Chiens de la casse et jeux de rôles. Apologie des casseroles.

Ceci n’est pas un jeu.

Jouer à cache-cache, avec les ministres en déplacement, trouver où ils et elles prévoient d’aller, s’y trouver tout en s’y cachant de la police, tout en déjouant les itinéraires et zones interdites à la manifestation.

Jouer au chat et à la souris en se positionnant aux sorties possibles d’un village, ou d’un bâtiment, pour être sûr de se trouver face au ministre en visite ou l’obliger à repartir … dans une partie de cache-cache.

Jouer avec les mots. Assimiler les casseroles à des “dispositifs sonores portatifs” pour permettre, dans l’urgence, à des gendarmes zélés aux ordres de piteux préfets de les saisir ou de les interdire à l’approche de tout déplacement présidentiel ou ministériel. Et revenir ensuite expliquer que “pas du tout“, les casseroles ne sont pas interdites. Nous casserolerons donc.

Jouer au jeu du menteur. Expliquer, dernier exemple en date, que la première ministre peut encore se déplacer sans avoir besoin d’interdire les manifestations dans un large périmètre à son approche, “juste une rue“, ce n’est pas une atteinte constitutionnelle, “juste une rue“. Et ceux qui disent le contraire mentent. Sauf que le mensonge s’inverse à la réalité des faits.

Jouer avec les lieux et les applications de notation. Comme ce restaurant qui voit sa note subitement dégradée parce que le président s’y est arrêté boire un verre (la note a depuis retrouvé son niveau initial).

Jouer la surprise. Couper l’électricité dans les lieux investis lors des déplacements présidentiels ou ministériels. Jour ? Nuit ! Jour ? Nuit !

Jouer avec l’agenda. Et notamment, celui des Jeux. Des Jeux Olympiques dans la capitale ? Pas de retrait pas de JO.

Jouer avec l’image. Paris sous les poubelles. Et poubelles en feu. De Paris ville lumière, à Paris ville torche.

Jeux de clochers. Un hashtag et différents comptes Twitter circulent avec l’intitulé #IntervillesMacron. Jouer encore. Avec la référence datée à cette émission télévisuelle qui dit beaucoup de l’âge des mobilisations et des mobilisés mais aussi et surtout de leur géographie. Après la France rurale et péri-urbaine des ronds-points des Gilets Jaunes, c’est au tour de la France des sous-préfectures de se mobiliser comme elle ne l’avait jamais été jusqu’ici.

Il faut jouer.

Depuis presque déjà deux décennies, le monde politique à courte vue et le monde managérial à petits bras avancent de concert pour nous vanter mérites et louanges de la “gamification”, de la “ludification” comme solution à tout type de problème ou d’approche. Si on le présente de manière ludique, si l’on peut voir cela comme un jeu, alors bien sûr comment parler ensuite d’épuisement, de souffrance, d’écrasement, de management toxique, etc.

Et quand il n’y aura plus de pain, alors il restera des jeux.

Le peuple qui n’est pas foule et qui le montre, a intégré la composante ludique de la contestation du pouvoir. Alors il joue. Le dernier mouvement social installé dans la durée, celui des Gilets Jaunes, avait fait de “l’occupation”, celle des ronds-points, son mode opératoire principal. Le mouvement qui est en train de s’installer dans le pays depuis l’adoption de la réforme des retraites semble faire de la “ludification” son mode opératoire. Et qu’importe qu’il s’agisse de jeux interdits, ou de jeux dangereux. Il faut jouer.

Les Gilets Jaunes étaient un mouvement de la vision, il leur fallait se rendre visibles : fixes sur les ronds-points, lumineux en gilets. Le mouvement que nous traversons est un mouvement de l’audition. Il faut se faire entendre. Les casseroles sont là pour ça mais prêtez l’oreille depuis l’entame : “on est là“, un chant que déjà les Gilets Jaunes entonnaient mais qui s’est imposé comme chant de ralliement bien au-delà de ce mouvement. Un mouvement de l’audition car la parole politique est devenue totalement inaudible, empêtrée dans ses mensonges et ses dénégations qui réussissent le tour de force de rendre son action à la fois suspecte, insincère et inaudible. Emmanuel Macron lui aussi chante, mais c’est une tout autre musique.

