Dès le début du confinement, les universités ont été les premières à annoncer que les cours en présentiel ne reprendraient pas avant Septembre. Et que donc la totalité des examens se dérouleraient "à distance" et "en ligne".
Dans les quelques jours qui ont suivi, beaucoup de collègues ont été séduits par les propositions d'un certain nombre d'entreprises avec des solutions – payantes – clés en main pour "surveiller" et administrer la passation des examens universitaires.
Interviewé dans le Monde le 9 Avril 2020 j'avais indiqué :
"Reste la question de la surveillance de ces examens. « La tentation de faire appel à des prestataires privés, à la Matrix, qui surveillent via la web-cam le bon déroulement d’une épreuve », affirme Olivier Ertzscheid. Une option à laquelle réfléchissent notamment des enseignants de deux départements de l’IUT de la Roche-sur-Yon, composante de l’université de Nantes. "Cela pose des questions de coût, entre 2 et 10 euros par étudiant et par examen, mais aussi de transfert au privé d’un socle fondamental de l’université qui est sa propre capacité à évaluer", estime-t-il."
Quelques temps après l'université de Nantes fut l'une des premières à annoncer renoncer à toute forme de recours à ces sociétés de flicage et à renvoyer ses enseignants vers les solutions locales (la plateforme Moodle) ou vers des "adaptations" des examens pour pallier autant que possible à la fois les risques de surcharge des serveurs mais également (et surtout) les soucis de connexion d'un très grand nombre d'étudiant(e)s.
Et puis voilà ce qu'avec l'arrivée des examens de fin d'année, voilà ce que l'on apprend. Il y aura de la "télé-surveillance" à Rennes 1.
Mais au fil de comptes Twitter d'enseignants ou de témoignages d'étudiants, on apprend et l'on surprend aussi d'autres universités se livrer à ce jeu indigne et mortifère. A l'université d'Assas notamment où cela a pu, pour l'instant, être empêché. Mais à lire l'article de Matthieu Périsse sur Mediapart on voit bien que si pour l'instant ces pratiques restent heureusement minoritaires, elles constituent déjà une politique du pied dans la porte qui annonce des lendemains inquiétants.
La ministre Vidal s'en tient à sa ligne habituelle. C'est à dire que quand elle est interrogée frontalement elle minimise et que plus globalement elle n'en a absolument rien à foutre. En langage ministériel cela donne "les modalités des examens relèvent de la liberté pédagogique des établissements." Mais dans "liberté pédagogique", madame la ministre, le mot "liberté" est aussi important que le mot "pédagogie". Et la liberté est tout à fait incompatible avec ces solutions de flicage Orwellien.
Alors bien sûr chaque enseignant et universitaire a le droit d'être a priori "séduit" ou "tenté" par ce que l'on présente abusivement comme les "EdTech" et qui ne sont rien d'autre que des "OrwellTech". La diversité des matières, des conditions matérielles de chaque université, de chaque discipline, l'acculturation au numérique qui est loin d'être homogène parmi les collègues, le fait que nombre de formations tournent avec une majorité de vacataires et d'intervenants extérieurs sous-payés et précarisés à qui on ne peut bien sûr pas demander de gérer, en plus de tout le reste, des conditions d'examen inédites, tout cela fait que toutes ces solutions de flicage peuvent apparaître comme autant de solutions de facilité.
Mais cette "facilité" ne résiste pas à l'analyse.
D'abord ces Orwell Tech coûtent un bras (ou deux). En l'état des finances des universités, et au moment où le taux de pauvreté des étudiant(e)s atteint des niveaux aussi alarmants qu'indignes de la 6ème (ou 7ème) puissance mondiale, la priorité n'est pas d'aller dépenser 2 à 10 euros par étudiant pour faire passer des QCM en transformant les ordinateurs personnels (de celles et ceux qui ont la chance d'en avoir un en état de marche) en autant de caméras de surveillance fonctionnant dans leurs chambres.
Car, et c'est le point suivant, ces Orwell Tech posent des problèmes de vie privée qui sont au respect des personnes ce que Tchernobyl est au respect de l'environnement et Muriel Pénicaud à la fluidité de la syntaxe.
D'autre part, elles remettent en cause de manière fondamentale l'équité de l'évaluation des connaissances à l'université et fracturent définitivement la question de l'égalité de traitement entre les étudiant(e)s.
