De la « compol » au complot : le hold-up des eschatologies narratives.

C'est le documentaire dont tout le monde parle. Hold-Up. Et qui est intéressant car il documente, justement, un effet de saturation documentaire qui est sa principale finalité (au documentaire Hold-Up).

Capture d’écran 2020-11-14 à 18.21.00Il ne s'agit pas tant d'être vu que d'être partagé. Il ne s'agit pas tant d'être compris que d'être "aimé". Bref, il s'agit de s'appuyer sur une mythologie (le complot) qui génère sa propre narration auto-référentielle. Un ruban de Möbius de la dialectique où les deux faces apparentes d'une analyse ("ce documentaire est une merde" – Face A, et "ce documentaire est une preuve" – Face B) se rejoignent pour les uns dans l'idée que "ce documentaire est une merde et j'en ai la preuve" et pour les autres dans l'idée que "ce documentaire est une preuve et je vous emmerde."

Capture d’écran 2020-11-14 à 13.19.39

Deux irréconciliables, mais deux irréconciliables qui fondent la même réalité sociale, cette autre mythologie de conditions d'existence partagées et de récits permettant d'en attester. <Incise> Si vous cherchez un exemple récent, allez réécouter Sarah El Haïry, secrétaire d'état chargée de la jeunesse, que l'on avait quitté hurlant un catéchisme républicain à des jeunes en guide de dialogue, sombrer une nouvelle fois dans le récit mythologique du bien manger qui ne serait affaire que de bonne volonté (que les pauvres et les classes moyennes n'auraient pas) et en aucun cas de ressources financières (que les pauvres et les classes moyennes, n'ont pas). </incise>

Dans les deux cas, sur les deux faces du ruban, le danger vient du mode assertif, comme le rappelle le camarade André Gunthert dans l'un de ses posts Facebook (qui deviendra je l'espère un billet sur son blog) : 

"Hold Up" reprend le format assertif classique, basé sur la parole d'autorités, jamais remises en cause au sein du dispositif. C'est ce format qui est supposé "dire la vérité", par habitude culturelle. Sans la moindre garantie. Avec "Opération Lune" (2002), William Karel s'était amusé à en apporter la démonstration, avec un magnifique canular, respectant toutes les règles du genre, et "prouvant" que l'homme n'est jamais allé sur la Lune. C'est l'occasion de dire que le format assertif, format pédagogique et non scientifique, est par nature une énonciation infantilisante, sans aucune prise en compte d'éléments de débat, d'hésitations ou d'hypothèses (pour un chercheur, ce format est très énervant).

Dans une semaine qui fut, comme enseignant, uniquement rythmée par des cours en invisio (c'est comme un cours en visio mais vu que presque tou.te.s mes étudiant.e.s laissent leur caméra éteinte, ben je fais cours à des invisibles, en invisio donc), j'ai beaucoup discuté, en ligne, avec pas mal de connaissances et de collègues, également disposés de chaque côté du ruban de Möbius. Après une analyse à chaud de mon fil Twitter et de mon mur Facebook, une première évidence s'imposa : la plupart de mes amis aspirants "complotistes" en parlaient pour en dire du bien mais sans rien en avoir vu d'autre que les courts-extraits des bande-annonces, pendant que mes amis "pas complotistes" en parlaient pour en dire du mal mais après avoir fait l'effort de l'avoir vu en entier. 

La récursivité et l'auto-référentialité étant les deux conditions pour que, comme le disait le grand Léo Ferré, "ceux qui pensent en rond [aient] les idées courbes", le documentaire Holp-Up vient d'entrer dans sa propre boucle de récursivité avec les arguments visibles dans certains groupes (anti-masque notamment) expliquant que le documentaire est tellement stupide qu'il a forcément dû être commandité par le pouvoir pour discréditer les "vrais" esprits libres. #NousSachons comme on dit sur les internets. 

