La guerre à la carte. La carte dans le flou.

"Je suis consterné. Grâce aux progrès du progrès, il va devenir impossible de faire des photos floues."
Alain Rémond, "Il est fou, ce flou !" in Marianne du 6-12 octobre 2007

"Pourquoi Gaza, l'un des endroits les plus densément peuplés du monde [13 000 habitants au km2], est-il flou sur Google Maps ?"
Christopher Giles & Jack Goodman. BBC News. 8 Mai 2021

 

La guerre a toujours été indissociable de formes variées de communication. Aucun conflit armé à aucune époque ne s'est affranchi des technologies qui étaient alors disponibles pour en rendre compte, qu'elles permettent de s'en glorifier ou d'en masquer les horreurs.

En 2012 déjà, ce que l'on euphémise en le nommant "conflit israëlo-palestinien" comme un conflit de voisinage n'attendant qu'une émission de télé-réalité pour s'en repaître, en 2012 déjà et pour la première fois dans l'histoire des conflits armés, Tsahal entrait directement en guerre via Twitter. Le 14 Novembre 2012 à 15h29 précisément.

De la guerre, comme tant d'autres heureusement, j'ai l'immense chance de ne connaître que les images et les cartes. J'ai bientôt 50 ans. Je suis de la génération qui avait environ 18 ans à l'époque de la première guerre du Golfe, qui fut aussi la première guerre télévisée moderne. Et donc "ma" première expérience de ce que pouvaient être des "images de guerre" ou de zones de conflit en "temps réel". Avec le souvenir d'une immense euphémisation au service de la narration des puissants. Plus on nous montrait la guerre et moins nous la voyions. C'était aussi le temps des premières frappes "chirurgicales", comme si la médecine et la chirurgie avaient quoi que ce soit de commun avec ces boucheries même médiées par la technique. 

Les images de la guerre aujourd'hui ce sont celles des enfants aux corps démembrés et des adultes en larme et en poussière qui les portent. Elles sont insoutenables mais elles passent pourtant encore les barrières algorithmiques comme autant de frontières poreuses : on les trouve notamment sur Twitter. Des images hyper-visibles aujourd'hui et qui demain, le temps pour les plateformes d'en mesurer l'enjeu dans l'opinion, apparaîtront certainement à demi-masquées derrière d'hypocrites filtres. L'histoire se répète : "pour voir des images d'enfants morts, cliquez ici".

Des images donc. Celle de ces enfants morts. Déchiquetés. Écrasés sous les bombes. Et des autres qui racontent qu'ils voient un enfant mourir chaque jour alors qu'ils n'ont eux-mêmes que 10 ans. Celle aussi de cette tour rassemblant les bureaux de nombreux médias internationaux qui s'effondre en direct sous les tirs de missiles de Tsahal, reconvoquant immédiatement l'image de deux autres tours s'effondrant en direct le 11 septembre 2001 dans la première épiphanie terroriste en mondovision. 

Des images et des cartes.

Et la lutte entre les deux. Guerre d'image pour rebattre les cartes. Chaque conflit, chaque guerre devient le lieu d'une exploration et d'une appropriation. Aux images et aux cartes qu'en présentent les médias, s'ajoute la possibilité d'établir nos cheminements, nos regards, sur ces régions du monde. La cartographie grand public des zones de guerre comme une co-graphie, une écriture accompagnante, comme une "écho – graphie" aussi, un "écho" territorial projeté de toutes les graphies circulantes et de la mise en récit médiatique de ces conflits et de ces guerres. L'occasion de la carte pour l'opportunité de revenir au territoire. C'est à dire précisément là où commencent toutes les guerres : sur des territoires trop étroits au goût de ceux qui veulent en dresser et en posséder la carte. 

Les grandes puissances numériques ont toujours entretenu un rapport ambigu à la vieille dichotomie de la carte et du territoire, vieille dichotomie qu'elles ont accessoirement contribué à éparpiller façon puzzle en mettant pour la première fois la carte à l'échelle du territoire et en bousculant nos géographies émotionnelles avec la force d'un tsunami à portée de clic. 

