Et oui pourquoi ? Et surtout … pourquoi est-ce que j'éprouve le besoin de vous raconter tout ça ? 🙂
Je vais fermer mon compte Twitter.
Je ne vais pas fermer mon compte Twitter à cause de haters ou de trolls. Les conversations que j'y tiens, les saillies que j'y balance, les colères que j'y exprime et les positions (souvent sans nuance) que j'y déverse continuent d'y être accueillies soit avec bienveillance soit avec indifférence, ce qui me permet donc, dans l'un comme dans l'autre cas, de continuer à profiter d'une certaine tranquillité dans mes interactions sur ce réseau. "De tranquilitate animi retiolus", comme disait l'autre.
La seule fois où j'ai vaguement subi une forme de désagrément remonte à mon article sur l'éviction de Jacques Sapir de la plateforme de blogs Hypothèses.org. Quelques "block" et "mute" plus tard, tout était redevenu normal.
Mais je vais quand même fermer mon compte Twitter. Pourquoi ?
Parce que je vais atteindre 10 000 followers.
J'en ai 9 700 au moment où je commence l'écriture de ce billet et le paradoxe des logiques éditoriales va probablement m'en ramener une centaine de nouveaux suite à la publication de cet article annonçant la fermeture de mon compte.
Parce que je l'avais promis il y a déjà longtemps. Parce qu'il y a longtemps sur Twitter j'avais promis de fermer mon compte Twitter lorsque j'attendrais 10 000 followers. Et qu'il faut toujours tenir ses promesses.
Pourquoi 10 000 ? Parce que cela me semblait déjà énorme au moment où je n'avais que 2 ou 3000 followers et que, déjà … cela me semblait énorme.
Pourquoi cela me semblait-il énorme ? Parce que c'est autant que certains comptes d'émissions, de médias, de personnalités politiques et d'éditorialistes et que je ne suis ni une émission, ni un média, ni une personnalité politique ni un éditorialiste, et que je n'aspire ni à l'être ni à le devenir.
Parce que cela fait des années que je réfléchis et travaille sur les logiques de notoriété, d'éditorialisation algorithmique, sur la manière dont les plateformes et leurs algorithmes installent, fabriquent et organisent des espaces de parole, des espaces discursifs qui peuvent être de débat ou de déballage. Et que toute parole est une parole située. Et que cette situation ne correspond plus nécessairement à la parole que j'ai envie de porter.
Parce que je suis enseignant et que j'ai une certaine expérience de la prise de parole "en public". La plupart du temps devant un public captif certes, mais devant un public quand même. Et parce que jamais je ne me suis adressé à 10 000 personnes en même temps. Je sais bien sûr que 10 000 personnes ne voient pas chacun de mes tweets – grâce ou à cause de l'algorithme de hiérarchisation de Twitter – mais quand même. D'ailleurs nous y reviendrons pus tard.
Danah boyd parle depuis très longtemps du phénomène des "audiences invisibles" et de la manière dont cela restructure totalement notre rapport à l'espace, au temps et aux autres, notre rapport à notre propre parole. La quantification de ces audiences (bientôt 10 000) est souvent en décrochage par rapport à la qualification de ces mêmes audiences (qui sont ces 10 000 et surtout pourquoi me suivent-ils ?). Les métriques dominantes sont à l'évidence celle du quantitatif et de la démesure attentionnelle. De maudites métriques merdiques :-)
Ces audiences invisibles sont également et littéralement des audiences para-doxales, des audiences qui vont "contre" la représentation que l'on se fait du "discours commun", et ce à plusieurs titres. Ainsi il est para-doxal que m'adressant à une audience théorique de 10 000 personnes seule une poignée soit en capacité de réellement voir (afficher) ce que je dis (grâce ou à cause des algorithmes utilisés pour hiérarchiser l'affichage à l'échelle de la volumétrie des contenus concernés). De même il est para-doxal d'être en situation de communiquer avec un large public pour s'exprimer sur des opinions ou des ressentis personnels sans autre légitimité pour le faire que celle d'une "popularité / notoriété / visibilité" tout aussi artefactuellement construite qu'elle est artificiellement ressentie et algorithmiquement répartie.
Car les algorithmes de Twitter (et d'ailleurs) sont essentiellement des algorithmes de répartition de charge. Pas simplement de "charge" au sens informatique, mais des algorithmes de répartition de charge de la preuve ; des algorithmes de répartition de charge discursive également : qui "se charge" de s'exprimer sur tel ou tel sujet, à qui revient cette charge ? Qui prend ce poids de cette charge ? Qui fait le poids ?
Economie de l'attention ou écologie de l'envie ?