Plus fondamentalement, elles sont un cheval de Troie vers un ensemble de dérives qui ont comme objectif, en creux, de promouvoir des formes sévères de désintermédiation entre enseignants et étudiants. Rappelons que dans certains "forfaits" de certaines de ces sociétés, la correction elle-même n'est plus assurée par les enseignants mais par ces professionnels du flicage. "Ce n'est pas si grave" me direz-vous, s'il s'agit de corriger à la volée des milliers de QCM, un âne, une machine ou une société de flicage peut en effet très bien le faire. Certes. Sauf que primo l'idée n'est pas de multiplier les QCM comme seule forme d'évaluation des connaissances, et que deuxio, la plupart des plateformes institutionnelles déployées dans l'ensemble des facultés, modulo leur capacité de montée en charge, sont tout à fait capables de rendre le même service gratuitement et en laissant à l'université (et aux universitaires) la capacité fondamentale qui est celle d'évaluer. Encore faut-il bien sûr que ces plateformes soient correctement dimensionnées (elles peuvent aisément l'être pour autant que l'on finance les infrastructures et les ressources humaines le permettant), que les gens y soient un minimum formés, et que l'on n'ait pas, faute de postes pérennes d'enseignants titulaires, à faire vivre des formations entières avec une majorité d'intervenants vacataires souvent précaires qui ne peuvent donc pas – et c'est bien normal – prendre en charge ces aspects (certains d'entre eux le font pourtant, avec là encore un sens de ce putain de service public qui devrait faire s'agenouiller pour leur demander pardon et leur filer un poste pérenne la plupart des connards – et connasses – qui les maintiennent dans cette précarité).
Je vais vous raconter d'où je parle.
Je vais partir de mon "terrain". Le département Infocom d'un IUT de province (La Roche sur Yon), composante de l'université de Nantes. Notre équipe à fait comme toutes les équipes de tous les départements de toutes les université françaises. D'abord on n'a clairement pas trop su quoi faire. Et nous nous sommes posés les questions de ce flicage des examens, ou plus exactement on nous les a posées sur le mode "souhaitez-vous mettre en place ce machin", ce à quoi nous avons unanimement et prestement répondu : "plutôt crever" (mais nous l'avons dit poliment car nous avons reçu une bonne éducation).
Comme tout le monde notre département emploie des enseignants permanents, mais aussi des vacataires. Dont le dévouement m'étonne toujours alors même que, souvenez-vous, le sort qui leur était fait par l'université me poussait il y a peu à coller ma démission administrative. Mais bref. Des titulaires, des vacataires, des précaires. Et plein de cours différents, des cours théoriques ne nécessitant rien d'autre que des cordes vocales affûtées et un powerpoint chatoyant, des cours pratiques nécessitant des accès informatiques à plein de suites logicielles propriétaires coûtant un bras (bisous Adobe) et auxquelles il est aussi de notre responsabilité de former nos étudiant(e)s tout en leur présentant à chaque fois que possible les alternatives libres existantes. Et puis aussi plein de projets, de suivis de projets, de cours parfois bizarroïdes, chamarrés, un peu barrés. Des trucs qui ne rentrent pas trop dans les cases puisque l'essentiel de l'apprentissage et de la transmission passe d'abord par l'échange, le dialogue, la discussion, la disponibilité, notre disponibilité de prof, pour les étudiant(e)s. Bref. Un chouette habit d'Arlequin qui depuis des années revendique et mérite le titre de meilleur DUT infocom de la galaxie connue.
Une fois réglée définitivement la question du "on fait fliquer nos étudiants ou pas", nous sommes donc passés à la phase artisanale et flottante du "bon ben alors pour les cours on fait quoi et comment … ?". Et chacun a fait … comme il a pu. Moi j'ai fait des podcasts de 30 minutes et balancé le powerpoint qui va avec (le son et l'image), un autre qui était déjà bien tanké dans Madoc a continué de s'y tanker, d'autres ont balancé des slides ou des cours à lire, d'autres ont lancé des permanences téléphoniques, du chat pour répondre aux questions, etc.
Et puis un jour on a reçu un mail d'une de nos étudiant(e)s qui nous a dit : "Heu bon alors tout ça c'est très sympa mais en fait on a créé un Discord." Alors nous y sommes allés et c'était beau.