Les réflexions qui suivent ne visent qu'à mettre de l'ordre dans mes propres pensées et réflexions. Si vous voulez "comprendre" la nature fascinante des mouvements et pensées complotistes, La démocratie des crédules de Gérald Bronner, est une excellente entrée (parmi d'autres).  

Le complot comme eschatologie contemporaine.

Ma première hypothèse est qu'au delà du complotisme, nos sociétés ont surtout de plus en plus besoin d’une forme de récit apocalyptique incarné. Un récit que nous ne trouvons plus dans la fiction à force de l’y avoir déjà trop vu et que nous nous régalons désormais de pouvoir co-construire dans des imaginaires sociaux paranoïaques (ou en tout cas de pouvoir avoir l'impression de co-construire). Le succès de Hold-up le prouve et notamment le succès qui fut d'abord celui de son mode de financement "participatif".

Les discours eschatologiques (c'est à dire les discours sur la fin du monde ou autres fin des temps) ont longtemps été l'apanage des différentes mythologies, puis des religions et d'une forme de sacré, avant de faire les choux gras des arts profanes comme la littérature, la bande-dessinée, la radio (avec notamment le canular de Wells lisant la guerre des mondes) ou bien sûr le cinéma qu'il soit de genre ou du genre Blockbuster. Dernier avatar de cette eschatologie profane, la collapsologie qui draine autant de travaux scientifiquement féconds que de parfaits imposteurs, et qui mobilise aussi bien des imaginaires décroissants collaboratifs capables de formes de réenchantement, que des imaginaires survivalistes égotistes parfaitement toxiques et destructeurs.

Si l'eschatologie fonctionne à ce point c'est parce qu'elle est l'orchestration d'un ensemble "d'arcs narratifs" extrêmement forts, "tendus", et se suffisant à eux-mêmes. Elle fonctionne d'abord comme une condition du récit bien avant d'en être une de ses instanciations possibles. Les récits eschatologiques contemporains (dont certains sont complotistes) nous permettent instantanément d'hériter de propriétés actancielles que nous pouvons alors décliner selon nos propres mythologies, dans nos propres récits sociaux quotidiens (storytelling). "Je suis un héros" puisque je suis "l'opprimé", je suis "celui à qui l'on ment", "celui que l'on veut réduire au silence", mais aussi "celui qui doit inventer de nouveaux possibles", "celui qui doit acter l'existence d'un complot", etc. Nous "jouons" au complotiste ou à celui qui lutte contre les complotistes de la même manière que nous jouions aux cow-boys et aux indiens quand nous étions enfants (et oui, j'assume la masculinité de la phrase précédente car dans les cercles que je fréquente, le complotisme est aussi très masculiniste dans l'énonciation). Nous y rejouons les figures archétypales du dominant et du dominé, de l'agresseur et de l'agressé, dans un imaginaire narratif et social où "le comploteur apparaît le plus souvent comme un dominant, [et] le complotiste apparaît largement comme un dominé."

De la compol au complot.

Ma deuxième hypothèse est que si le documentaire "Hold-Up" fonctionne aussi bien dans le champ narratif qui est le sien, c'est parce qu'en tant qu'archétype complotiste il peut se prévaloir d'une vérité consensuelle dont il suffit de faire varier l'intentionnalité. Cette vérité consensuelle c'est le mensonge sur la nécessité (et la disponibilité) des masques. Sur ce point, le gouvernement a menti. Probablement autant par incompétence que par défaillance et par nécessité. Mais le mensonge de la communication politique est réel. Il est "vrai". Il suffit alors d'inférer ou de laisser sous-entendre que le gouvernement aurait menti non pas pour réserver les masques aux soignants ou pour masquer sa propre incurie mais pour faire en sorte de contaminer le plus de monde possible (intentionnalité), et le monde devient un jardin aux sentiers qui bifurquent. 

