Marlène Schiappa, Playboy, et l’image qui n’existait pas.

C’est un cas d’école assez extraordinaire.

D’abord il y a le temps social. C’est le 31 Mars 2023, la veille du 1er Avril et ses habituels poissons, que l’on apprend que Marlène Schiappa posera dans le prochain numéro de Playboy. Blague ou pas blague ? Tout est suspect le jour des fous et de l’épiphanie du faux. L’information est suspecte, la date est suspecte, et le journal est suspect : Playboy n’est plus qu’une obscure parution trimestrielle, loin de ce que le journal incarnait à l’époque de sa toute-puissance, au point que lorsque l’information sort, une partie des tenants de la thèse du poisson d’Avril anticipé s’appuient sur le fait que Playboy aurait cessé de paraître.

Ensuite il y a le moment politique. C’est au moment où l’on apprend que Marlène Schiappa a détourné ou à tout le moins instrumentalisé l’argent du fonds Marianne qu’elle avait elle-même créé à la suite de l’assassinat de Samuel Paty que sort l’info de sa prochaine apparition à la Une de Playboy. Si l’entretien avec Playboy était déjà nécessairement acté, sa révélation (par Le Parisien) le 31 Mars est en tout cas d’un opportun cynisme au lendemain de la révélation de l’enquête de France Télévision (30 Mars) sur le détournement de l’argent du fonds Marianne.

Il y a aussi l’époque militante. Que celle qui se présente souvent comme une militante féministe fasse le choix d’aller poser et s’exprimer dans un journal qui incarne l’essence même de la masculinité toxique et de l’instrumentalisation du corps des femmes est pour le moins assez … navrant. Comme l’expliquait et le rappelait ce merveilleux collègue :

Quand le seul message « féministe » que vous avez à promouvoir est celui du pouvoir, vous pouvez bien passer dans n’importe lequel de ses relais, sans avoir à vous embarrasser de réflexions politiques sur les espaces où vous allez parler.

 

Il y a la concordance médiatique. Après qu’Olivier Dussopt est allé faire sont coming-out dans Têtu, après qu’Emmanuel Macron a donné une interview à Pif, c’est désormais Marlène Schiappa qui ira poser dans Playboy. Têtu, PIF et Playboy, ou l’étonnante trinité d’une expression politique qu’on l’on imaginait voir autrement renouvelée. De TPMP à T, P et P [T(êtu), P(layboy) et P(if)]. Et retour.

Il y a la concordance des temps politiques, médiatiques et sociaux. Le magazine Playboy avec Marlène Schiappa à sa Une sortira ce Jeudi 6 Avril, précisément le jour d’une nouvelle importante mobilisation intersyndicale contre la réforme des retraites.

Il y a l’imaginaire. Même si on assure que les photos ne seront pas dénudées, annoncer que vous allez faire la Une de Playboy vous met à nu dans un imaginaire collectif déjà très prompt à déshabiller les oripeaux du pouvoir a fortiori lorsqu’ils sont portés par des femmes. Là où l’urgence est de renouveler des imaginaires, Marlène Schiappa entérine et valide les plus toxiques parmi ceux qu’elle prétend combattre.

Et il y a les générateurs de fausses images. C’est sur cet imaginaire en quelque sorte performatif (le fait d’annoncer que Marlène Schiappa posera dans Playboy implique a priori qu’elle y posera nue ou dénudée) que va venir se greffer un autre moment de l’actualité : celui où l’on s’interroge sur les fausses images créées par des intelligences artificielles, du Pape en doudoune à ce vieil homme blessé par des CRS lors d’une manifestation contre les retraites. Et c’est alors … un feu d’artifice : puisque l’on dispose de technologies génératives au service d’une spéculation sur les imaginaires que chacun projette dans cette « information », et alors même que les images de Playboy sont encore sous embargo (relatif comme nous le verrons ci-après), pourquoi se priver de générer tout un tas d’images plus ou moins vraisemblables et qui seront publiées le 1er Avril, ajoutant ainsi du faux au sein d’une information désormais vérifiée mais dont tout le contexte énonciatif et médiatique constitue une fracture cognitive de toute forme de vraisemblance ?