Il y avait des salons pour chaque cours, des espaces généraux pour l'organisation, des salons vocaux pour les projets tuteurés, etc." Un espèce de Moodle mais sans la pesanteur. En apesanteur. Ca m'a rappelé mes premières années d'internet à la fac du Mirail à Toulouse, quand on causait sur IRC avec des pseudos à la con et qu'on jonglait entre les #Channels.
Donc après avoir dit : "…" nous sommes allés sur Discord. Pas tous, pas tout le temps. Mais presque tous. Presque tout le temps. Discord est un outil que nous "connaissions" ou plus exactement dont nombre d'entre nous avaient entendu parler mais dont peu d'entre-nous avaient un usage régulier. Du coup le sens pratique et expérientiel a (en partie) changé de camp, et quand l'espoir (ou l'expérience) change de camp, vous connaissez la suite. Donc sans renoncer aux outils existants et que nous maîtrisions, plutôt que d'attendre ou de contraindre les étudiant(e)s à venir sur nos outils (qui sont certes aussi universitairement les leurs) c'est nous qui sommes allés sur leurs outils, dans leur environnement. On leur a un peu laissé les clefs du camion quoi. Et à chaque fois qu'on fait ça, on est aussi régulièrement qu'agréablement surpris. Cela ne veut bien sûr pas dire, je le répète, que nous avons renoncé à Moodle et aux autres outils classiques mais le point focal de l'organisation de la fin d'année, de leur fin d'année, a changé du tout au tout : c'est eux qui l'ont créé, en y apportant leurs pratiques, leurs attentes, leurs "habitus". Et cela, cela change tout. Parce que le mail qui n'est pas lu par tout le monde, il y a toujours quelqu'un sur Discord qui l'a vu passer, qui le signale à ses camarades, qui rappelle l'horaire du cours de PAO ou de socio en direct, qui refile les codes de session. Ils sont chez eux. C'est leur camp de base. Leur point focal. Leur point nodal. C'est plus pratique. Plus souple. Plus efficace. Il ne nous reste qu'à suivre et à aller y jeter un oeil curieux de temps en temps ou à y basculer en totalité nos cours à distance et nos rendez-vous de suivi de projet (entre autres).
J'entends déjà les remarques en mode : "oui Ok pour 60 étudiants de DUT ça marche mais pour des amphis de 300 c'est un peu plus tendu." Pas sûr. Et il est de toute façon assez probable que les amphis de 300, en plus de leurs vertus pédagogiques évidentes (c'est du second degré hein …), aient plutôt vocation à se raréfier dans les prochaines années, en tout cas tant que l'on n'aura pas trouvé de vaccin et que l'épidémie se poursuit.
OK mais heu … et les évaluations ? Les examens ?
J'y viens. Mais si j'ai tenu d'abord à vous parler de ce terrain, de mon terrain, c'est parce que c'est cela qui précède et qui conditionne l'examen. C'est cela l'essentiel. Pas l'examen. Nous n'organiserons pas les examens sur Discord. Chacun et chacune d'entre nous a du revoir en profondeur la manière, "sa" manière d'envisager les examens. Avec plus ou moins de bonheur. Le "partiel" de culture numérique par exemple, je ne sais toujours pas quelle tête il aura. J'y réfléchis. Certains collègues ont demandé des exercices d'écriture un peu "créatifs", d'autres sont restés sur des modalités plus classiques et habituelles avec un sujet à traiter (en PAO par exemple) et à rendre mais avec plus de souplesse dans l'utilisation et la mise à disposition des outils nécessaires, d'autres ont complètement modifié ce qui devait au départ ressembler à un écrit pour en faire un oral à enregistrer et à envoyer. Bref, chacun a fait ce qu'il a voulu et surtout ce qu'il a pu. Ce ne sera pas toujours parfait, pas toujours "optimal" mais très sincèrement, chacun d'entre nous connait à la fois la valeur ou les faiblesses ou les fragilités" de la plupart de nos étudiants.
Et surtout, surtout, surtout, en faisant cela, même de manière bricolée, même un peu dans l'urgence, même si la moyenne du devoir avant confinement et en présentiel était peut-être de 13 et que celle du devoir à distance et en confinement augmentera (ou baissera) de 2 points, je n'en ai personnellement absolument rien à faire. Cela n'est pas mon sujet. Cela n'est pas mon métier.
