J'ai créé une cagnotte Leetchi pour les vacataires de Nantes Université. Avant d'aller donner plein de sous, lisez ce billet, s'il vous plaît 😉
A force de dépasser …
1er Janvier 2021 – 29 Juillet 2021. Il nous aura fallu 7 mois sur les 12 que compte une année pour atteindre le jour du dépassement mondial des ressources. Ce jour à partir duquel nous commençons à épuiser la planète. A vivre à crédit de la possibilité même de continuer de vivre. Le jour du dépassement de la terre.
1er Janvier 2021 – 2 Novembre 2021. Pendant les 2 deniers mois sur les 12 que compte une année civile, les femmes travaillent gratuitement puisqu'elles sont toujours moins payées que les hommes. C'est le jour du dépassement de l'égalité salariale homme-femme.
1er Septembre 2021 (rentrée universitaire) – 26 Janvier 2022. En seulement 5 mois l'université a épuisé l'ensemble de heures disponibles dans le service des enseignant.e.s titulaires. Conséquence : "à partir du 26 Janvier, tous les enseignements qu’il reste à couvrir seront faits (…) soit sur nos heures supplémentaires ou par le recrutement de contractuels ou de vacataires." C'est je jour du dépassement universitaire.
On pourrait aussi parler du jour du dépassement du droit d'étudier dans la dignité, c'est à dire sans avoir à se priver de manger, de se soigner, de s'acheter des protections hygiéniques, et sans être obligé de travailler en parallèle de ses études. Ce jour là se produit chaque semaine, plusieurs fois par semaine, pour plus d'un quart des presque 3 millions d'étudiant.e.s que compte notre pays.
Mais revenons au jour du dépassement pédagogique. Qui met en lumière l'armée des ombres de nos fonctionnements universitaires : le recours à plusieurs dizaines de milliers de "vacataires" qui viennent colmater les brèches d'un navire prenant l'eau de toute part (128 000 vacataires pour l'année 2018-2019 selon les chiffres du ministère relevés par Libé).
Vacataires : la part vacante des politiques publiques.
Ces "vacataires" ont plusieurs visages et plusieurs réalités sociales.
Ce sont assez rarement des individus socialement et économiquement bien installés qui viennent apporter à nos étudiant.e.s un regard, une compétence, un parcours de vie, un carnet d'adresse aussi.
Ce sont aussi des collègues titulaires dans une université mais qui interviennent pour quelques heures de cours ou pour de courts séminaires dans une autre université.
Ce sont aussi nos étudiant.e.s, nos doctorant.e.s, et nos docteurs jeunes diplômé.e.s à qui l'on fait miroiter qu'ils et elles n'ont pas d'autre choix que d'accepter des heures à des prix misérables pour continuer d'espérer enrichir un CV dans la perspective d'un poste que beaucoup savent déjà qu'ils et elles ne décrocheront jamais.
Et puis il y a les autres, tous les autres. Qui sont à la fois le ciment, le lien et l'équilibre de tant de nos formations. Et à qui nous confions toujours davantage d'heures puisque nous n'avons pas … d'autre choix faute de postes de titulaires. Ce qui était initialement, il y a 30 ans, un vague équilibre, est aujourd'hui devenu, quotidiennement, un immense et permanent déséquilibre. Car s'il est impossible de ne pas avoir de recours massif à ces vacataires faute de créations de postes, il est tout autant impossible de leur demander d'effectuer l'ensemble des tâches pédagogiques et administratives qui sont, fort logiquement, celles d'un enseignant titulaire. Mais ces tâches (organisation des formations, maquettes et ingénierie pédagogique, emplois du temps, suivi des étudiant.e.s, etc.) ne cessent jamais de croître et d'alourdir la charge pesant sur les rares enseignants titulaires restant à l'université. Lesquel.le.s sont donc toutes et tous en sur-service, non pas par appât du gain (heures complémentaires) mais parce qu'ils et elles n'ont pas d'autre choix au regard de la pénurie de postes. Avec cette réalité documentée depuis de nombreuses années, d'un alourdissement ubuesque des charges administratives et d'une multiplication kafkaïenne des appels à projet conditionnant l'ensemble de nos missions d'enseignement et de recherche mesurées à l'aune procustéenne de leur seule rentabilité supposée.
