Dans "La trahison des images", Magritte nous dit que "ceci n'est pas une pipe".
Heu non, pardon. Que ceci, n'est pas une pipe.
Christophe Castaner, lui, est une grosse pipe.
Laissez-moi vous expliquer pourquoi.
Mais avant, et d'aussi loin que je me souvienne, la question de l'euphémisation de la langue figure parmi mes causes de colère les plus violentes. C'est pour moi la pire des brutalités que de vouloir tordre le réel, tordre l'évident, pour le faire entrer dans une gangue asservie aux intérêts de quelques-uns et, surtout, au détriment de tant d'autres. C'est peut-être pour cela que 1984 est l'un des rares ouvrages que je peux relire en boucle. Peut-être pour cela que la description du mal qui y est fait à la langue me semble toujours aussi intolérable qu'indépassable.
"La guerre, c’est la paix. La liberté, c’est l’esclavage. L’ignorance, c’est la force."
Mais revenons à la grosse pipe qui est actuellement ministre de l'intérieur. Pour Christophe Castaner, alors que les violences policières arrivaient enfin sur le devant de la scène médiatique grâce au travail remarquable et à l'opiniâtreté d'utilité publique de David Dufresne, pour Christophe Castaner il n'y avait aucun éborgné par des tirs de LDB 40 mais simplement des gens présentant "des atteintes graves à la vision, dont certains pourraient perdre un oeil." Alors que David Dufresne en avait déjà documenté plusieurs dizaines, Christophe Castaner lui, ne parlait que de "4 cas".
Pour cette grosse pipe de Christophe Castaner, ceci est une atteinte à la vision.
Jérôme Rodriguez, comme hélas tant d'autres, sera éborgné. Borgne pour le reste de sa vie. Une atteinte grave à la vision ? Non. Un éborgné de la république. Un éborgné par la république.
Je n'ai ni le temps ni l'envie de recenser ici les trop précoces éjaculations verbales d'un ministre qui est "de l'intérieur" comme l'est le siège en skaï moisi d'une berline au tuning improbable. Mais Christophe Castaner dispose d'un sens de la récidive qui frise le pathologique. Car après qu'un manifestant en gilet jaune a reçu un coup de matraque à la tête, alors que la vidéo (courte ou intégrale) est une fois de plus accablante, Christophe Castaner a déclaré :
"Ceci n'est pas une image de violence policière."
Authentique. "Il n'y a pas d'image de violence policière", dit Christophe Castaner, mais, ajoute-t-il "un policier qui a poussé quelqu'un au moment d'une charge". <Mise à jour> Voir entre autres le démontage de la version de Castaner sur le plateau de C à vous </mise à jour>
Pour oser à ce point, et avec l'aplomb dont seuls disposent les parvenus et les cons, distordre la réalité des faits lorsque l'on est supposé occuper un ministère dont la fonction est d'en garantir l'exactitude, il faut à l'évidence se sentir protégé et couvert par une figure tutélaire dont on s'imagine que l'autorité permettra de masquer sa propre insignifiance. Et pour Christophe Castaner cette figure tutélaire est celle d'Emmanuel Macron.
Le président de la république qui ose, lui aussi, après qu'une femme de 73 ans se soit effondré gravement blessée à la tête suite à une charge de CRS, déclarer que "il n'y a eu aucun contact avec les forces de police." Avant de lui souhaiter de la "quiétude" et "une forme de sagesse". Depuis cette déclaration, les faits, heureusement ont été rétablis et les enquêtes nécessaires diligentées, même si l'on peut légitimement être inquiet de l'issue qui leur sera donnée.
"La guerre, c’est la paix. La liberté, c’est l’esclavage. L’ignorance, c’est la force."
Alors voilà. Puisque la photo d'un CRS frappant un homme à la tête avec une matraque "n'est pas une image de violence policière" selon Christophe Castaner, puisque qu'un oeil crevé par un tir illégal de LBD40 n'est qu'une "atteinte grave à la vision" selon le même ministre de l'intérieur, et puisque une femme de 73 ans, Geneviève Legay, s'effondrant suite à une charge de CRS "n'a eu aucun contact avec les forces de l'ordre" selon le président de la république, qu'il me soit donc permis d'affirmer ici et de manière tout à fait sereine que Christophe Castaner et Emmanuel Macron sont deux grosses pipes.
Et si l'un ou l'autre décide de m'attaquer en justice pour offense, qu'ils sachent que je plaiderai le fait que leurs déclarations sont une atteinte grave à ma vision du monde, que je n'ai jamais été en contact avec la langue qu'ils parlent, et que j'aimerais sincèrement qu'ils ne soient que l'image d'une violence linguistique mais qu'ils sont tous deux, hélas, bien davantage.
Et que les dernières atteintes graves à la liberté d'informer ne doivent pas lasser de nous inquiéter.
La parole vide d’un ministre creux !
(super)casta,le kéké du poker menteur !