Mon métier et mon sujet c'est de maîtriser de bout en bout ce que l'on appelle un "cours", c'est à dire une subjectivité (la mienne) dans les contenus traités, alliée à une subjectivité (la mienne encore) dans la manière de les transmettre et de les organiser, et enfin une subjectivité (la mienne toujours) dans l'évaluation et la compréhension de ce que les étudiant(e)s en auront fait, retenu, compris et qu'ils oublieront presqu'instantanément ou qui les accompagnera pendant très très très longtemps. Et j'ai des témoignages assez contre-intuitifs dans les deux cas 😉
Ecoutez bien ce que je vais vous dire. Il n'existe pas de cours, jamais, aucun, nulle part, dont on ne puisse pas entièrement revoir ou réaménager les conditions d'évaluation pour faire en sorte de ne pas avoir à se soumettre à des systèmes intrusifs et délétères de flicage qui transforment chaque étudiant en délinquant potentiel et qui séparent l'enseignant de l'évaluation de son propre cours tout en accélérant les inégalités sociales et les inéquités techniques, situationnelles, culturelles et … universitaires entre les étudiants eux-mêmes.
"Oui mais ils vont tricher."
Oh j'en entends déjà certains geindre en mode : "Oh oui mais alors ils vont tricher, ils vont aller sur Wikipédia, ils vont – horreur absolue – se servir de leurs cours pendant le devoir …" Ce à quoi j'oppose un ferme et déterminé (et imparable) argumentaire en trois temps.
Premier temps. Mais bordel connard (ou connasse hein, vous adapterez), mais bordel connard, si ton premier réflexe dans la situation actuelle c'est de badtripper sur le fait qu'ils risquent de tricher, ça dit tellement de ce que tu devais être toi-même quand tu étais étudiant(e) … Et quand bien même s'ils trichaient ? Que crois-tu ? Que jamais personne ne triche pendant tes partiels en présentiel à 300 dans un amphi ou à 30 dans une salle de TD ? Vraiment ?
Deuxième temps. Mais bordel connard s'ils ont besoin d'utiliser Wikipédia pour répondre à ton putain de partiel et ben dis-toi qu'au moins ils auront appris dans Wikipédia ce que tu n'as pas été foutu de leur transmettre pendant ton putain de cours.
Troisième temps. Mais bordel connard t'en es vraiment à flipper parce qu'ils pourraient utiliser tes … cours ??? Et c'est ça qui t'angoisses et ça qui t'inquiètes ?? Genre si t'étais restaurateur tu serais du genre à interdire à tes clients de bouffer les plats que tu cuisines au moment où ils vont passer à table ? Non ? Bon. Ben alors ressers-toi une assiette de purée, et arrête de faire chier.
OrwellTech.
Venons-en en détail à ces Orwell Tech aux noms délicieux et tellement programmatiques de "Managexam", "Smowl" (l'abus de spacecake pendant le brainstorming), "TestWe" (astuce tellement putassière de l'inversion en mode "testez-nous et nous vous testerons"), "Evalbox" et mon préféré … "Proctorexam" qui fleure bon la visite de la cinquantaine chez le médecin avec le petit gant en plastique qui ne va pas forcément contribuer à te détendre. Non franchement "Proctorexam" les gars, surtout ne changez rien, vous êtes parfaits.
"La technopolice envahit l'université". Je vais me contenter de reprendre les termes de l'alerte de la Quadrature du Net (que toutes les universités devraient financer si vraiment elles ne savent pas à qui filer le pognon qu'elles n'ont pas), alerte qui rappelait ce qui est à la fois l'argumentaire commercial et la nature profonde de ces saloperies d'imposteurs qui font passer pour des technologies "éducatives" ou au service "de l'éducation" (EdTech) ce qui ne relève que d'un seul champ de compétence : celui de la surveillance et de la punition. Voilà donc les argumentaires de ce que le ministère lui-même suggère aux universités comme recours possible. Accrochez-vous, pilule bleue dans la main gauche, pilule rouge dans la main droite. On y va.