Ces vacataires sont mal payé.e.s. Tous et toutes. Ils et elles sont toujours payé.e.s avec plusieurs mois de retard. Toujours. On leur réclame sans cesse toujours davantage de paperasse pour pouvoir les recruter et ce malgré les pseudos "chocs de simplification" mis en avant par les Directions Générales des Services. On ne peut même pas leur rembourser leurs frais de déplacement, c'est interdit. La plupart d'entre eux accumulent les vacations. Dans plusieurs universités, dans plusieurs établissements, dans plusieurs formations. Pour boucler des fins de mois difficiles, parce que leur activité professionnelle principale patine ou régresse, mais soyons clairs : de moins en moins pour le seul plaisir d'enseigner face à nos publics étudiants au regard de leur paie misérable et de leurs paiements en perpétuels atermoiements. Les vacataires sont désormais tout à fait clairement l'un des postes avancés de l'überisation de l'université : ce sont des "slashers", des travailleurs, souvent pauvres, souvent "auto-entrepreneurs", qui empilent et enchaînent les vacations de toutes sortes, dans toutes sortes d'établissements d'enseignement supérieur.
Ecoutez bien ce que je vais vous dire ici et maintenant. Par-delà la nécessité économique qui les tient, si la plupart de ces vacataires continuent d'intervenir dans nos formations et d'accepter les innombrables formes de maltraitance (salariale, institutionnelle, administrative, symbolique aussi) dont ils et elles sont victimes, c'est pour la reconnaissance bien légitime que nous nous efforçons de leur renvoyer quand nous les embauchons pour travailler avec nous et intervenir auprès de nos étudiant.e.s. C'est surtout parce que celles et ceux qui reviennent chaque année ont aussi créé des liens, des liens humains, avec les responsables de formation qui les font intervenir. Voilà ce "nous", la part des enseignant.e.s titulaires qui dirigent au quotidien des formations et/ou des composantes. Des liens humains. Voilà l'essentiel. Voilà le tableau d'ensemble.
Et puis soudain …
L'histoire commence il y a plus de 2 ans. Retenez bien ces chiffres. 1685 vacataires de l'université de Nantes ont alors reçu, par erreur, l'équivalent de 950 000 euros. Soit en moyenne un trop perçu de 564 euros. Problème de cette "moyenne", pour certain.e.s sans aucun problème financier (et disposant même de salaires bien supérieurs au mien) ce trop perçu fut parfois de 150 euros alors que d'autres dans des situations financières déjà à la limite de la précarité se sont trouvé.e.s à devoir rembourser parfois plus de 1500 euros. C'était il y donc plus de 2 ans.
Plus de 2 ans après cette erreur de la banque en leur défaveur, "plus de 95% des sommes ont été récupérées" ; sur les 1685 dossiers initiaux, il ne reste que "quelques dizaines de dossiers en cours" pour lesquels les sommes varient "de 621 € à 1.937 €". Pour ces quelques dizaines de personnes (mais pour combien d'autres avant elles et eux …) Nantes Université n'hésite pas à procéder – accrochez-vous – à des saisies directes sur leurs comptes en banque, y compris pour la très faible partie d'entre celles et ceux qui continuent d'intervenir dans nos formations, et sans jamais en informer les responsables desdites formations. C'est le jour du dépassement de la simple décence puisque plus rien ne semble avoir de sens que la poursuite de ces saisies et recouvrements administratifs. A l'instar de la parabole de Kafka, l'université dans sa dimension politique, c'est à dire dans le lien qu'elle maintient avec ses agents, n'est souvent plus rien d'autre que cette sentinelle postée devant la loi.
Alors après plusieurs épisodes où j'ai encore tenté un "dialogue de gestion" avec la présidence de l'université, je lance aujourd'hui une cagnotte pour rembourser une partie de ces sommes et pour que ces dernières poursuites cessent, pour que ces derniers acharnements s'éteignent enfin et pour que chacun, à défaut de l'intégralité des sommes qui lui sont réclamées, puisse au moins recouvrer un peu de tranquillité.
