". 

Et comme on sait que le niveau de relation dans Facebook réduit considérablement la distance nous séparant de tout autre utilisateur de la plateforme (théorie du petit monde de Milgram en réduction constante autour de 4 degrés de séparation), l'opt-in annoncé comme une garantie de privacy ne sera qu'un faux-semblant de plus dans un univers social construit sur un postulat de promiscuité nécessaire et entretenue par le biais de constantes sur-sollicitations algorithmiques.

A terme nous verrons donc très probablement les profils "dating" de nos amis ou nous serons à tout le moins en capacité de les deviner. Car l'hypocrisie de la gestion de la privacy du côté de la plateforme ne doit pas masquer notre propre propension à étaler aux yeux de nos amis justement, les derniers soubresauts de nos vies sentimentales, même si l'architecture technique nous y incite et nous récompense à grands coups de like chaque fois que nous le faisons.  

Alors bien sûr nonobstant la règle 34 susmentionnée, n'allez pas imaginer que le site où le moindre bout de téton vire à la pornographie va subitement basculer dans le monde merveilleux de l'envoi de Nudes : 

"Les personnes pourront « discuter » grâce à un système de messagerie instantanée similaire à l’actuel Facebook Messenger. Il sera toutefois impossible de partager autre chose que du texte, pour éviter le partage de «nudes » (photos dénudées)."

Mais là où cela devient franchement croquignolet c'est – bien sûr – dès qu'on commence à parler "matching", c'est à dire à s'interroger sur la manière dont l'algorithme va nous proposer des "rencontres". Il le fera simplement … comme il le fait déjà pour tout le reste :  

"potential matches will be recommended based on dating preferences, things in common, and mutual friends. They’ll have the option to discover others with similar interests through their Groups or Events."

L'algo va donc scanner votre "vrai" profil Facebook (ce qui sera assez rapide puisqu'il le fait déjà de manière continue depuis que vous êtes inscrits), y ajouter les quelques éléments déclaratifs que vous aurez indiqués dans votre profil "dating" (genre "j'aime les grandes blondes aux yeux bleus"), et organiser la correspondance (pas littéraire mais informatique) entre l'ensemble des données de votre graphe relationnel et comportemental.

Rencontre de groupe.

Le "petit plus" sera que vous pourrez "débloquer" votre profil Dating dans les "groupes" et "Events" auxquels vous participez ou êtes inscrits. Officiellement il s'agit d'en profiter pour redonner de la visibilité aux "groupes" jusqu'ici sous-exploités d'après la plateforme.

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Mais je doute, à terme, qu'il s'agisse là du seul moyen de faire des "rencontres" et je ne serai pas surpris que l'on voit plus simplement apparaître une fonction "Dating" juste en dessous de la fonction "Marketplace", fonction qui permettrait alors de singer plus facilement l'ergonomie des actuels sites de rencontre.

Quelque chose dans ce goût là :  

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Nota-Bene : sur la relance des "groupes" et "Events" comme creuset de la stratégie du dévoilement amoureux et de la rencontre idoine, Facebook fait un savoureux clin d'oeil à l'histoire. En effet, les premiers "lieux" pour des rencontres amoureuses en ligne de l'ère post-minitel rose, furent les newsgroups et forums de discussion, notamment avec l'arrivée dans les années 1999 de gigantesques forums comme ceux de Aufeminin.com, qui sont rapidement investis par des hommes se servant des messageries privées pour tenter d'y faire des rencontres, et ce avant même le lancement de sites emblématiques et dédiés comme Meetic (en 2001). Ainsi, des petites annonces parues dans les pages liminaires du Chasseur Français jusqu'aux forums dédiés d'Aufeminin.com ou de Doctissimo.fr, et en passant par les forums du Minitel Rose et l'âge d'or de l'IRC (Internet Relay Chat), la rencontre amoureuse en ligne à toujours été liée au forum et à l'espace de discussion.

