Et je remets le Trump.

Il est de retour. Il est annoncé comme étant de retour. Deux ans après avoir été banni des plateformes Facebook et Instagram, 2 ans après que son compte personnel a été déplateformisé a la suite de l’envahissement du Capitole qu’il avait soutenu et provoqué, la société Meta annonce la réactivation du compte de Donald J. Trump. De fait, la sanction prise le 7 Janvier 2021, initialement sans limite de temps, avait finalement été fixée pour une durée de 2 ans. Durée écoulée.

 

La justification de cette réactivation se résume officiellement au discours classique sur le fait que les utilisateurs de la plateforme ne doivent pas être privés de la parole d’un homme politique de premier plan dont les velléités d’une nouvelle candidature à la présidence des Etats-Unis agitent la presse américaine depuis un certain temps.

The public should be able to hear what politicians are saying so they can make informed choices.

 

Ajoutez-y le fait que la peine prononcée disposait d’une limite temporelle (là où Twitter avait choisi de bannir à vie le compte personnel de Donald Trump)

Maintenant que la période de suspension est écoulée, la question n’est pas de savoir si nous choisissons de rétablir les comptes de M. Trump, mais s’il subsiste des circonstances extraordinaires telles que la prolongation de la suspension au-delà de la période initiale de deux ans apparaisse justifiée.

 

Et il semble qu’il n’y en ait pas. En tout cas selon Méta.

Enfin les garde-fous (littéralement serait-on tenté d’écrire …) mis en oeuvre consisteront, nous dit encore la société Méta, à surveiller de près les contenus publiés par Donald Trump :

Dans le cas où M. Trump publierait d’autres contenus enfreignant nos règles (« violating content »), ils seront supprimés et il sera suspendu pour une durée comprise entre un mois et deux ans, en fonction de la gravité de la violation.

 

Et de pointer vers les nouvelles conditions générales d’utilisation ad hoc concernant « la limitation des comptes de personnalités publiques en période d’agitation sociale » :

Lorsque la limitation d’une personnalité publique est levée et qu’elle a de nouveau accès à Facebook ou Instagram, elle sera soumise à des sanctions renforcées afin de décourager toute forme de récidive. Si la plupart des nouvelles infractions entraîneront une limitation d’un mois de la création de tout contenu, les infractions plus graves entraîneront une limitation supplémentaire de 2 ans

 

Donc il est de retour. Reste à savoir si la possibilité de son retour sera validée par le principal intéressé, lequel, suite à son bannissement s’était réfugié dans sa bulle de filtre à l’auto-complaisance calculée et taillée sur-mesure, le réseau social qu’il avait créé et baptisé « Truth Social ».

Il est plus que probable, il est même tout à fait certain que non seulement il reviendra en effet sur Facebook, tout comme il est tout à fait certain que ses premiers posts feront allusion à la « censure » qu’il a subi de la part de ces plateformes wokisto-communistes.

Si la probabilité devient certitude c’est parce que comme le révèle NBC c’est l’équipe de campagne de Donald Trump qui a directement sollicité Méta pour la réactivation du compte au regard de la « fin » de la période de suspension. Et qu’elle a donc eu gain de cause. Une requête sans laquelle Méta aurait probablement bien volontiers continué de laisser traîner cette suspension.

En plus de la réactivation de son compte Facebook, Donald Trump bénéficie aussi d’une autre grâce « présidentielle » : Elon Musk propriétaire de Twitter a annoncé le 20 Novembre 2022, suite à l’un de ses nombreux sondages lunaires, que le bannissement « à vie » était levé et que le compte @RealDonaldTrump était réactivé sine die. Occasionnant dans la foulée le retour de tout un tas de comptes et de personnalités aussi publiques que toxiques de l’alt-right américaine, qui avaient à l’époque déserté le réseau « en solidarité » avec la sanction infligée à leur suprême leader (ou en avaient été également bannis).

Notons ici que côté Twitter et depuis la reprise en main par Elon Musk, c’est par sacs entiers que sont réactivés des comptes haineux, complotistes, néo-nazis, racistes, sexistes et homophobes. Derniers exemple en date celui d’Andrew Tate ou bien encore Nick Fuentes. Chaque rétablissement de ce type de compte, par-delà même la nature des individus concernés, par-delà même le processus discrétionnaire qui le permet, pose aussi la question de la réactivation organique autant que mécanique des réseaux de soutien qui leurs sont associés et de la portée en termes d’audience des propos qu’ils tiennent, supportent et partagent.

Il est de retour, mais il n’est (pour l’instant) pas là.

Trump dispose donc de son compte Twitter (depuis Novembre 2022) et de son compte Facebook (depuis cette semaine de Janvier 2023). Mais il n’a encore rien publié sur aucun de ces 2 réseaux. Il ne tardera pas mais pour l’instant il est encore (vaguement) tenu par ce qu’il avait indiqué en lançant son réseau Truth Social, c’est à dire la clause d’exclusivité par laquelle il s’engageait à ne rien publier ailleurs avant un délai de 6h. Or le fait de revenir sur Facebook et Twitter condamne à court terme l’existence même de Truth Social, certes confidentiel en audience, mais qui appartient quand même au portefeuille média de l’homme d’affaires que reste aussi Donald Trump.