Et puis très égoïstement je le fais aussi pour ne plus jamais à vivre cette scène où croisant un vacataire pour lui proposer d'intervenir, il m'explique que je suis un peu gonflé vu que l'université vient d'opérer une saisie directe sur son compte en banque. Sa colère, son dépit et son écoeurement étaient immenses. Il n'imaginait pas à quel point ma honte les surpassaient pourtant tous les trois.
Il y eut des combats perdus. J'aimerais tant que l'on gagne celui-là.
Il y a deux ans j'avais dénoncé la forme tout à fait indigne et brutale que prenaient ces courriers et procédures de relance, plaçant les responsables de formation dans des situations d'autant plus humainement intenables qu'ils n'avaient à aucun moment été avertis de ces procédures en cours. Ce premier combat fut perdu et j'avais donc démissionné de l'ensemble de mes responsabilités administratives.
Suite à cette affaire beaucoup de vacataires ont également démissionné ou n'ont pas renouvelé leurs vacations, dégoûté.e.s et humilié.e.s par la forme extrêmement brutale de la procédure bien plus que par le fond de l'affaire.
Puis le Covid est arrivé. L'université est passée en mode "survie". On a comme on a pu tenter de sauver ce qui pouvait l'être encore. C'est à dire le lien avec nos étudiantes et nos étudiants. Les dernières et les derniers de cette putain de cordée. Deux ans après d'ailleurs on continue. On leur file des cours et aussi à bouffer. Certain.e.s de ces vacataires, ont continué de nous accompagner. Malgré tout. Beaucoup ont été exemplaires. Absolument exemplaires.
Deux ans après cette "affaire", je savais que la quasi totalité des sommes avaient été recouvrées. Et j'imaginais que les poursuites avaient donc cessé. Que Nantes Université avait, comme d'autres établissement l'ont fait, finalement passé l'éponge sur le reliquat des sommes restantes. Parce que ces sommes étaient dérisoires. Parce que tant d'erreurs, tant de bêtises, et tant de brutalités symboliques avaient déjà été adressées à l'ensemble des vacataires concernées depuis tant d'années et tout particulièrement, donc, les deux dernières. Mais je me trompais. Je me trompais lourdement.
Nantes Université continuait non seulement d'envoyer des courriers de relance mais procédait également directement à des saisies sur comptes bancaires, à moins de 15 jours de … Noël. C'est alerté par un certain nombre de ces vacataires que je tentai une nouvelle fois d'interpeller Carine Bernault, la nouvelle présidente de Nantes Université, pour connaître précisément les sommes restant à recouvrir et le nombre de dossiers encore en cours, et lui demander d'effacer les dettes restantes, comme d'autres universités l'ont fait.
Je n'ai jamais eu de réponse de la présidente de Nantes Université. Mais elle a demandé à la "Direction Générale des Services" de m'écrire. De me donner les chiffres présentés plus haut, et de m'écrire "qu'il s'agissait d'argent public" et qu'elle était "certaine que je partageais son attachement au bon usage des crédits publics", et que donc … tout cela ne s'arrêterait jamais. Ni les relances. Ni les saisies directes sur compte en banque. Elle m'écrivait aussi que "les composantes seraient informées en amont de ces procédures". Ce qui est un mensonge. Les procédures sont en cours et personne, je dis bien personne, aucun collègue, ni en charge d'une formation, ni à la direction d'une composante, n'a jamais été averti qu'elles se poursuivaient. Jamais.
Alors devant ce qu'il faut bien qualifier de mauvaise foi et de mensonge, devant le refus de demander au CA (conseil d'administration) de Nantes Université de procéder à l'effacement des dettes restantes, j'ai fait la seule chose qu'il me restait à faire pour l'engagement que j'avais pris auprès de tant de ces vacataires, certain.e.s qui étaient et sont toujours des ami.e.s, et d'autres, tant d'autres, qui m'ont également contacté pour me faire "partager" leur colère et leur sentiment d'humiliation.
Cette solution fait que vous êtes en train de lire ce texte sur une "cagnotte" que je lance donc pour collecter des fonds permettant de rembourser, je l'espère, une partie des sommes que les vacataires ont déjà rendu à Nantes Université.
Comment l'argent collecté sera redistribué ?