Au-delà de ce mensonge initial parfaitement documenté en dehors même des sphères complotistes, voilà des dizaines d'années que l'invention de la communication politique (compol) concourt objectivement à l'avènement d'interprétations et de communications complotistes. Car dans l'économie des discours sociaux, dans ce qui fait leur "valeur" et qui fait qu'ils s'échangent avec des cours de réceptivité et d'audience variables, toute forme de spéculation sur le récit entraîne mécaniquement chez le récepteur une inflation de contre-récits assertifs probants ou contrapunctiques, des contre-récits qui sont à chaque fois un peu plus éloignés du réel. L'hypothèse que je forme (la troisième) est donc que la bascule médiatique de l'ensemble de l'action politique dans le champ quasi-exclusif du récit communicationnel de sa propre narration (storytelling), que cette bascule a produit et légitimé pour une large part les discours complotistes qui saturent aujourd'hui le même récit médiatique de l'action et de la parole politique.

Nous sommes ainsi passés sans heurts de la "compol" au complot. Et nous sommes actuellement en train de vivre le chemin de retour, c'est à dire la manière dont à leur tour les théories du complot gangrènent toute forme de discours politique, y compris en dehors de la sphère d'énonciation du personnel politique : ce n'est pas seulement la parole "des" politiques qui est ainsi discréditée, mais toute forme de parole qui vise à organiser l'espace de circulation des discours raisonnables dans un espace public qui est celui de la cité (polis).

De la kakonomie à la cacophonie.

La kakonomie, je vous en ai déjà parlé il y a longtemps, c'est un concept forgé par la philosophe Gloria Origgi qui permet d'éclairer "l'étrange mais très largement partagée préférence pour des échanges médiocres tant que personne ne trouve à s'en plaindre." De manière plus précise, et toujours selon Gloria Origgi : 

"La kakonomie est régulée par une norme sociale tacite visant à brader la qualité, une acceptation mutuelle pour un résultat médiocre satisfaisant les deux parties, aussi longtemps qu'elles continuent d'affirmer publiquement que leurs échanges revêtent en fait une forte valeur ajoutée."  

Dans l'héritage d'Erving Goffman et de ses rituels et autres petites cérémonies, la kakonomie est, si l'on veut, la version discursive de ces comportements symboliques. Mais dans la moissonneuse sociale de l'hypernarrativité et de sa fragmentation virale (pour citer Albin Wagener, cf ci-dessous son infographie), l'affordance discursive "naturelle" du complotisme et l'artificialité de sa propagation virale font de cette kakonomie une cacophonie première, omniprésente, assourdissante.

 

ENyYbKMXsAAqXsZ(Source : Albin Wagener lui-même)

De la télé (à la) réalité des complots.

Le concept de la kakonomie m'accompagne depuis longtemps sur mes terrains de recherche mais aussi dans ma vie citoyenne et quotidienne. A lui seul il me semble immensément fécond pour décrire cette sorte de degré zéro de l'expérience télévisuelle que constitue la vacuité des échanges qui font le squelette narratif de la plupart des émissions de télé-réalité.

Je formule ici une quatrième hypothèse. Celle que la puissance narrative actuelle et particulière des théories du complot puise (aussi) sa source dans l'épuisement même du réel produit par la télé-réalité et l'ensemble de ses dérivés. L'hypothèse d'un mimétisme et d'une exemplarité de nos modes de construction de récits (singuliers et collectifs) qui se trouve engoncée et piégée entre la monstration de récits qui scénarisent le degré zéro de l'immanence (télé-réalité) et d'autres qui sont au contraire la dé – monstration impossible d'une forme sclérosée de transcendance collective (les complots).

J'ajoute ici que le retour au premier plan médiatique, depuis quelques années, de la vieille antienne droitiste du retour à un "roman national" pour – notamment – l'enseignement de l'histoire (sic), constitue également un signe fort de cet affrontement des récits et des imaginaires qui s'épuisent à force de se concurrencer dans le champ social et politique de l'attention qui leur est portée, créditée, ou discréditée. 

