C'est la phrase que Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur a sorti ce matin à Apolline de Malherbe lors de son interview matinale sur BFM (en simultané sur RMC). La séquence est en train de devenir virale sur Twitter et la rapide analyse que j'en ai produite également (dans une moindre mesure fort heureusement).
Je reproduis donc cette analyse ici pour éviter les effets de coupe et les différents biais de citation qui pourraient en être extraits.
Rapide exercice de sémiologie du discours (et de l'image).
D'abord, la remarque sexiste de Gérald Darmanin est évidente avec l'implicite à peine voilé du recours à l'hystérisation comme système de dénigrement et de discrédit de la parole de la femme ("calmez-vous madame"). Cette remarque est d'autant plus violente qu'Apolline de Malherbe lui pose précisément une question sur l'augmentation des violences sexuelles dont les femmes sont les premières victimes ("violences sexuelles notamment tellement en hausse que l'on parle d'explosion").
Apolline de Malherbe opère alors un recadrage parfaitement efficace (et légitime) qui se manifeste par son "je vous demande pardon ?" (répété deux fois) puis un "non mais Gérald Darmanin attendez pause" (il continue …) et enfin un "Ho!" à partir duquel tout s'inverse.
Darmanin vient de comprendre qu'il a merdé. A partir de là il va répéter une dernière fois sa remarque sexiste déplacée ("ça va bien se passer") et puis il va retourner l'outrage "non mais moi j'en ai marre des discours populistes." Il s'agit du retournement de situation classique dans les discours sexistes où l'agresseur se fait passer pour la victime. Darmanin dira d'ailleurs plus tard dans la séquence "je réponds comme vous m'agressez". CQFD.
À partir de là Apolline de Malherbe cesse de l'interpeller sur sa goujaterie (elle aurait facilement pu continuer et le mettre minable) et reprend son interview "classique". Gérald Darmanin a renversé la charge émotionnelle de l'agression sexiste par un simple "non mais moi j'en ai marre." Mais en faisant cela, il joue d'un principe d'équivalence qui est faussé : l'agression sexiste dont il est coupable ("calmez-vous madame ça va bien se passer") ne vaut ni n'équivaut à l'agression populiste dont il se dit la victime ("non mais moi j'en ai marre des discours populistes"). A part dans la tête de Gérald Darmanin et dans le dispositif médiatique de cette interview matinale, le sexisme n'a rien à voir avec le populisme. Cette équivalence faussée est triplement amplifiée : par le dispositif médiatique (l'interview "punchy" de la matinale avec ses questions "cash"), la hiérarchie de posture socio-professionnelle (le ministre contre la journaliste) et, bien sûr la différence de genre (homme – femme).
Le principe de l'agression sexiste de Gérald Darmanin à l'encontre d'Apolline de Malherbe repose aussi sur un principe de double énonciation. Son "calmez-vous madame" a pour but de museler son interlocutrice en sortant du cadre de l'interview professionnelle pour revenir à celui de l'hystérie pathologique (supposée) de l'intervieweuse. Et son "ça va bien se passer" fonctionne comme une adresse à la nation viriliste regardant ou écoutant ce spectacle qui installe la banalité du mal : de toute façon … ça va passer. Cela va "bien" se passer pour l'homme agresseur. Mais cela va "mal" se passer pour la femme agressée.
Le fait que ce soit Darmanin, avec la charge des accusations qui pèsent contre lui dans son rapport aux femmes et sa "vie de jeune homme" consistant à échanger des faveurs sexuelles contre des promesses de logement ajoute nécessairement au contexte de l'échange. Mais même en faisant abstraction de cela, le "ça va bien se passer" fonctionne de toute façon et sans aucune équivoque comme une antiphrase : il est fait pour dire l'inverse.
Dire "ça va bien se passer" à une femme après l'avoir assignée à un statut d'hystérique, c'est lui dire "je vais te faire passer un sale quart d'heure." Dans le cas de Darmanin et du passé qui l'accompagne (même si la justice a rendu un non-lieu), le fait que ce soit lui qui prononce cette phrase, "ça va bien se passer", convoque bien sûr l'imagerie linguistique de l'agression sexuelle assumée a fortiori quand cette séquence intervient juste après une question (légitime et sourcée) sur l'augmentation des violences sexuelles.