Souvenez-vous. En 2016 déjà, Jean-Christophe Victor (Le dessous des cartes / Arte) expliquait dans Libération

"On s’est aperçu que Google Maps mentait. (…) Un pays s’exprime par le positionnement de ses frontières, qui peuvent être stables ou bien en litige. […] Or, Google Maps a choisi de ne pas prendre la référence internationale, que sont les cartes des Nations unies, et de s’adapter à la vision de chaque partie."

Il s'agit de ne froisser commercialement aucun client, et donc de permettre à chacun de voir sa frontière à l'endroit exact où il a envie de la voir. Google, Microsoft mais aussi Apple disposent chacun de leurs propres applications de cartographie, et chacun applique différemment et contextuellement … les règles qui lui conviennent le mieux. 

Du côté de Google on plaide ainsi sa cause

La carte du monde sur Google Maps, à l’exception de la Chine qui interdit la cartographie de son territoire, reflète les frontières disputées. Ces dernières sont représentées par des pointillés. » Cette précision graphique se double parfois d’une adaptation aux politiques nationales qui a pour conséquence de proposer des cartes différentes en fonction du pays de connexion."

Parmi les régions du monde aux frontières les plus flottantes cartographiquement au gré des conflits internationaux d'une part mais aussi des intérêts commerciaux et (géo)politiques des acteurs cartographes on citera la Crimée, la Géorgie (en 2008), mais aussi nombre de zones frontière entre la Chine et l'Inde,  et encore tant d'autres conflits de positionnement ou de toponymie que l'on pourra (notamment) retrouver dans le rapide historique qu'en dressait Business Insider (en 2013), sans oublier les limites du Sahara occidental (revendiqué par le Maroc) ou bien encore très récemment le Cachemire.

Point culminant de ces affrontements tant toponymiques que cartographiques, la Palestine. En 2016 la polémique enfle au motif d'une supposée suppression de la mention Palestine dans Google Maps. Elle ne cesse d'ailleurs jamais de réapparaître

"La mention "Palestine" n'a jamais été présente sur Google Maps", a déclaré Elizabeth Davidoff, responsable de la communication chez Google, au Daily Dot. "Nous avons cependant découvert un bug qui a conduit à la suppression des mentions "Cisjordanie" et "bande de Gaza" sur la carte. Nous faisons actuellement en sorte de réparer cela au plus vite."

La Palestine n'a donc pas disparue. Elle n'était jamais apparue. Il n'y avait que la Cisjordanie et la bande de Gaza. Mais comment traiter, comment faire territoire et comment faire (de la) politique avec ce que l'on ne peut pas nommer ou – ce qui revient au même – avec une réalité que chacun nomme différemment ? Et qui sont les habitant de cet innommable ou de ce mal nommé et comment les nommer eux-mêmes ?  Et d'ailleurs, qu'en est-il ailleurs, par delà Google Maps ?

"Le service de cartographie de Microsoft représente, lui, la Palestine. Alors que Mappy cartographie la Palestine en tant que "territoire palestinien", Apple ne mentionne de son côté pas le territoire et ne permet pas de le différencier de l'État d'Israël."

Les guerres ne commencent jamais vraiment par des faits ou par des actes. Elles commencent toutes par les mots que l'on choisit pour qualifier ces faits et ces actes et qui décrètent en retour la légitimité de formes de violence par le seul jeu d'une énonciation choisie.  

A l'occasion de cette histoire je vous en avais raconté une autre, qui semblait si dérisoire. A l'époque en effet, en 2016 donc, déferlait dans nos réalités le jeu "Pokemon Go" et sa réalité augmentée à portée de tous. 

"Dans le cadre de PokemonGO, la société Niantic s'appuie sur plusieurs bases de données (dont celle qui répertorie les différents "points d'intérêt" sur lesquels sont implantés les arènes et autres Pokestops) ainsi que sur le système de cartographie Google Maps (qui est aussi une base de donnée). (…) Un utilisateur palestinien de PokemonGo, en train de jouer à PokemonGO sur l'un des territoires palestiniens, ne pourra trouver et localiser des Pokémons, des arènes et des pokéstops … qu'en territoire israélien. Il évolue ainsi simultanément dans trois pans de réalité différents et partiellement antagoniques. Il est habitant de l'état Palestinien : ça c'est la réalité géopolitique. Il vit et habite sur l'un des territoires palestiniens : ça c'est la réalité géographique. Mais (en tout cas pour Google Maps et quand il joue à PokemonGO), il joue et se déplace sur la représentation numérique de l'état d'Israël."

