Google a 25 ans. Et maintenant ?

27 Septembre 2023 (ou peut-être était-ce le 4 septembre). Google a 25 ans.

Avec quelques rares autres acteurs de l’écosystème numérique il accompagne nos vies dans une quotidienneté qui nous le rend à la fois totalement intime et totalement étranger.

Totalement intime car c’est encore et toujours à lui et à lui en premier que nous confions nos moindres doutes et nos moindres inquiétudes, dans l’espoir qu’il nous aide à les lever : parentalités, sociabilités, maladies, soucis des autres ou de soi-même, tout commence souvent par une requête, une question, un mot, une phrase déposée dans la virginale fente qui interface et intercède nos labiles babils.

Totalement étranger car dans l’usage trivial et coutumier que nous en avons, nous sommes assez peu à connaître la manière dont le moteur fonctionne réellement ou à s’y intéresser, et y compris quand nous le savons, nous l’oublions souvent le temps de l’usage.

Google est né en 1998. En 2002 je soutenais ma thèse (sur le sujet des liens hypertextes) et dès 2003 mes premiers articles de recherche et interventions en colloques tournaient autour … de Google. Selon deux axes, celui de la (fausse) sérendipité que venait illustrer son bouton « j’ai de la chance » et – surtout – autour de cette idée déjà très présente (et déjà très fausse) d’une « objectivité » du moteur de recherche que l’on confondait avec son efficacité. Avec mon camarade et co-auteur de l’époque, Gabriel Gallezot, nous avions identifié, expliqué et alerté dès 2003 sur le fait que les résultats de recherche de Google découlaient de choix certes mathématiques et statistiques mais qui ne leur ôtaient en rien leur caractère profondément humain et déterministe, et qui relevaient d’une forme d’éditorialisation nouvelle sur la forme mais très classique sur le fond.

Si l’histoire de Google est aussi fascinante par-delà l’omniprésence du moteur dans nos vies, c’est parce qu’elle agrège l’ensemble des problématiques et des enjeux qui fondent la totalité de l’écosystème numérique qui s’est construit depuis ces 25 dernières années. La plasticité de l’entreprise désormais nommée « Alphabet » est remarquable dans sa capacité d’être l’incarnation ou le reflet de l’ensemble des questions et des évolutions qui ont traversé et traversent encore nos vies numériques : surveillance, données personnelles, concurrence, favoritisme, mais aussi intelligence artificielle, lobbying politique et questions géopolitiques. Google a toujours été présent sur l’ensemble des sujets du champ numérique. Souvent avec succès, souvent aussi, même si ces histoires sont plus vite oubliées, avec de retentissants échecs (que l’on repense par exemple à la tentative d’imposer « son » réseau social Google+ ou aux Google Glass).

Je raconte souvent à mes étudiant.e.s l’histoire (vraie) d’une époque où personne y compris celles et ceux (dont j’étais) qui s’intéressaient au numérique et aux moteurs de recherche n’imaginait une seule seconde que l’on puisse faire mieux qu’AltaVista (qui était le Google de l’époque). Et en moins de 6 mois, Google allait pourtant éradiquer toute forme de concurrence. Lorsque je leur raconte cette histoire, je les avertis, autant que moi-même, qu’il ne faut jamais rien tenir pour certain dans les empires comme dans les emprises numériques.

La grande force de Google au regard des autres super-puissances du numérique établies ou en devenir (Facebook / Méta, Instagram, Twitter, mais aussi TikTok, Snapchat et consorts) c’est que la place qu’occupe son moteur (mais aussi des pans entiers de services comme par exemple YouTube) travaille sur la collecte et l’articulation d’extériorités (les contenus des pages web et des différents médias, sociaux ou non que le moteur indexe) pour offrir un service perçu et vécu comme un facilitateur et un vecteur d’intériorités (nos questions, interrogations, angoisses, curiosités diverses). A l’inverse de concurrents comme Facebook, Instagram et même Twitter qui eux, partent de la dimension sociale des interactions comme autant d’intériorités premières pour les tracer et les modeler à la lumière des extériorités qu’ils identifient comme autant d’aubaines pour monétiser leurs audiences. Le moteur Google est un aller-retour. Les autres super-puissances du numériques ne sont le plus souvent qu’autant d’allers simples. Google part de nous et il y revient, et dans l’entretemps de la requête ou de la recherche, quand elle n’est pas simplement la quête d’une pizzéria ouverte ou d’une pharmacie de garde, dans l’entretemps de la requête il peut se passer tant de choses.

Et puis avec Wikipédia, Google et les autres moteurs de recherche figurent et demeurent parmi les derniers environnements numériques où il n’est pas systématiquement obligatoire de « s’inscrire » et qui existent encore un peu autrement que par le seul biais d’une application. Naturellement cela ne l’exonère en rien de l’immensité des travers qui sont les siens dans ses ambitions constantes de, par exemple, tracer chacun de nos comportements. Mais Google reste, à l’âge de ses 25 ans, un acteur économique, social et politique toujours au contact de cet espace public qu’est fondamentalement le web. Il en est d’une certaine manière autant le prédateur que le précepteur. Et de là, peut-être, vient aussi l’explication de ce quart de siècle d’existence, qui jamais chez lui, ne précéda l’essence.

2 commentaires pour “Google a 25 ans. Et maintenant ?

  1. « il ne faut jamais rien tenir pour certain dans les empires comme dans les emprises numériques. »

    à quand la chute de la maison Alphabet-Google ? Beaucoup de personnes de mon entourage professionnel la pensaient inimaginable (« too big to fail » et autres mantras) . Depuis que twitter est zombifié, elles sont moins catégoriques. Pensez-vous que c’est possible ?

    1. @jbm : c’est l’histoire que je mentionne dans mon article et que je raconte à mes étudiant.e.s : il est impossible de répondre à votre question de manière certaine, mais il est certain qu’une chute est en effet possible 🙂 Ceci dit, la situation de ces entreprises n’est plus la même aujourd’hui qu’en 1998. Elles ont à la fois une trésorerie, une emprise et une (relative) diversification qui rend leur chute tout de même relativement improbable. Mais pas impossible.

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