Nota-Bene du Nota-Bene, catégorie "Le saviez-vous ?". Youtube, qui vient de fêter son treizième anniversaire, devait lui aussi au départ être un site de rencontre basé sur de la vidéo. Et puis dans la première vidéo postée sur le site, l'un de ses créateurs, Karim Jawed, a fait pendant 18 secondes une blague dotée d'un ressort comique reposant entièrement sur la phrase suivante : "les éléphants ont vraiment une très très très très longue … trompe." S'apercevant alors que ce n'était pas le meilleur moyen de faire des rencontres, ils ont préféré laisser chacun uploader des vidéos de mariage, d'enfants qui tombent ou de films illégalement téléchargés avant que Google ne rachète le tout et n'en fasse la première plateforme vidéo de la galaxie connue. Voilà maintenant tu le sais.  

Cela marchera-t-il ? 

J'ai bien sûr un avis que je vais vous donner juste après mais globalement … je n'en sais rien. Je n'en sais rien mais honnêtement cela fait déjà plusieurs années que je ne comprends pas pourquoi Facebook n'avait pas encore franchi le pas, et je ne dois probablement pas être le seul à m'être posé la question. Quand on dispose de la puissance de feu algorithmique, de l'audience captive et de la volumétrie de données qui est celle de Facebook, on ne comprend pas au nom de quoi la firme ne décide pas d'entrer sur le marché des sites de rencontre et de tout fracasser en raflant l'essentiel de la mise. De la même manière que l'on peut s'étonner que l'ogre Facebook n'ait pas encore aspiré les sites de petites annonces et de vente entre particulier du type de Craigslist et autres LebonCoin.

Sur ce dernier point, le lancement de la fonctionnalité "Marketplace" en Août 2017 est peut-être un élément de réponse. Ce qui était pensé pour installer et rapatrier "dans" Facebook une volumétrie inédite d'échanges transactionnels et conversationnels échappant jusqu'ici à la firme ne semble pas avoir à ce jour donné les effets escomptés.

La raison tient peut-être à ces logiques d'appartenance propres au numérique et qui ne sont pas uniquement économiques. Le premier arrivant sur un marché ne tarde en général pas à rafler l'ensemble de la mise : données, audience et profits. Et à s'installer en situation de rente en même temps qu'il rend toute concurrence presque structurellement impossible. Cette règle vaut pour l'ensemble des entreprises : de la plus petite start-up aux tentaculaires GAFAM. A chaque fois que ces derniers ont tenté de créer un service équivalent à un service déjà existant et semblant satisfaire ses utilisateurs, ils se sont plantés. A chaque fois. Et ce quels que soient les moyens investis. Les mêmes GAFAM préfèrent donc en général racheter des services existants, en préservant au moins un temps leur identité et leur singularité de service plutôt que d'en créer d'équivalents. Ce fut le cas de tous les "Big Deals", ces rachats qui firent date, de FlickR (racheté par Yahoo!) à Instagram (racheté par Facebook) en passant par Youtube (racheté par Google), TumblR (par Yahoo), Paypal (par eBay), Skype (par Microsoft) ou WhatsApp (racheté par Facebook), entre autres. 

Mais cette fois Facebook n'a pas annoncé vouloir racheter Tinder, OK Cupid ou AdopteUnMec. Facebook dit vouloir créer sa propre fonctionnalité de rencontre. Éliminons l'hypothèse d'une simple diversion pour considérer qu'il envisage réellement de créer cette fonctionnalité de Dating. Pourquoi le ferait-il plutôt que de racheter un site ou une application existante ou de continuer d'exploiter tranquillement les données dont il dispose déjà pour ceux qui utilisent leur compte Facebook pour s'y inscrire ?    

Mais pourquoi est-il si méchant ?

Il y a déjà très longtemps que Facebook, notamment au travers de son équipe "Data Science" s'intéresse aux données "sentimentales" et aux logiques d'appariement spécifiques relevant de la rencontre amoureuse. Cette petite compilation de leurs posts à l'occasion de la St Valentin depuis 2010 est plus qu'éloquente.