Quand notre réalité d'usage(s) se décline dans les strates d'un mapping qui projette à l'échelle d'une même perception individuelle des représentations spatiales différentes selon les enjeux commerciaux, géographiques et géopolitiques qui concrétisent un territoire, ce ne sont pas des possibles qui s'ouvrent mais des horizons qui se referment et des schizophrénies qui naissent.

Voir la guerre mais pas trop.

Depuis quelques jours que s'est rouverte cette guerre dans laquelle la barbarie d'un affrontement ne semble plus se mesurer qu'à l'aune du décompte macabre du nombre d'enfants assassinés, à l'impossibilité de nommer clairement s'est ajoutée la paradoxale difficulté de voir. Non pas difficulté de voir les images ; les images, je l'ai déjà dit, elles circulent, elles saturent même l'espace informationnel et cognitif de chacun d'entre nous. C'est d'une autre difficulté de voir qu'il s'agit : la difficulté de voir le territoire. 

La BBC, dans un article que reprendra presqu'entièrement Numérama, pose cette question :

"Pourquoi Gaza, l'un des endroits les plus densément peuplés du monde [13 000 habitants au km2], est-il flou sur Google Maps ?"

Numérama prolonge la question en expliquant : 

"Les images satellites de Gaza et d'Israël proposées par Google Earth sont bien moins précises que ce que propose habituellement le service, sur des zones aussi densément peuplées. Impossible de distinguer une voiture, les bâtiments se devinent tout juste, et les images sont globalement datées."

Capture d’écran 2021-05-19 à 07.32.25

A la question du "pourquoi", les représentants d'Apple déclarent vouloir "actualiser bientôt [leurs] cartes afin d’offrir une meilleure résolution", sans indiquer d’échéance précise, tandis que ceux de Google dégainent du communiqué officiel

"L’imagerie satellitaire de Google Maps et Earth est élaborée à partir d’une grande variété de sources, notamment des sources publiques, gouvernementales, commerciales et privées. Nous étudions les possibilités de rafraîchir cette imagerie à mesure que des vues avec des résolutions plus élevées deviennent disponibles. Nous n’avons pas d’annonces à effectuer pour le moment."

En 1997, soit un an avant la création de Google et 8 ans avant la création de Google Maps, une loi américaine, l'amendement Kyl–Bingaman (du nom des deux sénateurs – 1 républicain et 1 démocrate – qui l'ont porté) était voté aux USA. Cet amendement :

"interdit aux autorités américaines d'accorder une licence pour la collecte ou la diffusion d'images satellite d'Israël à haute résolution plus élevées que celles disponibles auprès d'autres sources commerciales, c'est-à-dire auprès de sociétés situées en dehors des États-Unis".

Cet amendement sera rapidement étendu à l'ensemble du territoire Palestinien. Or à l'époque (1997), les USA contrôlent entièrement le marché de l'image satellitaire et qu'il faudra attendre le courant des années 2010 pour voir d'autres acteurs majeurs (européens notamment Airbus) se positionner et pour que ce même marché s'ouvre définitivement au privé et ne soit plus l'apanage quasi-exclusif d'un pays et de ses administrations militaires et de renseignement. Rappelons, si cela est nécessaire, que le pouvoir et la diplomatie américaine ont toujours été au soutien de la politique menée par l'état d'Israël. Et que cet amendement est issu d'un processus politique de lobbying aujourd'hui incontesté. C'est à l'initiative d'Israël qu'il a été porté et adopté.

Très concrètement donc, et depuis 1997, il n'est pas possible de disposer d'images précises de cette région du monde. Et cet amendement a été conçu pour permettre de masquer la politique de colonisation menée par l'état israëlien pendant cette période et la destruction de maisons palestiniennes, et à tout le moins, tenter de soustraire son observation et sa documentation quotidienne au regard du monde et des observateurs. 