"repérer automatiquement les anomalies pouvant survenir dans la session d’évaluation grâce à une recherche et une classification visuelle de l’environnement des candidats" (comprendre donc par "environnement" : leur chambre)
"algorithmes d’analyse comportementale pour détecter les comportements suspicieux"
"mise en place d'un système à double caméras, celle de l’ordinateur qui filme par l’avant, et celle de votre smartphone qui filme l’ensemble de la pièce, pour vérifier qu’il n’y a pas un deuxième ordinateur ou quelqu’un en train de vous souffler"
"algorithme de reconnaissance automatique des visages pour vérifier l’identité de l’utilisateur en ligne et un système qui détecte les comportements incorrects"
Allô ? Allô ? De quoi est-on en train de parler exactement ?? Des comportements suspicieux ? Des comportements incorrects ? De l'analyse comportementale ? Analyser visuellement l'environnement (donc la chambre la plupart du temps) où les étudiants travaillent et composent ? Non mais vous imaginez un peu le tiers du quart de tout cet argumentaire si on vous le vendait pour d'autres fins ? Nous serions tous en train de manifester et de faire bouffer un drone sauce gribiche au "ministre de l'intérieur pour qui ce qu'il fait au peuple français se voit surtout à l'extérieur". A moins que. Mais là non. Il s'agit d'étudiant(e)s. Donc ça passe crème. A moins que.
Mais enfin, dans l'esprit de quel demeuré a pu naître l'idée que nos étudiant(e)s seraient des délinquant(e)s en puissance qu'il s'agirait de contrôler au moyen de systèmes à double caméra s'immisçant dans l'espace de leurs chambres ? Quelle putain de bande de bâtards cyniques ont pu imaginer de tels dispositifs merdiques ? Et comment, comment des universités et donc des universitaires (pour autant qu'il en reste dans les innombrables étages managériaux de ce que l'on continue d'appeler souvent improprement université aujourd'hui), comment des universitaires peuvent-ils, pandémie ou pas pandémie, accepter, autoriser, acheter ce genre de technologies ? Et d'ailleurs comment le ministère de l'enseignement supérieur peut-il simplement assurer la publicité de ces services de flicage (la preuve en pdf, vous aurez même les tarifs, forfaits à l'unité, tarifs dégressifs, prix de gros pour 10 000 copies, c'est réellement la fête du slip, n'y manque plus que l'administration de décharges électriques pour aller au bout de la logique) ??
Le même ministère qui dans une autre partie du même document, préconise en termes de "bonnes pratiques" de, je cite :
"demander à l’étudiant un engagement explicite à assumer la responsabilité des conditions techniques, matérielles et opérationnelles du déroulé de l’examen à son domicile."
Purement dégueulasse et simplement scandaleux.
Comment des collègues, des collègues peuvent-ils à l'instar de celle en charge de ce bouzin à Rennes 1 affirmer :
"Je sais que les gens sont assez suspicieux sur la télésurveillance. Au contraire, on ne voulait pas faire les choses de manière bricolée. Autant je peux surveiller une épreuve dans une salle parce que c'est mon métier. Autant les surveiller en ligne ce n'est pas mon métier. C'est le métier, justement, de ces entreprises qui ont leur technologie particulière, qui leur permet, avec une procédure, de s'assurer qu'il n'y a pas de fraude. Ils ont aussi des outils d'intelligence artificielle qui sont couplés à leur système de surveillance, qui permettent de faire des rapports d'anomalies. 'Attention, là, il faut que vous alliez voir à cet endroit où il y a un problème. Il nous semble qu'il y a un souci sur cette partie là de la surveillance'. Ça permettra de ne pas dévaluer les diplômes de cette année"."
Mais bordel de merde.
Non. Ton métier ce n'est pas de décréter que "ce n'est pas ton métier de surveiller des examens en ligne". Ton métier c'est d'accompagner les étudiants jusqu'au bout de ton cours, en présentiel ou en distanciel, et ton métier c'est de mettre en place des contrôles de connaissances adaptées qui garantissent que la dimension évaluative constitutive du diplôme, du parcours et de l'apprentissage, que cette dimension évaluative ne puisse jamais en aucun cas et d'aucune manière être déléguée à des putains d'acteurs privés toxiques de flicage à distance se torchant avec les fondamentaux du respect de la vie privée et de la déontologie universitaire. C'est ça, ton métier. Si tu es dans l'incapacité de le comprendre, alors lâche l'affaire et va cueillir des fraises, il paraît que la nation a besoin de toi et de tes bras.