Tou.te.s les vacataires qui me contacteront seront remboursé.e.s en fonction du montant total collecté par la cagnotte et proportionnellement aux sommes qui leurs ont été réclamées.
Il leur suffira (certain.e.s l'ont déjà fait) de m'envoyer un mail à mon adresse personnelle : "olivier.ertzscheid@gmail.com" en me joignant le courrier de l'université avec la somme qu'ils devaient rembourser et le reçu indiquant qu'ils ont bien effectué le remboursement (ou celui de leur saisie sur compte bancaire).
Toute cette procédure sera naturellement transparente, et si je suis amené à rendre certains documents publics, je solliciterai à l'avance l'accord préalable des concerné.e.s et ils seront naturellement anonymisés.
Dans l'hypothèse (relativement improbable mais tous les scénarios doivent être envisagés …) où la somme collectée par cette cagnotte serait supérieure aux sommes à rembourser auprès des vacataires s'étant fait connaître, alors le reliquat sera reversé aux des associations étudiantes de l'université qui s'occupent de monter des distributions alimentaires pour les étudiant.e.s, à savoir la Ma'Yonnaise épicerie et la SurpreNantes épicerie). Là encore je communiquerai et tiendrai les documents comptables à disposition.
A la date de clôture de cette cagnotte – probablement fin Mars, cela dépendra de la dynamique de cette affaire – nous essaierons d'organiser une grande cérémonie publique où nous réunirons, je l'espère, nombre des actuel.le.s et des ancien.nes vacataires de Nantes Université. Il y avait récemment la "nuit blanche des chercheurs", nous ferons "la nuit blanche des vacataires". Pour se rappeler que l'université tient d'abord par sa capacité d'humanité. Que ces gens que l'université poursuit jusqu'au dernier centime au nom de la créance publique sont nos collègues toujours, nos ami.e.s souvent, celles et ceux qui font que nos formations publiques tiennent encore tant bien que mal. Et que si ce qu'ils et elles apportent chaque jour à nos étudiant.e.s n'a pas de prix hors celui du taux horaire de misère que le ministère leur octroie, cela leur vaudrait au moins un peu de considération et un peu moins de poursuites administratives, fussent-elles au nom de la créance publique.
Lorsque j'avais démissionné de l'ensemble de mes fonctions administratives il y a plus de 2 ans de cela, j'écrivais qu'il ne fallait pas "céder sur son désir." Deux ans après, l'université, Nantes Université en tout cas, semble toujours parfaitement incapable d'entendre la colère que peut susciter cette affaire et la manière dont elle se poursuit dans l'ombre et dans la dissimulation. Deux ans après elle n'a toujours pas compris que le meilleur moyen de conduire une collectivité humaine faite de liens est de ne pas considérer que celles et ceux qui tissent jour après jour ce lien méritent à tout le moins d'être averti.e.s et informé.e.s des accrocs qui y sont donnés en risquant de le mettre définitivement à mal.
Alors voilà. La cagnotte est là. La cagnotte pour les vacataires de Nantes Université. C'est bien sûr au départ un combat "personnel", puisqu'il est bâti sur l'expérience de ma colère, sur le constat de mon incompréhension au regard des dossiers des gens que je connais, et sur le ciment de ma totale détermination. C'est aussi un combat collectif puisqu'il concerne a minima l'ensemble des 1685 vacataires de Nantes Université. Mais je crois que c'est aussi un combat ou au moins un sujet qui dépasse les seules frontières d'une seule université. Parce que ces "vacataires" et le sort qui leur est fait, nous rappellent chaque jour la part "vacante" d'un projet politique qui a fait de l'université, de toutes les universités, un nouveau modèle de la précarité. Contre lequel, j'en suis convaincu, nous n'aurons de cesse de lutter.
La suite se passe par ici. Que vous y participiez en espèces sonnantes et trébuchantes (et quel que soit le montant de cette participation), ou que vous vous contentiez d'en partager le lien auprès de vos ami.e.s, dans et sur vos réseaux, alors dans tous les cas, d'avance merci. Pour elles et pour eux.
Bravo pour cette continuité dans l’engagement. J’attends que le salaire soit versé (demain, après-demain), et je soutiens.