Même si quelques souplesses en termes de résolution d'image avaient été obtenues en 2012 au regard du positionnement d'autres acteurs du marché en dehors des Etats-Unis, il a fallu attendre 2020 (!) pour que l'amendement soit à son tour amendé, et qu'il soit de nouveau permis de disposer d'images satellite à haute résolution pour cette région du monde, et de les utiliser. Mais jusqu'à l'année dernière donc, et pendant presque 25 ans, c'est toute cette zone de la planète englobant Israël, la Palestine mais aussi le plateau du Golan, qui fut floutée à l'initiative du gouvernement israëlien et avec l'appui des USA.

Comme l'histoire ne recule devant aucune ironie et aucun cynisme, il faut également savoir que pendant tout ce temps, c'est une entreprise israëlienne, ImageSat International, qui fait partie des leaders de ce marché de l'imagerie spatiale, à la fois sur plan commercial mais aussi technique, et que ce leadership s'exerce et est établi depuis plus de 15 ans … 

Pour en revenir au floutage actuel de cette zone par Google et la majorité des autres opérateurs "grand public" de cartographie, il n'est donc plus aucune raison technique, juridique ou contractuelle de le maintenir et de se priver des images satellites à haute résolution aujourd'hui disponibles pour cette partie du monde comme pour toutes les autres. C'est ce que rappelait, entre autres, Aric Toler, journaliste pour le site d'investigation Bellingcat et ce qui était très bien expliqué dus août 2020 par une journaliste de Foreign Policy dans son article titré : 

"Israel Can’t Hide Evidence of Its Occupation Anymore.

Pourtant, en Mai 2021, et alors que les tirs de Tsahal et du Hamas font chaque jour de nouveaux morts, ces zones sont toujours floutées et nos regards, paradoxalement empêchés. 

C'est un conflit, c'est une guerre que l'on voit floue. Comme une sorte de myopie. C'est peut-être aussi un peu pour cela que cette guerre nous semble si loin, parce qu'on la voit si mal … de loin. Et que nous ne sommes donc capables que de nous indigner que d'images choisies et dont l'objet est justement de nous faire choisir un camp. Mais que nous demeurons incapables parce qu'empêchés de voir clairement le tableau d'ensemble et la réalité des destructions à leur échelle, qui est celle du territoire, de son grignotage, de sa colonisation, de son effondrement. 

Colonisationpalestine

Une histoire de résolution(s).

Le numérique entretient un rapport complexe et mouvant aux thématiques du regard, de la (super)vision et de la surveillance.

Intrinsèquement il pourvoit à bâtir des architectures techniques si denses qu'il est difficile de s'y soustraire au regard des autres, et ce par-delà même les stratégies commerciales ou les intérêts économiques des plateformes actuelles. Il est aussi un adjuvant précieux autant qu'une tentation constante pour la moindre de nos pulsions scopiques. Géopolitiquement et démocratiquement il est un affrontement constant entre des tentatives de scrutation et d'obfuscation qui s'étendent de la sphère intime jusqu'à celle des libertés publiques, et retour. C'est la doctrine de la fabrique du consentement à la surveillance : le "si vous n'avez rien à vous reprocher, vous n'avez rien à cacher" qui implique que tout soit visible, que tout soit scrutable.

Jusque dans la dimension technique des images numériques il y a à la fois cette recherche de définitions et de résolutions toujours plus hautes dans l'affichage, et de compressions toujours plus fortes dans la circulation des images.

Le numérique c'est aussi – pour les gens de ma génération en tout cas – fondamentalement cette expérience du premier zoom presqu'infini de Google Earth qui nous permit tel Superman depuis l'espace, de foncer de la vision de la planète terre jusqu'à celle de notre maison en mode Street View. Un premier défilement infini qui fut suivi, des années plus tard, d'une autre plongée dans les entrailles de n'importe quelle plateforme au moyen du scrolling infini. Dans les deux cas il s'agit à la fois de voir toujours plus loin, d'être en même temps toujours plus près, et de descendre toujours plus profond. 

Mais indépendamment du numérique, le regard a toujours été une question politique. C'est la manière dont je regarde les choses, les frontières et les gens, c'est le regard que je porte sur eux qui forge ma conscience politique. Et il est dans la nature d'une certaine politique de nous contraindre à détourner le regard ou à ne nous montrer que certains pans d'une réalité floue. 

