Trois gigas par semaine. Oh Najat, y’a pas moyen Najat.

Trois gigas par semaine c’est sa peau contre ma peau et je suis avec elle. Alors voilà la dernière tribune qui agite le petit monde du web, tribune de Najat Vallaud-Belkacem dans le Figaro-Vox (déjà là rien ne va) et qui préconise donc de limiter la consommation de connexion à 3 gigas par semaine (quand je vous dis que rien ne va …) arguant du postulat qu’il y a, je cite, “une urgence numérique comme il y a une urgence climatique. Elle ne consiste pas à envoyer dans l’espace des satellites supplémentaires, mais à débrancher la prise, à éteindre nos écrans, et à commencer à revivre, enfin.

Voilà voilà voilà.

Le texte de Najat Vallaud-Belkacem est une ahurissante collection de poncifs et d’inexactitudes scientifiques (il n’y a pas “d’addiction” aux écrans), mais si l’on fait l’effort (coûteux) de les oublier pour se concentrer sur le constat qu’il prétend dresser, il devient alors (à peine un peu) moins caricatural que les extraits que l’on en voit circuler et se limitant à la seule mesure de limitation de connexion. Mesure dont elle indique elle-même qu’elle ne lui convient pas sur un plan individuel (“Nombreuses sont les voix qui vont s’élever contre cette proposition, à commencer par la nôtre, par la mienne, au fond de moi, au moment même où j’écris ces lignes“) mais qu’elle lui semble être l’occasion d’une réflexion (et d’une future possible décision) politique sur le sujet (le sujet étant celui de l’urgence à la surconsommation numérique).

Alors bien sûr non, limiter la connexion internet n’est pas une bonne idée. Oui c’est une forme de coercition totalement inaplicable et irrémédiablement dangereuse sur le plan des droits individuels comme des libertés publiques.

Par ailleurs je viens d’un monde – j’ai passé les 50 piges – dans lequel on connaissait les forfaits “à l’heure” pour accéder au web, et je mesure donc tout ce que les forfaits et accès “illimités” ont permis de libérer dans les usages singuliers comme collectifs.

Ceci étant posé on avance pleine balle vers un irrémédiable de communs négatifs qui ne nous exonèrent pas de considérer que le droit de chacun à disposer d’une connexion et d’un accès au web doit être défendu, soutenu et maintenu (d’autant qu’y compris en France nous n’y sommes pas encore et je ne vous parle pas d’autres régions du monde …). Je fais partie de celles et ceux qui militaient pour défendre un droit à la connexion dans la mesure où je pensais (et pense toujours) qu’il s’agit d’un droit fondamental de nos vies communes et que ne pas disposer de ce droit (qui devrait être opposable) constitue une entrave à notre insertion ou à notre inclusion dans la société. Mais dans ce même monde, se comporter en aveugles au regard de l’extractivisme totalement démesuré actuellement en vigueur dans l’ensemble de nos usages numériques ne semble pas davantage une position raisonnable ou tenable.

Alors quoi ? Alors oui la question de la consommation énergétique est centrale puisqu’elle impacte déjà dans des proportions alarmantes des ressources naturelles qui ne peuvent plus être allouées à des besoins sans conteste bien plus essentiels et parfois littéralement vitaux.

“Le” numérique est un construit social qu’il nous est encore difficile d’articuler autrement que par métaphore ou par réduction.

Soit on le réduit à la connexion : ce que l’on fit tout le temps de son déploiement et de sa massification à l’époque où la seule comparaison était celle des “autoroutes de l’information”.

Soit on le vaporise à l’aune de métaphores sur la pollution (informationnelle), sur la fatigue (informationnelle encore), sur l’obésité (informationnelle toujours). Et à bien y réfléchir, de métaphore en métaphore, nous sommes de plus en plus capables (et c’est tant mieux) de penser les “effets” du numérique (sur notre santé, mentale ou physique par sédentarité, sur les nouveaux régimes médiatiques qu’il inaugure, etc.) mais de moins en moins capables d’en dessiner les causes politiques.

Pollution, obésité, fatigue … autant de problèmes de santé publique. Le numérique réduit à la part métaphorique de ses effets dans la société doit donc également être une histoire de santé publique. Mais même là et comme quelqu’un l’écrivait dans le Fédivers : “Sa proposition [de limiter à 3 Go par semaine] reviendrait à dire qu’on va régler les problèmes de santé et d’environnement liés à l’alimentation en limitant la quantité de bouffe à 5kg par semaine.

On voit bien qu’en filant les métaphores jusqu’au bout ce n’est pas le numérique qui produit de la fatigue mais que la fatigue est produite par des rythmes sociaux intriqués avec des routines informationnelles (qui empruntent pour partie, mais pour partie seulement, des chemins numériques). On voit bien que ce n’est pas le numérique qui produit de l’obésité mais des règles de marché biface dans lesquels la satisfaction des annonceurs passe par la polarisation des informations exposées pour autant qu’elle permettent d’alimenter des interactions les plus continues possibles. On voit bien que ce n’est pas le numérique qui produit de la pollution mais des règles de production et commerce international totalement oublieuses d’intérêts autres que purement marchands.