Le post de Février 2014 sur la "formation de l'amour" est d'ailleurs aussi flippant qu'éloquent sur la naturalisation algorithmique du processus de la rencontre amoureuse. On peut en effet y lire :

"We explored interactions between couples before and after the relationship begins. We studied the group of people who changed their status from "Single" to "In a relationship" and also stated an anniversary date as the start of their relationship. During the 100 days before the relationship starts, we observe a slow but steady increase in the number of timeline posts shared between the future couple. When the relationship starts ("day 0"), posts begin to decrease. We observe a peak of 1.67 posts per day 12 days before the relationship begins, and a lowest point of 1.53 posts per day 85 days into the relationship. Presumably, couples decide to spend more time together, courtship is off, and online interactions give way to more interactions in the physical world."

Et de promettre ensuite de s'intéresser à l'étude des ruptures amoureuses. 

Après avoir lu ces deux "études" de l'équipe Data Science chez Facebook, on comprend mieux non seulement pourquoi ils s'intéressent au processus de rencontre amoureuse, mais aussi comment ils comptent l'étudier, le quantifier et, possiblement, l'orienter et le publicitariser. 

Mais il y a chez Facebook, je le crois en tout cas, une raison plus profonde qu'un simple intérêt ou un effet d'opportunité pour l'immense marché que représente la rencontre amoureuse en ligne (1/3 des mariages commenceraient en ligne et certains auteurs annoncent que plus de 50% des rencontres amoureuses se feraient en ligne à une échéance très courte). Un intérêt qui renvoie à l'ADN de la firme et que je vous explique … dans le paragraphe qui suit 🙂

Le métier de Facebook, et cela explique d'ailleurs en partie la fascination de Zuckerberg pour la réalité virtuelle et augmentée, le métier de Facebook c'est de casser toutes les logiques d'externalités navigationnelles et comportementales pour nous maintenir en immersion dans un régime d'internalités qu'il contrôle entièrement et qui lui permet de scruter la moindre de nos émotions, le moindre de nos désirs. Pour lui permettre de maintenir la carte de nos pulsions à l'échelle du territoire publicitaire qu'il régit et administre. Le métier de Facebook c'est de produire une réalité sociale englobante et aussi immersive que possible. Si l'image de la matrice à un sens, c'est clairement à l'échelle de Facebook que celui-ci résonne le mieux. Dès le lendemain de 2006 et après que l'essaimage de son bouton "like" lui a permis d'atteindre une masse critique suffisante pour des contenus dont il ne disposait pas "nativement", Facebook a toujours mis en avant les fonctionnalités et les contenus précisément et programmatiquement désignés comme "natifs" : "native publishing", "native advertising" … Tout doit naître, croître et mourir dans la plateforme qui se vit comme une matrice à la fois sociale, économique et politique. Et cette réalité sociale englobante et immersive ne peut pas se permettre de faire l'économie de la rencontre amoureuse. Pour le dire autrement, il n'est pas "tolérable" pour l'ADN de Facebook que ce qui est tout de même le ressort essentiel de nos vies et de nos émotions puisse échapper au regard de la plateforme ou se jouer en dehors de ses murs. 

De messenger for kids au Facebook "pour adultes".

Générationnellement, le marché de la rencontre amoureuse est aussi l'occasion pour Facebook de reconquérir cette sorte de chaînon manquant de son audience actuelle. Non pas que les 18-25 ans aient totalement déserté la plateforme (ni qu'ils soient d'ailleurs l'unique segment démographique concerné par la rencontre amoureuse), mais l'essentiel de leurs interactions sociales (et amoureuses) ne se joue pas à l'intérieur de la plateforme. Facebook est devenu une plateforme interactionnelle de (jeunes) seniors. D'où sa stratégie d'étendre sa pyramide des âges en s'efforçant de garder les (jeunes) seniors, en y amenant les enfants avec Messenger for Kids, et donc aujourd'hui en érotisant la dimension interactionnelle du public qu'il juge le plus absent ou e moins "interagissant". 

A la recherche de la bulle de philtre.

N'ayez crainte. Loin de moi l'idée de relancer le débat sur la bulle de filtre mais plutôt de profiter de l'annonce de Facebook pour questionner les effets de la rationalité calculatoire (algorithmique) sur la passion amoureuse et la programmation de la rencontre.