C'est très exactement cela qui se joue autour du drame actuel de cette guerre jamais éteinte et dans le maintien du floutage de ces zones, floutage que l'on pourrait considérer comme un épiphénomène mais dit aussi quelque chose de plus profond. Ce n'est pas juste une question de regard. C'est une question de droit de regard.

La guerre des résolutions. Une trilogie.

Haute résolution. Celle du corps des victimes. Des images des corps et des bâtiments démantelés.

Faible résolution. Celle du territoire, du théâtre des opérations comme d'un gigantesque jeu d'ombres.

Et les autres résolutions qui tombent. Les résolutions de l'ONU sur la "question" palestinienne. Une liste qui donne le vertige.

Une guerre à l'image d'un paradoxe : une résolution sans solution. Une résolution insolvable. C'est aussi comme cela que commencent et se terminent toutes les révolutions : dans la quête d'un irrésolu.

Ce qui n'est pas flou c'est le nombre. "232 morts à Gaza. 12 en Israël" annonçait ce matin France Inter suite à la mise en place du cessez-le-feu annoncé hier (jeudi) soir.

Le mercredi 19 mai au soir, un collectif de solidarité internationale publiait les chiffres suivants : "229 palestiniens assassinés dont 65 enfants, 38 femmes, 3 médecins, 3 journalistes, 2 infirmiers, 15 élèves, 7 étudiants, 4 universitaires, 2 footballeurs, 2 handicapés, et 18 personnes âgées jusqu'à présent. 1630 blessés palestiniens parmi eux 460 enfants, 283 femmes, 19 journalistes , 9 ambulanciers, et 10 agents municipaux.

Cessez-le-feu. Cessez le flou.

 

APOSTILLE

Si c'est flou …

La question du flou mériterait à elle seule un long développement. Choisir de flouter à l'heure où il est possible d'obtenir des résolutions très fines sur des points, des lieux et des sujets très éloignés, pose nombre de questions. Dans une société habituée, équipée et même en un sens "dressée" à l'hyper-précision des images, le flou pourrait aussi être poétiquement ou philosophiquement vu non pas comme un défaut mais "comme une acceptation de la  complexité et de l'inachèvement des choses." On pourrait aussi y voir, comme dans le Sfumato son ancêtre, la possibilité de créer "un moment d’ambiguïté dans la perception de l’espace."

Il semble n'y avoir plus aujourd'hui que 2 grands types d'images qui nous fascinent encore, qui exercent une attirance presque automatique : celles qui revendiquent une hyper-netteté à grands renforts d'incommensurables pixels, des images au sein desquelles on peut s'approcher et presque "entrer" dans le grain du papier ou de la toile, nous permettant de voir y compris ce que l'artiste n'avait jamais permis ou souhaité que nous puissions voir (allez télécharger et Zoomer sur la version 15,016 × 11,741 pixels de La chambre à Arles de Van Gogh disponible sur Wikimedia et vous verrez …) ; et les images floues ou floutées, qu'à l'instar des scènes presque classiques de films d'espionnage nous tentons de "dé-flouter" pour retrouver une trace. 

Capture d’écran 2021-05-19 à 15.42.51Google Arts & Culture : "Discover the details you might have missed"

 

A une autre échelle, celle des logiques de surveillance, la question du floutage est également biface : dès qu'elle se veut "obligation" ou "contrainte" elle pèse autant sur les puissants que sur les faibles. Et de manière générale, comme l'explique et le rappelle André Gunthert

"le floutage fonctionne comme un jeu avec la loi, signe d’une capacité de transgression qui est précisément ce que recherche le lectorat."

Il n'est à cette histoire du flou sur Google Maps desservant une guerre myope, de meilleur conclusion que ce qu'écrit Liina Keevallik dans "L’authenticité du flou"

"Si au cours de l’histoire le floutage fut un moyen pratique de représenter des endroits mystérieux et inconnus, aujourd’hui, on ne floute plus ce que l’on ignore — on connaît tout. On brouille l’image pour cacher ce que l’on sait (…) On floute aussi des scènes que l’on n’a pas envie de voir — comme les têtes des criminels à la télévision. (…)  Il n’est plus question d’ombrager ou de mystifier ce qui nous est inconnu — on en sait trop. On cache la terreur et s’il en reste des miettes devant nos caméras trop sensibles, on les floute. (…)"

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