A quel moment quelqu'un doté de plus de deux neurones et d'une capacité d'empathie supérieure à celle de Frédérique Vidal, c'est à dire non nulle, en arrive à se dire :
"Bon ben là les étudiants ils crèvent la dalle, ils sont enfermés depuis 2 mois dans des chambres de 7 à 9 mètres carrés, ils sortent à peine pour tenter de grapiller un kilo de pâtes à une banque alimentaire, ils n'auront pas de job d'été à cause de la crise, ils se trouvent privés de formes vitales de sociabilités depuis déjà deux mois et peut-être encore pour quelques temps, ils sont flippés d'être privés de certains cours, ils sont ultra flippés de se ramasser à leurs putains de partiels ou d'examens, et là, l'institution dans sa grande bienveillance, son immense lucidité et son empathie constante, l'institution va donc leur proposer de les traiter comme des délinquants de base et faire du respect de leur vie privée le torchecul dont on craignait de manquer aux débuts de la pandémie."
Comme le rappelait Antoinette Rouvroy qui fait partie de mon Panthéon personnel de gens vivants qui t'aident (mais vraiment) à ne pas penser tout droit en fonçant dans le mur fût-il celui de la caverne platonicienne :
"Ce n'est pas tant l'Université que l'espace privé – la chambre des étudiants.e.s bien souvent, leurs ordinateurs personnels et leurs téléphones – qui se trouvent colonisés par ce qu'ils appellent la " technopolice"."
Colonisation. Ou plutôt colonialité. Mais toujours surveiller et punir. Ce qui est en train de se jouer est une formidable opportunité. A nous de savoir si nous voulons que ce soit celle d'une nouvelle contamination, d'une nouvelle avancée de la société du soupçon, de la défiance, de la présomption de culpabilité qui justifie toutes les exceptions à l'état de droit. Ou celle de refuser ces "solutions" logicielles si mal nommées, et de les renommer pour ce qu'elles sont : de dangereuses escroqueries intellectuelles, fonctionnelles et systémiques qui n'ont rien, absolument rien à faire dans n'importe quel système mettant en jeu des enseignants, des élèves, des étudiants ou simplement des organisations éducatives.
Cela peut paraître un peu con ou un peu pompeux à dire, d'autant qu'il n'est de situation d'enseignement que dissemblables, mais dans cette absence forcée et contrainte de la présence à l'autre, dans ces interactions qui sont notre part manquante, on se souvient et l'on vérifie chaque jour "que l'on ne transmet pas quelque chose mais soi" comme le disait Michel Serres.
Et l'on comprend aussi que dans la déshérance idéologique actuelle de l'université qu'incarne à merveille la ministre Frédérique Vidal et son immonde plan Bienvenue En France qui est la tâche indélébile de l'acceptation de l'innommable, on comprend que la bataille va être longue et rude. Parce que celles et ceux qu'il nous faudrait d'abord convaincre sont bien souvent les mêmes qui ont intérêt à ne surtout pas l'être pour continuer d'oeuvrer à ce qu'ils appellent la "transformation de l'université" et qui n'est au final que sa vente à la découpe à des intérêts souvent marchands, toujours partisans, et systématiquement dégradants au sens premier, c'est à dire qui lui font perdre à la fois sa dignité, et son honneur, et ses valeurs, et son sens.
Heureusement il nous reste nos étudiant(e)s.
Ils créent des Discord. Quand ils nous écrivent ils commencent presque tout le temps par nous demander de nos nouvelles. Ils sont épatant(e)s, touchant(e)s, émouvant(e)s. Du fond de leurs isolements qu'ils supportent avec une patience dont nous n'avons même pas idée, du fond de cette chambre de cité U où la plupart d'entre nous serions devenus dingues en quelques semaines à peine, le ventre souvent vide, ils continuent d'essayer de bosser avec les cours bricolés que nous parvenons encore à leur transmettre. Il en est même qui nous remercient. Qui nous remercient bordel. D'être là, d'essayer de faire cours, d'y arriver parfois, d'être simplement disponible, à l'écoute. Comme on peut. Vaille que vaille.
Ils et elles sont notre opération résilience. Ni délinquants. Ni déliquescents. Ni obséquieux. Ni obsolescents. Notre part manquante. Déterminante.
Et un horizon de retrouvailles. Vaille que vaille.
Bonus track.