Diamonds Toxic Accounts are Eternal.

Il n’est a priori pas grand chose de comparable entre la « replateformisation » de Donald Trump sur Facebook et celle sur Twitter. La première résulte d’une initiative de l’intéressé (via son équipe de campagne), elle est négociée et encadrée, sur une plateforme où il existe un « conseil de surveillance » (Facebook Oversight Board) certes notoirement imparfait et dont l’essentiel des recommandations n’obligent en rien la plateforme mais qui a quand même … le mérite d’exister, et enfin elle intervient à la fin d’une période de suspension limitée dans le temps. Voilà pour Facebook. Du côté de Twitter, alors que le bannissement à vie avait été documenté, justifié et historicisé, le rétablissement du compte est une initiative du nouveau propriétaire de la plateforme (Elon Musk), négociée avec personne, décidée dans un arbitraire total (le sondage Twitter du patron), sans aucune mesure d’accompagnement ou d’encadrement, sur une plateforme totalement opaque pour ce uqi est de son processus de modération, dont l’essentiel des responsables en lien avec ces questions d’éthique et de modération se sont fait virer dès la prise de contrôle par Musk, et qui contrevient à une précédente décision (également discrétionnaire) de bannissement à vie.

Pourtant ces deux retours en grâce et en ligne nous confirment quelques éléments déjà connus (au moins des lecteurs et lectrices de ce blog et des curieux et curieuses de ces sujets) mais tout à fait importants.

La morale de l’histoire.

Premièrement. Les comptes toxiques sont éternels dans l’économie actuelle de ces plateformes. Chacun sait que Donald Trump se livrera à de nouveaux dérapages. Et chacune de ces plateformes les attend. Elon Musk et Twitter prétendent les attendre au nom d’une conception maximaliste de la liberté d’expression, Zuckerberg et Facebook prétendent les attendre au nom du droit des utilisateurs à les entendre de la part d’une personnalité publique. Musk comme Zuckerberg les attendent car ils savent le profit qu’ils peuvent en tirer dans l’économie de rente attentionnelle qu’ils administrent avec fracas ou à bas bruit.

Deuxièmement. La gouvernance de ces plateformes demeure essentiellement discrétionnaire, y compris dans ce qu’elle implique et impacte dans la vie publique et dans la vie politique. Et cette gouvernance, pour l’essentiel, se plie aux volontés de quelques-uns pour ne pas dire d’un.e seul.e, nous contraignant à faire le pari qu’il ou elle ne soit pas totalement déséquilibrée (affectivement, mentalement, socialement …). Mais quand une partie significative du débat politique public ne repose que sur la capacité d’Elon Musk à arbitrer une décision en faveur ou en défaveur de Donald Trump …

Troisièmement. Ces « grands comptes » ou comptes de personnalités publiques font l’objet d’une modération d’exception. Ils sont assez paradoxalement à la fois plus surveillés (au moins dans la galaxie Facebook) et plus libres de raconter n’importe quoi ou soustraits aux limitations du commun des mortels concernant la désinformation, les discours de haine ou même le revenge porn, comme l’avait révélé la lanceuse d’alerte Frances Haugen. Sachant qu’une personnalité publique est ainsi définie chez Méta :

Nous définissons les personnalités publiques comme les représentants des gouvernements au niveau national et étatique, les candidats politiques à ces fonctions, les personnes ayant plus d’un million de fans ou d’abonnés sur les médias sociaux et les personnes qui bénéficient d’une couverture médiatique importante.

 

La morale de la fable est connue : « Selon que vous serez, puissants ou misérables … » Et on voit bien la zone grise qui se dessine pour l’ensemble de ces comptes, d’autant que ces « power users » (super utilisateurs) marginaux en nombre sont à l’origine de l’essentiel de la prolifération des discours de haine, de désinformation et des effets de polarisation.

Et je remets le son Trump.

Le principal problème que pose le retour de Trump (ou d’autres leaders populistes) sur Facebook ou sur Twitter n’est pas lié à Trump lui-même mais à l’ensemble des réseaux de disqualification et de discrédit de la parole publique que cela réactive. Se concentrer uniquement sur Trump c’est oublier que la dimension particulièrement performative de ses discours y compris les plus délirants, repose presqu’uniquement sur la capacité des architectures techniques toxiques de ces plateformes à la viraliser et à agréger en continu tout autour d’elle des circulations inter-individuelles et des reprises médiatiques tantôt intersticielles et discrètes, tantôt matricielles et écrasantes.

 

 

Un commentaire pour “Et je remets le Trump.

  1. > Enfin les garde-fous (littéralement serait-on tenté d’écrire …)

    Psychologiser le fascisme non seulement le minimise en masquant ses causes réelles, mais surtout stygmatise les personnes souffrant de troubles psychologiques : elles se mangent assez de psychophobie pour pas en plus avoir à être associées au fascisme. Donc non on n’est pas tentés de l’écrire.

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