Ce que Gérald Darmanin avait de bien trop petit.

Interdire un livre n’est pas chose courante. Interdire un livre au 21ème siècle, en France, n’est pas chose courante. Interdire à la vente aux mineurs un livre jeunesse au 21ème siècle en France n’est pas une chose courante. On se réveille un peu groggy lorsque l’on apprend la nouvelle.

 

Arrêté publié le 17 Juillet 2023 au Journal Officiel de la République Française

 

Le sujet de ce livre est celui d’un adolescent moqué et harcelé pour la taille de son sexe, « bien trop petit ». Je ne sais rien, bien sûr, de la taille du sexe de Gérald Darmanin. Mais je sais que Gérald Darmanin bien que bénéficiant d’un non-lieu pour les accusations de viol, assume d’avoir eu « une vie de jeune homme« , vie dans laquelle le fait d’user de son sexe d’élu à des fins de transaction locative ne semble lui poser aucun problème particulier. Je sais également que Gérald Darmanin se plaît à se vautrer dans l’empreinte anthropologique d’une masculinité toxique qu’il s’échine à déconstruire avec une énergie comparable à celle que Christophe Béchu met à lutter contre le dérèglement climatique (donc à peu près nulle). Et je sais enfin, qu’au regard de l’objet et de la nature du livre jeunesse que Gérald Darmanin vient d’interdire, l’hypothèse qu’il l’ait pris comme une référence directe à un propre probable trauma micro-pénien ne peut ni ne doit être totalement exclue du champ de l’investigation, pour les raisons que nous allons détailler dans cet article.

Mais revenons d’abord à l’objet du délit et de la censure d’état.

Une histoire de petite bite.

Le livre de Manu Causse, « Bien trop petit », est donc l’histoire d’un jeune homme qui vit comme un traumatisme le regard peu compatissant que ses camarades d’école et de vestiaire portent sur l’étendue de son appendice caudal. Et qui, entre autres exutoires réparatoires, se réfugie dans l’écriture de récits pornographiques, récits qu’un autre protagoniste va presqu’immédiatement venir déconstruire en permettant à l’écrivain en herbe de mesurer autre chose que la taille de son vit (ce qu’explique très bien l’auteur dans l’entretien qu’il a donné au Figaro). Pour le reste c’est un livre souvent drôle, à hauteur d’adolescent.e et donc d’adulte puisque nous n’avons jamais entièrement oublié la période qui a le plus construit ce que nous sommes. Un livre qui ne fait que prendre prétexte de cette histoire de bite supposée sous-dimensionnée pour déconstruire des représentations toxiques du rapport au corps et à une sexualité qui ne serait qu’instrumentale et métonymiquement quantifiable à l’aune des propriétés physiques mesurables de ce qui constitue le plus souvent, pour la gent masculine, un plus ou moins oblong a priori de représentations stéréotypiques héritées mais jamais véritablement transmises ou même questionnées.

Le roman jeunesse de Manu Causse est, en outre, publié par l’éditeur Thierry Magnier, dans une collection tout à fait explicite dans sa ligne éditoriale, « L’ardeur », et la 4ème de couverture, en raison des scènes de sexe explicite qu’il contient effectivement, précise qu’il s’adresse « à un lectorat averti à partir de 15 ans. »

L’interdiction par Gérald Darmanin le rend interdit à la vente en dessous de 18 ans. À noter, mais cela a déjà été largement rappelé, que Gérald Darmanin ne semble pas s’alarmer ou s’inquiéter de l’accès des mineurs aux sites pornographiques, pas davantage qu’à l’engouement pour le genre de la « dark romance » qui magnifie la soumission, les zones troubles du consentement ou de l’absence de consentement, le viol et les relations toxiques (entre autres). A dire vrai il semble que Gérald Darmanin n’ait d’autre problème à régler du haut de son ministère qui tient pourtant chaque jour la Une des médias pour différentes dérives et violences policières que de faire interdire un livre sur un récit adolescent qui interroge le rapport au corps et à la sexualité et qui le fait de manière explicite tout autant qu’explicitement cadrée et décalée sur le plan de la narration. Et qui, par-delà des qualités littéraires que chacun est libre d’apprécier ou non, ne peut pas être vu ni lu comme autre chose qu’un récit initiatique de la déconstruction d’un imaginaire social hyper sexualisé auquel nous sommes tous et toutes au mieux astreints et au pire contraints.

Une histoire de la censure à travers les âges.

Bah non il y a déjà des thèses et des ouvrages entiers sur le sujet, je vais donc vous l’épargner. Et me limiter à la liste fort instructive que donne Wikipédia des livres interdits en France. Sous la 5ème république et à l’échelle d’une génération, donc depuis la présidence de Jacques Chirac. Mais je vous invite vraiment à jeter un oeil sur l’ensemble des livres interdits et censurés en France qui, par-delà le seul sujet de la pornographie, sont le reflet des inquiétudes d’une époque.

Voici la liste des livres interdits et censurés depuis 20 ans.

 

Pornographie et révisionnisme se partagent le podium. Mais depuis 2002 … rien. C’est pas rien quand même : rien depuis 20 ans. Rien sous la présidence de Nicolas Sarkozy, rien sous la présidence de François Hollande**. Et puis après ce glory (black) hole de 20 ans, voilà donc Gérald Darmanin interdisant la vente aux mineurs d’un livre pourtant déjà explicitement réservé à la vente aux plus de 15 ans.