Si vous voulez lire un truc intéressant sur les évaluations en temps de confinement dans le supérieur, c'est – comme souvent – chez Julien Gossa que ça se passe. Lui-même s'appuie d'ailleurs sur l'autre truc intelligent que j'ai pu lire sur le sujet, à savoir l'étude et les réflexions de Pierre Mercklé.
Bonjour,
Merci encore. Je suis effarée de ce que certains, à l’université, sont prêts à accepter : flicage, prise de température, demander à savoir qui est malade (parce que les collègues…). Je suis peut-être trop vieille mais désespérée que « vie privée », « responsabilité », « sens moral »… ne veulent plus rien dire. Encore heureux qu’UnivNantes ne soit pas trop dans le truc mais les directives nationales vont forcer à aller plus loin (congés à prendre pour des gens en zone blanche ou sans ordi qui ne PEUVENT pas travailler…)
Bonne journée,
Pss : une coquille : (…) ça qui t’inquiètes
Article à la fois très intéressant et défouloir juste ce qu’il faut ! 🙂 comme d’habitude.
Ça me paraît évident qu’on peut trouver des modalités d’évaluation nouvelles, sans passer par du par-coeur, vérifier que l’étudiant a compris les contenus du cours (quitte à les utiliser pendant le partiel) plutôt que de poser des questions de restitution basiques… On fait bien plus appel à leurs compétences. Et pour la crainte de triche, dans le pire des cas, il reste toujours l’option pour les devoirs numériques textuels de vérifier qu’il n’y a pas de copié-collé, qui se fait sans atteinte de la vie privée.
Ça me paraît assez évident qu’on peut changer les modalités d’évaluation : des travaux qui nécessitent une recherche d’information, une création personnelle de contenu… Je ne fonctionne quasiment que comme ça dans mon métier de prof doc et ça me paraît bien plus important pour préparer les élèves à leur vie d’adulte.
Je me demande qui sont ces « profs » qui acceptent cette surveillance comme solution plutôt que de chercher à remettre leurs habitudes en question, chose qu’on doit pourtant être capable de faire assez naturellement dans notre métier. Toutes les injonctions à l’adaptation ne sont pas recevables, certes, mais là, je suis effarée de voir qu’ils préfèrent une solution de technopolice à un petit effort personnel et professionnel…
Euh, Discord c’est quand même un chouilla orwelltech ou je m’abuse ?
ps: coquille « Notre équipe (à) fait comme toutes les équipes »
Des pouces pour toi des doigts pour les autres !
Je ne pensais pas voir autant de mauvais scenarii en si peu de temps
Je suis tombé sur cette image aujourd’hui
superbe illustration pour un design de crise on pourrait faire cela en mode participatif avec des palettes pendant un workshop « proctoximiti hall » ?
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6924801t.item
Merci ;). Ça fait plaisir de voir que ça ne coule pas de source pour tous les profs.
Très bonne analyse comme toujours mais, comme cela a été maintes fois dit et redit et rappelé encore ici, ne faudrait-il pas encourager l’utilisation des logiciels libres tels qu’ils sont recommandés par Framasoft (qui donne une liste de toutes les alternatives aux logiciels couramment et aveuglement utilisés par la majorité d’entre nous)? Analyser c’est bien, favoriser indirectement un système qui est à l’origine de ce que l’on dénonce en lui donnant accès aux moyens de notre propre asservissement n’est peut-être pas la meilleure des stratégies. Bien sûr, il y a ceux qui estiment que ce faisant l’être humain participe à sa propre disparition c’est-à-dire à la seule solution qui soit viable pour la nature. Mourrons peut-être mais sans souffrir! Ce n’est pas du tout le chemin que nous avons décidé d’emprunter collectivement sauf exception.
« Ne pas prévoir, c’est déjà gémir » Léonardo Da Vinci
Ne votez pas mais pensez à applaudir!
Ne vous syndiquez pas mais pensez à applaudir!
PS: une société privée propose un abonnement mensuel qui permet plusieurs types d’applaudissements en fonction de la cause choisie. Le matériel est fourni (un haut-parleur) que l’on branche sur un ordinateur et qui déclenche automatiquement la salve en fonction de l’heure choisie…
L’applaudissement peut être remplacé par des messages du type « C’est une honte! » « On va droit dans le mur! » [en klaxonnant (Attention:Seulement, en option et plus cher)] « Ça fait 30 ans que j’habite ici, je n’ai jamais vu ça! »…