Quand je m'adresse – au moins théoriquement – à 10 000 personnes, le simple fait de le savoir et de le "mesurer" change bien sûr la nature de ce que je peux raconter. Je suis donc amené à faire davantage attention à ce que je pourrais dire ou avoir envie de dire. Sauf que bien sûr la plupart du temps je ne fais pas spécifiquement attention à ce que je raconte sur Twitter puisque, précisément, il s'agit de Twitter, c'est à dire, du point de vue de ma pratique discursive située, d'un exutoire, d'un confessionnal, d'un gueuloir, d'une antichambre des idées, d'un café du commerce souvent formidable et quelquefois odieux, d'une conversation à bâtons rompus entre vieilles connaissances du réseau, d'un espace ni réellement public ni entièrement privé, d'un formidable outil de veille, mais en aucun cas d'un lieu dans lequel j'ai besoin ou envie de faire attention à ce que je raconte.
Je vais donc fermer mon compte Twitter lorsque j'atteindrai les 10 000 followers parce que j'ai envie d'avoir l'impression que je reste maître des espaces discursifs dans lesquels je m'exprime, pour garder une vague impression d'y être encore libre de m'y exprimer comme je l'entends afin, justement, de pouvoir me rassurer sur le fait que j'y sois entendu. Et que cette maîtrise, en tout cas sur Twitter, passe par une mesure. Et que 10 000 ce n'est plus une mesure mais, à mon échelle, la limite d'une dé-mesure.
Je vais fermer mon compte Twitter parce que même si j'ai régulièrement pris le temps de faire un peu le ménage dans mes followers pour en éliminer l'essentiel des "bots" ou des comptes en quête de "Growth Hacking", je n'ai honnêtement plus trop le temps de le faire.
Et puis fermer un compte (Twitter ou autre) c'est aussi mesurer, à l'échelle de la subjectivité de ses propres usages, quelle est la vraie valeur du service associé au dit compte. Pour Twitter en l'occurence, cette valeur est toute entière dans le liste des 666 comptes dont je suis moi-même le suiveur et qui alimentent l'essentiel de mon activité de veille personnelle, professionnelle et sociale. Et pour lesquels je suis à la recherche d'une méthode rapide voire automatique pour m'y réabonner depuis mon futur nouveau compte (à vos avis et conseils 🙂
Voilà pourquoi je vais fermer mon compte Twitter … et en ouvrir un autre bien sûr.
Je vais bien sûr conserver tout ce que j'ai dit sur Twitter depuis la création de mon (premier) compte. Je déposerai cette archive sur ce blog. Ou quelque part ailleurs sur les internets. Elle est peut-être probablement déjà archivée dans une bibliothèque américaine pour la période 2006-2017 en tout cas. Et j'avoue avoir autant de raisons de faire cela que de garder de vieux cartons de cours de classe de première chez moi. C'est à dire aucune autre que l'illusion que cela pourrait un jour servir sans vraiment savoir à qui ou à quoi.
Et je continuerai de m'exprimer dans ces espaces numériques divers qui sont autant d'espaces distincts : sur ce blog en premier lieu, sur Facebook également, sur Twitter constamment, dans des médias ou des congrès et revues scientifiques plus rarement. Il est vital de préserver la diversité de ces espaces discursifs. De tous ces espaces discursifs. De disposer d'espaces différenciés pour des pratiques différenciées.
Allez. 9737.
Encore un effort 😉
On a hâte de connaître ton nouveau compte pour pouvoir tous nous y réabonner alors 😉
Paradoxalement, tu as construit toi même ton audience avec tes pratiques de gestion de ta communauté, comme si tu voulais te suicider virtuellement. Je peux faire psy, ça fera 50€.
Je me suis permis de participer à cette auto destruction.
Je vais amplifier la dé-mesure en vous confiant que je fais partie des personnes, nombreuses probablement, qui suivent vos gazouillis avec attention sans pour autant faire partie des followers.
Il y a une raison à mon choix, évidemment, qui rejoint vos propos. C’est qu’en allant volontairement consulter votre fil j’ai le sentiment, illusoire peut-être, de me jouer des algorithmes et du système.
Alors oui, fermez votre compte si tel est votre souhait. L’important est que tant que durera votre activité sur les internets j’aurai, en vous lisant, l’impression de me coucher un peu moins bête que je ne l’étais le matin même. Cela mérite bien un merci. Merci, donc.
J’avais découvert ce blog grâce à un article partagé sur Mastodon et je m’étais tout de suite abonné au flux RSS. De temps en temps, j’actualise mon agrégateur (sfeed en l’occurrence) et je parcours les titres dans w3m (le navigateur web textuel pour terminal) sans décompte de pouce, de coeur, d’étoile ou de vue. Je vois tout les articles (enfin les titres) de toutes les sources auxquelles je me suis abonné sans qu’aucune entité ne hiérarchise quoi que ce soit motivé par un quelconque intérêt.
Donc oui, twitter et facebook c’est sympa mais structurellement c’est certainement pas le cadre le plus sain pour s’informer, penser et diffuser des idées dont le ramdam n’est pas la finalité.
Continuez à écrire sur ce blog, faites peut-être un peu plus de pub pour le flux xml, que vous quittiez twitter ou non, et les vaches seront bien gardées.