Mais revenons à l'hypothèse d'un lien de filiation entre les récits complotistes et l'émergence de certaines formes de télé-réalité avec un passage, nécessaire, par l'ouvrage éponyme de François Jost, toujours remarquablement fécond et structurant même s'il date de 2009. 

La flilation dont je parle n'est pas celle d'un héritage entre les discours complotistes et la télé-réalité mais plutôt celle d'une mise en scène, d'une mise en récit d'une lutte qui vise à médiatiser des représentations de contestation en les figeant dans un imaginaire stérile.

Voici un court passage du livre de François Jost qui permettra, j'espère, d'y voir plus clair dans l'hypothèse que je formule : 

"Mais, au-delà de ces erreurs, cette croyance en l’arrivée d’une nouvelle ère télévisuelle caractérisée par son authenticité traduit parfaitement l’aspiration des Français, et sans doute des citoyens de la plupart des pays en cette fin de millénaire, à toucher le réel, auquel la télévision, d’abord fenêtre sur le monde, ferait écran. Car, ne nous y trompons pas, cette revendication du spectacle de la vie quotidienne de l’anonyme est d’abord une révolte contre la France d’en haut, que représente, aux yeux de beaucoup, la télévision d’État, qui les a privés de parole. C’est en tout cas ce que proclament à la fois les producteurs de cette télévision et les intellectuels qui s’en font les porte-parole. (…)

Or, ce dont la télé-réalité est le symptôme, c’est du refus d’une large partie du public d’admettre que la réalité dont témoignaient, jusque dans les années quatre-vingt-dix, les discours d’information, correspondait à l’idée qu’il s’en faisait. Refus de croire que les statistiques disent quoi que ce soit de la vie des individus, refus aussi de considérer que la vie sociale et politique est plus réelle que le quotidien de chacun." 

Le récit potentiellement réaliste mais télévisuellement et médiatiquement dé-réalisé de nos vies au travers de singularités archétypales et scénarisées supposées les représenter, ce récit qui est – entre autres – celui de la télé-réalité, est fondamentalement un degré zéro de l'imaginaire social qui, parce qu'il ne saurait y avoir de sociétés sans imaginaire ni d'êtres sans imagination, va servir de creuset à d'autres imaginaires alternatifs ou les mieux-disant paranoïaques et foutraques bénéficient d'une prime médiatique et virale constante. 

Trauma. Drama. Dogma.

Ma cinquième hypothèse (qui n'est d'ailleurs pas davantage la mienne propre que les 4 précédentes), est que nous traversons, collectivement, un nombre successif et constant de traumas. Or chaque trauma voit l'émergence ou la consolidation d'un nouveau dogme au travers, précisément, de ce que l'on nomme par raccourci des discours "complotistes". D'une nouvelle vérité "révélée" et jamais "discutée". Or nos sociétés empilent les traumas. Attentats, images violentes, drames de l'exil en Méditerranée (et ailleurs), paupérisation constante et exponentielle et tensions sociales corrélées … même si je m'oblige souvent à relire et revisionner l'optimisme de Michel Serres rappelant qu'il n'y a jamais eu aussi peu de guerres, de morts et de violences dans le monde, le "drama" de nos "trauma" contemporains échafaude sans cesse de nouveaux récits doctrinaux présentés comme incontestables, de nouveaux dogmes.

Plus le trauma est fort, et plus le dogme complotiste est prégnant. L'attentat du 11 septembre 2001 contre le Worldtrade Center a donné lieu à un récit complotiste qui reste aujourd'hui encore vivace et fascinant à observer. Il en va de même pour ce virus planétaire qui est celui du Covid et qui cristallise et mobilise non pas "un" discours complotiste mais un ensemble de voisinages de récits et d'imaginaires eux-même très vivaces (contre un "projet politique", contre "les big pharma", contre "les juifs qui dirigent le monde", contre "les technologies", contre "les vaccins", etc.).

Trauma(tisme) > Drama(tisation) > Dogma(tisme). 

L'armée des douze trois singes.