Nos casseroles, ustensiles et matérielles, font bien peu de bruit au regard de l’accumulation de leurs casseroles métaphoriques, et qu’ils traînent pourtant avec une aisance déconcertante, irritante, méprisante.

Ces “jeux” avec et contre le pouvoir, en réponse aux “jeux du pouvoir” constituent un contrechamp vital à la violence des drames, aux agressions policières, aux mutilations, aux répressions aveugles, aux arrestations arbitraires, aux arrestations politiques qui touchent à l’essence même de la liberté d’opinion et d’expression, aux arrestations au faciès, à la saturation lacrymale de l’air que l’on respire.

Ces jeux sont la farce et la force comique d’un tragique politique qui pense la contrainte et l’épuisement des corps comme soluble dans la règle de trois d’un équilibre budgétaire pesé sur la balance de justice que tient une main du marché totalement parkinsonienne. Une tragi-comédie. Qui va probablement s’étendre et se continuer. Parce qu’elle évite – un peu – l’épuisement de tous et toutes. Il suffit d’être quelques-uns à tenir quelques casseroles pour que l’image médiatique capte, imprime, diffuse et pour que toutes celles et ceux qui se trouvent empêchés d’y être, comprennent que d’autres corps se substituent aux leurs et perpétuent cette lutte. Le corps social c’est aussi cela. La représentativité c’est aussi cela : elle ne va pas que dans le sens du peuple vers le politique dans l’élection, elle vaut aussi du peuple vers le peuple.

Il faut jouer avec le pouvoir. Parce que le pouvoir exige des corps tristes comme l’expliquait Deleuze.

Nous vivons dans un monde plutôt désagréable, où non seulement les gens, mais les pouvoirs établis ont intérêt à nous communiquer des affects tristes. La tristesse, les affects tristes sont tous ceux qui diminuent notre puissance d’agir. Les pouvoirs établis ont besoin de nos tristesses pour faire de nous des esclaves. Le tyran, le prêtre, les preneurs d’âmes, ont besoin de nous persuader que la vie est dure et lourde. Les pouvoirs ont moins besoin de nous réprimer que de nous angoisser, ou, comme dit Virilio, d’administrer et d’organiser nos petites terreurs intimes.  (…) Ce n’est pas facile d’être un homme libre : fuir la peste, organiser les rencontres, augmenter la puissance d’agir, s’affecter de joie, multiplier les affects qui expriment un maximum d’affirmation. Faire du corps une puissance qui ne se réduit pas à l’organisme, faire de la pensée une puissance qui ne se réduit pas à la conscience.” Gilles Deleuze, in Dialogues avec Claire Parnet. Paris, éditions Flammarion, 1977

 

Alors il faut un contre-pouvoir de la joie et du jeu. Jouons donc avec le pouvoir. Non pas pour oublier la tragédie, mais pour la souligner, pour lui opposer des corps joyeux, mouvants, insaisissables, des corps qui dansent, des corps qui chantent, qui affichent des sourires sans foulard et sans fard, en attendant les lacrymos, et qui jamais ne se lassent, y compris dans les nasses.

Play it again. Play it again. Play it again.

 

 

6 commentaires pour “Chiens de la casse et jeux de rôles. Apologie des casseroles.

  1. “Le peuple [NDLR: TM LFI]qui n’est pas foule”: Ca c’est peu de le dire.

    La fracture qui se crée entre les casseroliers et leurs adeptes et une grande partie de la population est vraiment profonde. Je ne crois pas que vous en ayez vraiment conscience (ce n’est pas à vous que je vais l’apprendre, tout le monde vit dans sa bulle…).
    Hors il se trouve que dans la mienne par exemple, secteur privé, cadres et techniciens, PME et grands groupes, ainsi que parmi tous nos proches (500 Personnes peut-être), au maximum 10 personnes sont allées manifestées (oui oui je sais, le monde des managers aux petits bras).

