L’année 2019 sera celle de la question sociale sur les réseaux (sociaux).

Il paraît que l'on a jusqu'au 31 Janvier pour adresser ses voeux de bonne année (donc bonne année) et pour se livrer à l'exercice des prédictions du prochain Next Big Truc qui va tout disrupter sa mère. 

L'année dernière comme je l'expliquais pour Digimind, la tendance majeure me semblait devoir être celle des interfaces vocales. Et je n'étais pas trop loin du compte ;-) 

Si je devais retenir un enjeu majeur pour l'année qui s'ouvre ce serait celui de la question sociale (au sens politique) telle qu'elle est servie ou desservie par les grandes plateformes et le web.

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Pour archivage, je reproduis ici le court texte paru sur le blog de Digimind parmi d'autres "témoignages d'experts".
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2019 : Year of the Social Network Question. 

Après l'élection de Trump et le vote pour le Brexit, tout le monde a encore présent à l'esprit le mouvement des Gilets Jaunes et le rôle prépondérant que Facebook joua dans ces trois grands temps forts politiques. Avec presqu'à chaque fois l'articulation entre la plateforme "sociale" et un espace discursif plébiscité par les classes dites "populaires" ou "intermédiaires" cherchant à faire exister un espace de mobilisation et de revendications. Ou bien les actions de lobbying et d'influence visant à duper l'opinion pour peser sur le résultat d'un scrutin. 

En ce début d'année 2019 c'est au tour des Stylos Rouges de se structurer également sur Facebook. Et il y a tout à parier que d'autres luttes, d'autres revendications, d'autres collectifs, formels ou informels, continueront de se servir de Facebook comme d'un substitut à une représentativité perdue et comme remède à une invisibilité légitimement ressentie comme de plus en plus pesante. Tout à parier également sur le fait que d'autres chercheront à ramener à tout prix ce même peuple au simple rang d'utilisateur.

Souvenons-nous de ce que la "question sociale" avait représenté au 19ème siècle. La question sociale c'était : 

"l'état d'interrogation profonde – voire de désarroi – dans lequel se trouvent plongés les politiques et les économistes, confrontés aux problèmes liés à la transformation radicale du travail à la suite de la révolution industrielle. (…) Selon Robert Castel, elle est la contradiction fondamentale "sur laquelle une société expérimente l'énigme de sa cohésion et tente de conjurer le risque de sa fracture …"

Deux siècles plus tard nous traversons le même genre de désarroi et d'interrogation sur le rôle, désormais clairement politique, que les réseaux sociaux remplissent. 

Jusqu'ici et depuis bientôt 10 ans, la dimension "sociale" des plateformes n'était qu'un prétexte à l'établissement d'un modèle publicitaire permettant de constituer des logiques de rentes attentionnelles. Aujourd'hui la question sociale est en train de devenir le sous-texte tonitruant de classes populaires et intermédiaires qui ajoutent une politisation souvent radicale à la panoplie habituelle de leurs usages connectés ; une politisation renforcée par les effets de polarisation inhérents aux plateformes et à des années lumières de l'habituel slacktivisme pétitionnaire plutôt associé aux milieux bourgeois.

Chacun sait qu'il n'est pas de politisation sans polarisation. Chacun sait également que la polarisation est nécessaire à la socialisation ("l'homophilie comme marqueur de persistance d'une catégorisation sociale dans les structures relationnelles"). Et chacun voit bien comment ce triptyque (socialisation > polarisation > politisation) est au centre même de l'expérience proposée par les grandes plateformes sociales aujourd'hui.

Or on connaît depuis longtemps, par bien des études scientifiques, le rôle éminent des émotions dans ces environnements numériques, au premier rang desquelles le sentiment de colère et d'indignation. Et l'on connaît également la capacité des plateformes à capitaliser sur cette manne émotionnelle pour la transformer en différents critères "d'engagement" au service de différents annonceurs ou d'autres "tierces parties".

Lorsque la principale focale de l'usage de ces plateformes devient cette question sociale, elles revêtent alors une ambition et une dimension politique qu'il est de notre devoir d'interroger pour  comprendre les nouvelles formes de représentativité et de visibilité qu'elles autorisent, mais également les nouveaux risques de manipulation de l'opinion qu'elles permettent. Car dans les deux cas, cette question sociale et les revendications qui l'accompagnent continueront de se déployer en réseau, à une échelle et selon des modalités totalement inédites dans l'histoire des démocraties. 

Question-sociale

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