La fable des trois singes (celui qui ne voit pas, celui qui ne parle pas et celui qui n'entend pas) est initialement une métaphore de la sagesse définie par la capacité de ne pas voir, entendre et parler de tout ce qui est "mal", de tout ce qui n'est pas digne d'être vu, entendu ou débattu. Dans sa contemporanéité, la fable des trois singes est le plus souvent présentée à rebours de sa philosophie initiale, c'est à dire comme l'exemple de la bêtise de celles et ceux qui ne veulent ni voir, ni écouter ni échanger autour de ce qui mériterait de l'être dans le champ public. Les singes de la sagesse sont devenus les singes du complotisme, sourds, muets et aveugles aux "faits". 

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Dans son film l'armée des 12 singes, Terry Gilliam met en scène la tentative de dissimulation d'un complot autour d'un virus qui a décimé l'humanité et dont des expérimentations animales ont causé la propagation. 

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Dans les multiples clés de lecture du film de Gilliam, se trouve celle d'une réflexion sur la nature indiciaire de notre rapport à la réalité, au présent, au passé ainsi qu'au futur. A notre capacité à en lire et à en déchiffrer les signes. Signes étant l'anagramme de singes. 

Le complotisme, comme le récit du réel, n'est qu'un empilement de signes face auxquels nous pouvons réagir en armée aveugle, en singes savants, ou en singes de la sagesse 😉 La parabole des trois singes contre l'armée des 12 singes. Et tout ce qui fait signe. 

La publicité complice du complot.

C'est la première raison pour laquelle il est si compliqué et complexe de déconstruire les complots. Car en les déconstruisant on leur offre une publicité. Et que souvent les espaces de déconstruction ne sont pas équivalents, ni en audience ni en efficacité ni en genre, aux espaces où circulent les complots. Si le complotisme fonctionne aussi bien, en plus de toute ce que je vous ai déjà raconté dans cet article, c'est aussi parce que l'essentiel des formats et des récits médiatiques actuels (analogiques ou numériques) sont avant tout des espaces de publicitarisation. Des espaces au service de tout ce que les récits sociétaux peuvent avoir de commun avec le récit publicitaire dans sa capacité à adresser nos sens et nos émotions plutôt que notre rationnalité.

Et là encore, l'histoire du documentaire Holp-Up est exemplaire, depuis son mode de financement jusqu'au récit que les médias en font, soit pour encenser le fait qu'il puisse exister (et valider sans avoir à le dire les thèses qu'il défend), soit pour le discréditer. Holp-Up existe et se propage d'autant mieux que les espaces qui accueillent sa propagation sont perméables à la publicitarisation des discours (avec en tête les plateaux-télé d'experts façon C-News, Hanouna ou Pascal Praud et certains comptes, groupes, pages et espaces des réseaux sociaux bien sûr).

Dans une agora publique, sociale et médiatique de la publicitarisation systématique du polarisant et du pire, l'une des grandes questions qui restent est celle de la place des discours de raison. Et il en est. Les opinions bougent. Et elles bougent souvent dans le bon sens. Mais à l'inverse des autres, ces mouvements demeurent le plus souvent invisibles aux opinions elles-mêmes car relégués dans une périphérie quasi-imperscrutable du champ social dans ses manifestations et ses accès les plus coutumiers. 

Trois perspectives pour conclure.

D'abord avec François Jost

"Le fait d’être adulte, comme nous l’avons vu au chapitre précédent et, plus généralement, d’être un sujet libre, se juge en grande partie à la capacité de se raconter soi-même, c’est-à-dire à être maître, sinon de son destin, au moins de son récit."

Pour lutter efficacement contre le discours complotistes (la lutte contre le complotisme est vaine), il faut donner à chacun la possibilité de redevenir maître de son destin, c'est à dire, et ce n'est pas dire le moins, c'est à dire "au moins de son récit." Et là le politique peut agir, là il peut donner les moyens d'éduquer au récit de soi, de son histoire, de ses propres promesses comme de ses propres abîmes. Le récit historique et historicisé plutôt que le roman national. Commençons par cela. 