    Hors il se trouve, que de notre côté, ce que nous voyons ce sont:
    – la médiocrité crasse des députés LFI (non non les présidents ne siègent pas au conseil constitutionnel),
    – les mensonges et les amalgames généralisés (oui la CGT a coupé l’électricité d’une clinique, oui la retraite à 64 ans a été votée par … les socialistes et les écologistes en 2014… ),
    – la mise en avant de l’idéologie la plus crasseuse (pro Russe (c’est la faute à l’OTAN), complotiste, “paresseux”, jusqu’aux staliniens qui refont leur apparition),
    – l’approbation sarcastique pour la destruction d’activités que des gens ont passé leur vie à construire ( oui détruire la réputation d’un restaurant, c’est cela, sans parler des bassines, des commerces brulés…)…
    – La violence massive et systématique des blackblocs jamais dénoncée

    Ce que vous êtes en train de casser c’est l’acceptation par des gens comme nous de partager la charge économique par l’impôt.
    J’entends des discours, que je commence à partager, inimaginables il y a 3 ans, sur la fin souhaitable de la retraite par répartition par exemple.

    Vous voulez un référendum sur les retraites, très bien, faisons le, avec une question qui n’oublie surtout pas les régimes spéciaux (tous très largement déficitaires) , et la différence de calcul entre les fonctionnaires et les gens du privé. Oui mettons tout sur la table et votons encore. Et c’est un voeux pieux, imaginons que les insoumis acceptent le résultat de l’élection…

    1. Clown triste du capitalisme et droitard exemplaire, souffrez que je goûte avec bonheur les casserolades. Quand le roi est nu, il ne supporte plus ses bouffons. Tout comme Macron qui ne supporte pas les bouffons de France Inter et les fait virer, vous ne souffrez pas de regarder le réel, le gouffre dans lequel votre caste sombre. Le cynisme avec lequel vous choisissez de tout cramer, planète et humanité, plutôt que de remettre en cause votre credo illibéral est mortifère.
      Je choisis moi aussi Deleuze plutôt que l’imposteur en philosophie de l’Elysée.

      1. @Dominique-e,
        Votre réponse est une jolie illustration de ce qu’est devenue la gauche, vous vous enivrez (et vous nous soulez) de mots dont personne, vous les premiers, ne comprend ce qu’ils veulent dire.
        “illibéral”… ok en général c’est plutôt “libéral” qu’on nous colle. Qu’importe le flacon…
        J’imagine que d’un “i” vous sautez de la réforme des retraites à Orban et Erdogan, et que vous me collez ca sur le dos. Dont acte… vous remarquerez juste que les Turcs Francais qui ont voté massivement pour les islamistes en Turquie, votent en général pour la LFI ici.
        Sur le fond vous êtes vous rendu compte que le nombre de vieux explose?
        Avez vous remarqué que, pour cette raison, tout l’Europe a déjà réformé?
        La France s’appauvrissant, imaginez vous que certaines dépenses ne peuvent plus être supportées?
        Et enfin, mais c’est plus compliqué, en constatant qu’en première approximation, notre niveau de vie est directement corrélé à la quantité d’énergie disponible par personne, dans un contexte ou la décrue de l’utilisation des énergies carbonées est à la fois nécessaire et (surtout) contrainte, arriverez vous à vous projeter dans un monde, ou ce qui fait loi ce sont la physique et les ordres de grandeur? (spoiler alerte: J’en doute…)

  2. Bonjour, Merci de nous rappeler la joie. Les accapareurs qui veulent nous briser. Que de maladies psycho-sociale venant de cette maltraitance économique! Votre référence au philosophe Deleuze sur la puissance d’agir (Spinoza) me rappelle ses conférences audio, fantastique être humain et pedagogue. Penser la vie au service de l’individu et de la société. A la différence de la bouillie des “nouveaux” philosophes qu’il dénoncait déjà, toujours présents, dépourvus d’esprit d’analyse et de concept, communicants dans les media la bonne parole des affameurs (BHL, Enthoven…).

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