[Mise à jour du 7 août] Il y a eu une trentaine de publications interdites de la vente aux mineurs sous la présidence de Nicolas Sarkozy, en 2009 et en 2010, qui étaient uniquement des publications – revues – à caractère pornographique. [/Mise à jour]

Notons tout de même que pendant ces 20 ans, la droitisation de notre société et l’agenda culturel de tout ce que l’échiquier politique comptait déjà de renflements bruns avant la tentative de Bruno Lemaire d’en faire littérature, étaient déjà parvenus à nous imposer des débats sur l’ignominie qu’aurait constitué la distribution d’un livre (jeunesse encore) intitulé « Tous à poil » et où l’on pouvait voir – horreur – des maîtresses, des banquiers et des policiers, « à poil ». Un débat à l’époque principalement porté par Jean-François Coppé, qui, en termes de renflement brun, s’est toujours efforcé de faire de sa carrière politique un hommage à celle de son père, proctologue de son état.

Alors bien sûr un parfum d’interdit, en plus de soulever l’indignation de l’ensemble de la profession du livre, en France comme à l’étranger, et achevant de faire passer le pays des Lumières et des droits de l’Homme pour celui des ampoules intellectuelles à basse consommation et des droits inaliénables de policiers séditieux, a pour premier effet … de doper les ventes de l’objet de l’interdit.

J’ai ainsi moi-même commandé, acheté et suis en train de lire cet obscur objet du dimensionnement phallique, et bien d’autres l’ont fait, amenant « Bien trop petit » de Manu Causse à bientôt rivaliser avec les succès d’édition (non) de l’auteur Gérald Darmanin, qui vendit poussivement quelques 2000 exemplaires de son premier ouvrage et dont le second, bénéficiant cette fois de son exposition médiatique de ministre et d’une présentation en facing dans la quasi totalité des librairies françaises, peine à jouir comme à franchir la barre des 2000 exemplaires.

Résumons donc l’affaire.

Puisque cette censure par l’arrêté d’une interdiction de vente aux mineurs ne tient et ne s’explique ni sur un plan moral, ni sur un plan intellectuel, ni sur un plan économique ; puisqu’elle produit l’effet inverse de celui qu’elle était supposé acter (le livre se vend mieux et donne des idées à d’autres) ; puisqu’elle met en paradoxale lumière les autres espaces discursifs, en ligne ou hors ligne, dans lesquels les sexualités y compris les plus violentes, sont exhibées et mises en concurrence attentionnelle sans aucun élément de contexte auprès des plus jeunes, il n’est donc que trois explications possibles à cette décision de Gérald Darmanin.

La première, étant donné l’écart entre la date de parution de l’ouvrage (Septembre 2022) et celle de son arrêté d’interdiction de vente aux mineurs (Juillet 2023), est qu’il s’agisse d’une jaculation pour une fois plus tardive que précoce ayant pour finalité d’opérer une diversion médiatique au regard de l’actualité brûlante du ministre de l’intérieur et de ses sbires.

La seconde est que cette interdiction est le reflet du passé, passif et poussif, d’un homme de droite qui n’hésita jamais à flirter avec les extrêmes dès lors que des sujets de société (ou de police) étaient en jeu. Rappelons qu’il fut notamment l’un des plus zélés défenseurs du mouvement d’extrême-droite religieuse conservatrice de la « manif pour tous ».

La troisième explication, est que Gérald Darmanin a lu dans le titre d’une oeuvre jeunesse, une synthèse de sa dimension politique à l’échelle de la supposée taille de sa bite : toujours bien trop petite à son goût.

One More Thing.

Cette interdiction ne rime à rien mais elle est un message limpide envoyé à la f(r)ange la plus conservatrice de la société pour lui dire qu’il est toujours possible, à l’unisson de ce qu’un Bolloré et ses affidés éructent à longueur de temps d’antenne et de journaux, d’interdire un livre, jeunesse, en France, au 21ème siècle, simplement parce que l’on a le loisir de le faire. Et que c’est là une victoire politique qui se mesure à l’aune de l’assourdissant silence de la ministre de la culture, pourtant parfois si prompte à tweeter, ainsi que de l’ensemble de l’échiquier politique.

Achetez et commandez « Bien trop petit » de Manu Causse, achetez n’importe quel livre que vous souhaiterez de la collection Ardeur, ou d’autres. Achetez aussi « Tous à poil ». Achetez-les ou empruntez-le dans votre bibliothèque. Puis offrez-les, ou laissez-les traîner, à portée de main adolescente. Tout ce qui permettra de construire d’autres imaginaires sexuels, érotiques, corporels et pornographiques même, tout ce qui permettra de les éclairer d’autre chose que de la lumière glauque et tamisée de cloportes à la sexualité tricarde ou étriquée, est une avancée importante. Et tout ce qui vise à l’empêcher est une atteinte au droit fondamental de la jeunesse à l’émancipation et à la responsabilité des adultes de le leur garantir.

 

Le site Actualitté propose un article complet sur cette affaire et il est mis à jour en fonction des différentes prises de position des acteurs de la profession (unanimement scandalisés) et du monde politique (unanimement muets).

Un commentaire pour “Ce que Gérald Darmanin avait de bien trop petit.

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