Dès lors comment interpréter les images qui suivent en vraisemblance, en véracité, en potentialité, en détournements ?

Ces 3 images (issues de captures d’écran de BFM TV) et estampillées « document BFM » semblent, en l’état, probables puisqu’elles confirment les traces du récit médiatique des protagonistes de l’affaire, faisant notamment état de « robe blanche« , et de différents drapés dans ou avec en fond le drapeau français.

Le voici dans leur dispositif énonciatif et médiatique initial :

On notera sur un plan sémiologique comment l’opposition est rendue par le dispositif lui-même qui aligne en taille et oppose en posture les photos de Marlène Schiappa et la réaction de Sandrine Rousseau interrogée sur le sujet.

L’image ci-dessus est celle qui circule le plus et comporte le plus de probabilité indiciaires d’être la vraie Une du trimestriel à paraître ce Jeudi. Et c’est précisément parce qu’elle est la plus vraisemblable qu’elle mobilise déjà, et mobilisera encore davantage demain, le plus de détournements.

Cette image est à l’évidence un montage, suffisamment grossier dans le raccord (notamment pour les cheveux) et que le 49.3 tatoué sur la poitrine achève de documenter. Je fais le choix de ne diffuser que cette image sur l’ensemble des détournements que j’ai déjà pu constater, mais vous laisse imaginer toutes celles qui circulent ou circuleront dès le lendemain de la parution du magazine.

Moralité. 

La capacité de générer des fausses images plus ou moins vraisemblables prenant le contrepied de motivations féministes incapables d’interroger politiquement les lieux de leur expression et de mesurer à quel point ces derniers sont par essence délégitimants, le tout annoncé la veille d’une journée institutionnelle du mensonge dans ce clair-obscur de la circulation sociale des messages relevant de la tromperie ou de la simple blague, au service d’un réel détournement attentionnel visant à faire oublier une affaire crapuleuse de détournements de fonds … Tout cela vient aussi conclure de la pire des manières un cycle où la parole politique déjà tant malmenée ne semble trouver d’autre horizon de renouvellement que d’aller s’afficher dans des instances de délégitimation de ce qui fait l’essence du politique, c’est à dire la capacité d’être féministe pour abattre les imaginaires à la Playboy, la capacité d’affirmer son homosexualité autrement que pour délégitimer et artificialiser une contestation politique des réformes que l’on porte, et la capacité de faire circuler une parole politique s’adressant à des adultes.

Apostille.

Pif, Playboy et Têtu sont trois journaux qui se sont tous, pour différentes raisons, effondrés dans leur diffusion comme dans leur projet politique initial. Playboy n’est qu’une vague survivance trimestrielle d’un projet politique qui porta l’imaginaire masculiniste à son apogée ; Têtu demeure militant mais loin de la radicalité de sa fondation historique par Pierre Bergé au coeur des années SIDA ; et Pif est passé du parti communiste à la gérance de Frédéric Lefebvre.

Il est donc aussi révélateur que singulier de voir Olivier Dussopt, Emmanuel Macron et Marlène Schiappa choisir ces trois organes de presse tous révélateurs d’une forme d’effondrement des luttes pour prétendre y porter une parole politique réaffirmant les leurs.

A peine remis de l’épisode Schiappa, on apprenait que le préfet de Paris Laurent Nunez, serait l’invité de TPMP après que de faux policiers masqués et cagoulés dont plusieurs militants d’extrême-droite se faisant passer pour des membres de la BravM sont allés y vanter les mérites de cette unité.

La conclusion s’impose à nous depuis longtemps. « (…) Et avec un tel peuple, vous pouvez faire ce que vous voulez.« 

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