Ensuite il nous faut apprendre aussi des logiques propres à la circulation des récits dans les réseaux sociaux. Des réseaux, des récits et des modes de viralité qui ont une histoire, qui s'inscrivent dans une continuité et ne fonctionnent pas qu'en "rupture" ou en "disruption" (la "disruption" étant, comme le rappelait Bernard Stiegler, une "stratégie de tétanisation de l'adversaire visant à l'empêcher de penser"). Quand j'évoque les questions de viralité avec mes étudiants je renvoie souvent à cette citation de Christophe Benavent sur Twitter à propos des "tendances" et autres "trends" qui sont l'un des principaux moteurs de propagation virale en ligne :

"Le trend c'est un niveau, une vitesse et une accélération."

Les récits, nos récits, fonctionnent de même au-delà de leur narratologie propre. Ils sont également un niveau (d'acceptabilité sociale), une vitesse (de construction ou de déconstruction) et une propagation (dans nos imaginaires).

Rien ne doit ni ne peut donc nous empêcher de réfléchir à ce qui les rend acceptables ou inacceptables, à la manière de les ralentir pour mieux les observer, et à en faire des imaginaires émancipateurs et féconds plutôt que castrateurs et mortifères.  

Et pour le reste et parce que le contre-récit humoristique demeure souvent, sinon le plus efficace, au moins le plus réconfortant …

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Bonus Track.

Pour les fans de ma voix chaude et rauque (pas du tout en fait) une version podcast (lecture) de cet article est disponible sur SoundCloud

4 commentaires pour “De la « compol » au complot : le hold-up des eschatologies narratives.

  1. Merci pour l’article mais surtout pour l’avoir mis en version podcast.
    Je n’écris pas de commentaire car habituellement je suis un invisio, ( Un lurker). Caméra éteinte et pas de commentaire.
    J’ai compris en voyant les 25mn de lecture sur soundcloud que c’était le temps qu’il fallait pour au moins apréhender les contours du contenu des articles de ce blog en général.
    Je me rends compte que je ne prends plus ce temps pour réfléchir. je saute de tweet en tweet d’article en article que je lis en diagonale.
    Qu’on se le dise, on ne peut pas venir ici pour lire en diagonale.
    Je remercie ici le travail d’écriture et le travail de lecture. ( double peine pour l’enseignant)
    Je continuerai a écouter le contenu du podcast de façon passive mais je vais surtout tenter de reprendre du temps pour décortiquer les articles a coté desquels j’ai pu passer.

  2. La question que je trouve intéressante est pourquoi il y a de la place pour de tels documentaires. Pourquoi est-il autant partagé ? aimé ?
    On peut se dire que le niveau intellectuel général baisse. Mais si le niveau général baisse, baisserait également le niveau des gens qui font ces documentaires, et donc qu’il serait facile de les circonvenir par un discours officiel ?
    Ou alors, que le niveau général des informations fournies ne satisfont pas les « masses ». Et là soit le niveau de ceux qui fabriquent les informations officielles s’effondrent, soit le niveau de la masse s’élève. Mais le niveau de la masse ne peut pas s’élever sinon ils ne pourraient pas croire en ces thèses délirantes.
    Cela reste comme un mystère.
    Moi ce que j’ai du mal à attendre, c’est qu’il suffit de dire complot pour évacuer l’ensemble. Cet anathème m’est suspect. Par exemple on disait fake-news pour les euthanasies dans les ehpad et voila que france télévision passe un reportage dans les ehpad ou les intervenants expliquent qu’on leur interdit de soigner les patients (pas de traitement officiels et le conseil de l’ordre menace) et qu’on leur donne par décret l’autorisation des sédations profondes (qui sont interdites normalement dans ces lieux). France télévision qui donne dans le complotisme. C’est comme david vincent, ils sont partout.
    ps : il semblerait qu’en ce moment, il y ait un « raid » du congrès contre google, facebook et twitter.

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