Alors oui, médiatiquement et dans le dispositif de cette matinale, Gérald Darmanin agit (linguistiquement) en prédateur sexuel assumé. C'est d'autant moins une surprise que la séquence et l'agression était préparée ou en tout cas recherchée par son amorce : "j'ai cru que j'étais sur CNews" et que c'est lui qui est à l'initiative de la bascule de l'échange entre un ministre et une journaliste vers … autre chose.
La violence de cette scène entre Gérald Darmanin et Apolline de Malherbe peut et – à mon sens – doit être comprise pour ce qu'elle suggère aussi implicitement, c'est à dire que si elle s'était déroulée en dehors du cadre médiatique qui la contient autant qu'il l'expose, elle aurait pu se terminer par des coups portés à une femme. La boucle est ainsi tristement bouclée puisque la séquence démarrait par la question d'une journaliste à un ministre de l'intérieur sur l'augmentation des violences sexuelles "tellement en hausse que l'on parle d'explosion". Gérald Darmanin n'a jamais répondu sur cette explosion. Ce faisant, il a dit tout ce qu'il avait à dire sur le sujet.
Post-Scriptum : on pourra aussi noter en termes de "biais de cadrage" que la viralisation de la séquence sur les réseaux sociaux de RMC Info, fait le choix de mettre en avant une ambivalence ("Je vous demande pardon ?") contextualisée en neutralisant les positions de l'agresseur et de l'agressée ("l'échange très tendu entre Gérald Darmanin et Apolline de Malherbe"). Un autre choix aurait pu être de mettre en avant explicitement le verbatim de l'agression "'Calmez-vous madame, tout va bien se passer' : l'échange très tendu entre Gérald Darmanin et Apolline de Malherbe". Même à l'écrit, tout est une question de regard et … de point de vue.
[Mise à jour du soir]
"L'affaire" tourne bien sûr dans la plupart des plateaux radios et télés. Sur C à vous, France 5, Marc-Olivier Fogiel (patron de BFM TV et donc d'Apolline de Malherbe) est invité aux côté d'Edouard Philippe. Le premier indiquera que c'est un non-événement et que, je cite "y'a pas mort d'homme". Est-il nécessaire que je souligne ? Ok je souligne. "Y'a pas mort d'homme." C'est plus clair comme ça ? Bah oui.
Edouard Philippe expliquera ensuite (à la joie du précédent) que Gérald Darmanin avait l'habitude d'utiliser cette formule (le "ça va bien se passer") et qu'il "l'utilisait aussi avec des hommes", ajoutant encore comme pour étayer un argument supposé être une preuve, qu'il "l'avait aussi dit à Jean-Jacques Bourdin." Personne sur les plateaux pour leur rappeler que le principe d'un discours misogyne et d'une agression sexiste tient d'abord à la désignation du genre de la personne à laquelle il s'adresse et qu'il essentialise.
Ah oui, j'allais oublier. Une bonne histoire, c'est d'abord une bonne chute. Celle qui suit en est une. Parce que comme une mise en abîme ultime … il faut se souvenir qu'Apolline de Malherbe remplace dans l'exercice et à l'antenne Jean-Jacques Bourdin. Jean-Jacques Bourdin qui fait face à des accusations … d'agression sexuelle.
Je vous remercie d’avoir pris le temps de décortiquer cette séquence.
J’étais outré du fait de cette phrase, qui suppose une position d’autorité.
Merci de cette analyse éclairante! Un comble quand cette jeune journaliste vient après Bourdin… Quelle ironie, quelle que soit l’issue de l’affaire Bourdin
C’est incroyable de culot !
à cette excellente analyse, on peut en superposer une autre : inconsciemment, Darmanin trahit par ses propos sa propre inquiétude. Il craint que cette interview ne se passe pas très bien. Quand un ministre LREM craint une journaliste de BFM/RMC, c’est que le vent est en train de tourner.