Bref.

Ce. N’est. Pas. La. Faute. Des. Gens. Bordel.

(ce n’est pas non plus la faute des réseaux sociaux (ni des écrans) quand un policier tire à bout portant sur un jeune et que d’autres jeunes ne trouvent pas ça normal, bisous Manu).

Ce qui implique qu’on ne règlera aucun problème par des mesures punitives ou coercitives centrées sur la capacité de connexion. Bien au contraire.

Le problème, le grand problème, c’est que chaque acteur clé d’une régulation possible “du” numérique tient une position ambivalente, à commencer par l’État qui se pignole de vidéo-surveillance et se shoote aux drones tout en continuant de penser la fracture numérique en termes d’équipement (ordinateurs et tablettes) pour mieux s’exonérer de remplir sa part d’un contrat social dans lequel le devoir de mettre à disposition (des services publics notamment) s’est réduit à la possibilité de mettre à distance (mise à distance le plus souvent médiée par des acteurs qui n’ont plus grand chose de public).

Indéniablement pourtant, et c’est là le (seul) point sur lequel Najat Vallaud-Belkacem à raison, il faudra que des choses changent. Même si à titre personnel j’ai l’intime conviction que d’autres urgences vont faire de nos pollutions, obésités, fatigues et autres fractures numériques des problèmes tout à fait anecdotiques au regard des effondrements qui se profilent (climat, migrations, alimentation, accès à l’eau), il nous faut, pour le numérique aussi, nous inscrire dans des routines qui ont davantage à voir avec la frugalité qu’avec l’abondance, avec la retenue qu’avec le flux continu, avec l’interopérabilité qu’avec la multimodalité, avec la low-tech qu’avec la high-tech.

La tribune de Najat Vallaud Belkacem s’intitule “Libérons-nous des écrans, rationnons internet !” Cela n’a aucun sens et nous ramène aux délires d’un Denis Olivennes à l’époque où en chantre de la version 1 d’Hadopi il préconisait la castration numérique pour ses vertus éducatives. Rationner internet, bah non.

Il serait par contre tout à fait urgent et nécessaire de rationnaliser les infrastructures techniques qui rendent l’accès à internet possible. Et de bâtir un projet politique dans lequel cette rationnalité ne soit pas centrée sur les pratiques individuelles fussent-elles massives, mais où elle permette au contraire de cibler les grands opérateurs industriels (dont les Gafam) dont l’irrationnalité extractiviste assumée à court comme à moyen terme concourt à l’effondrement du monde tel que nous le connaissons.

Allez. C’est pas passé loin. Et pour le reste, Oh Najat, y’a pas moyen Najat.

2 commentaires pour “Trois gigas par semaine. Oh Najat, y’a pas moyen Najat.

  1. ‘LLo again,
    Yep, cher maitre, mais la rationnalité devrait être la fille naturelle de la lucidité, n’est-il pas ?
    & pour paraphraser (c’est plus fort que moi) un petit gros décisif du siècle dernier; “vous aviez le choix entre la croissance & la sobrièté (numérique), vous avez choisi la croissance & vous aurez…”
    3 milliards de Bytes/octets par semaine (on dirait presque du Indochine, pfuuu..! ;-))

  2. Les limitations sur l’usage d’internet existent déjà pour les pauvres et les handis.
    Si je veux avoir le tarif social internet (ici en Belgique), ma consommation sera limitée a 150 Go par mois. Les gens qui ont le malheur d’être ce qu’iels sont, sont puni-es en leur limitant l’accès a Internet, dans un monde où il est devenu omniprésent pour plein de choses.
    Le message délivré est celui là : pauvre ou/et handi, tu seras exclu-es de la norme et tu n’as pas le droit d’avoir Internet à des fins de loisirs (ce qu’il est souvent considéré par les gens qui pondent ces lois stupides).
    C’est une ineptie lorsqu’on te demande d’être présent sur internet (pour chercher du travail par exemple ou remplir des documents administratifs), mais tout en t’excluant et en mettant des bâtons dans les roues.
    Tout en tenant le discours que les personnes handies doivent trouver un travail dans cette logique de : tu dois bosser et être utile a la société pour vivre. Mais tout en les excluant parce que pas assez productive par rapport aux valides.
    Si tu obtient un travail tu ne rentre plus dans le cadre du tarif social (sauf si tu as un handicap mais s’il est pas assez lourd tu n’y a pas droit non plus), donc tu as le droit de payer internet comme tout le monde pour accéder au loisir.
    Les personnes au chômage n’ont pas le droit d’avoir de loisirs, de voir des films en VOD, ect…
    On se fait des idées de l’usage d’Internet de par un regard de valide (ou par une vision méritocratique), on ne va jamais aller chercher plus loin, ni analyser plus loin quel impact sur les autres publics.
    Bref, pour les dominants, c’est toujours la faute des gens.

    Au fait, je suis en plein dans la lecture de votre livre l’appétit des géants, il est vraiment super.

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