Désordre amoureux.

Depuis que les sites de rencontre existent (Match.com est lancé en 1995), et notamment autour des données libérées par certains de ces sites (comme Ok Cupid) ou des enquêtes d'opinion et d'usage, de nombreux travaux de recherche ont permis d'établir une rupture fondamentale dans le fait que les gens se rencontrant en ligne ne se connaissent généralement pas du tout, à la différence des processus de rencontre traditionnels dans lesquels on était mis en relation par des amis communs, ou bien l'on se rencontrait dans le bal de son village, ou sur les bancs de son université. La rencontre en ligne a donc d'une certaine manière ajouté de l'entropie au processus de rencontre. Un vaste désordre amoureux ;-).

Ainsi Ortega et Hergovich dans leur article "The Strength of Absent Ties: Social Integration via Online Dating" ont montré que "les gens qui se rencontrent en ligne ont tendance à être de complets étrangers", et ils ajoutent, comme rappelé par la Technology Review du MIT, que "lorsque les gens se rencontrent de cette manière, cela crée des liens sociaux qui étaient inexistants aurapavant."

De la même manière, dans son article "(Se) correspondre en ligne : l'homogamie à l'épreuve des sites de rencontre", la sociologue Marie Bergström explique que

"déconnectés des lieux de vie, les sites de rencontres semblent désenclaver l’espace des rencontres amoureuses et sexuelles. Cela d’autant plus que, mettant en relation des individus sans interconnaissance préalable, ils suspendent la médiation des cercles de sociabilité." 

Pour autant, et aussi bien chez Ortega et Hergovich que chez Bergström, l'entropie ou le désordre de la rencontre amoureuse est davantage une corrélation qu'une causalité et est en tout cas très loin d'atténuer ou de faire disparaître les logiques néguentropiques de l'homogamie. Une homogamie qui se remet en place au travers de toute une série de mécanismes de présentation de soi qui sont autant de correctifs visant à s'assurer que le "qui se ressemble s'assemble" restera la règle et que l'hétérogamie restera l'exception.

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Tristan et Yseult buvant le philtre d'amour (sans bulles) 

Puisque l'essentiel de nos rencontres amoureuses semblent donc inscrites dans une homogamie qui se satisfera parfaitement de la logique de bulle de filtre ou plus précisément du déterminisme algorithmique dans lequel excelle la plateforme, Facebook fait donc le pari qu'il pourrait avoir par ce biais trouvé la recette d'un nouveau philtre amoureux calculatoire et computationnel. Que cela mérite en tout cas d'être tenté. Nous verrons bien si cela fonctionne.

De Barthes à Zuckerberg : Fragments d'un discours amoureux.

Dans l'ouvrage éponyme, Roland Barthes écrivait en 1977 : 

"Le système est un ensemble où tout le monde a sa place, même si elle n’est pas bonne … En quoi les "casés" qui m’entourent peuvent-ils me faire envie ? De quoi, en les voyant, suis-je exclu ? Ce ne peut être d’un "rêve", d’une "idylle", d’une "union" : il y a trop de plaintes des "casés" au sujet de leur système. Non, ce que je fantasme est très modeste : je veux, je désire tout simplement une structure. Certes, il n’y a pas un bonheur de la structure mais toute structure est habitable, c’est même là, peut-être, sa meilleure définition."

27 ans plus tard, en 2004, Mark Zuckerberg tentait une nouvelle forme de structure habitable du discours amoureux. La promesse de Facebook est depuis l'origine celle de ce bonheur de la structure. Un bonheur qui se fracasse pour l'instant sur l'architecture technique toxique de la promiscuité qui prétend le servir.  

Facebook-relationship-status

Bonus Track.

Si vous en avez l'occasion et êtes sur la capitale le 14 Mai prochain, je ne saurai trop vous conseiller le prochain séminaire autour des Cultures du numérique d'Antonio Casilli à l'EHESS qui portera justement sur le Big Data et les rencontres en ligne avec Marie Bergström comme invitée

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