Coercition de l’intime. De Viry-Châtillon à Gaza. Sans retour.

C’est un régime de dissymétrie. Qui assomme.

D’un côté la volonté de constater en le regrettant la régulation impossible de la parole intime par le politique (et heureusement) à l’échelle des “réseaux sociaux” (au mieux) ou “des écrans” (au pire).

De l’autre la volonté d’acter la régulation possible (mais ô combien dangereuse) de la parole politique par l’intime : faire convoquer par la police judiciaire, des syndicalistes, des militants, puis des représentant.e.s élu.e.s de la nation pour apologie du terrorisme là où il n’y a que l’expression d’une ligne politique (discutable au même titre que d’autres).

De fait divers sordides en dérives autoritaires hallucinantes, c’est une même tentative d’une coercition de l’intime, soit pour exonérer le politique de ses responsabilités, soit pour qu’il s’octroie un régime d’arbitraire visant à faire taire toute opposition.

Je parle ici des discours que l’on entend et des mises en scènes que l’on nous impose : le discours de Sabrina Agresti-Roubache expliquant que les enfants (certains en tout cas …) n’auraient pas de vie privée et donc fouillons dans leurs téléphones, la mise en scène pathétique d’Attal dans son internat pour élèves difficiles et ses déclarations sur l’inscription dans Parcoursup des “fauteurs de troubles” ou encore le collège comme punition de 8h à 18h, surveiller et punir, et bien avant cela depuis longtemps déjà les déclarations d’Emmanuel Macron sur la responsabilité des réseaux sociaux dans les émeutes urbaines ou dans la violence des jeunes.

A chaque fait divers dramatique, le rôle donc “des écrans” ou “des réseaux” est convoqué non pour ce qu’il est (c’est à dire un facteur parmi d’autres mais jamais une causalité simple) mais pour ce qu’il permet de taire (l’effondrement des politiques publiques de l’accompagnement des mineurs en général, à commencer par celles et ceux qui traversent les situations les plus difficiles). Si l’on parvient à faire oublier la carence coupable et délibérée de l’Etat, il ne restera alors que la faute “des familles” en général, “des familles dysfonctionnelles” en particulier (comprendre pour un certain électorat, des familles dysfonctionnelles parce qu’issues de l’immigration), et puis donc faute de mieux, la faute “des réseaux” et “des écrans“. Au motif de quoi il faudrait donc réguler cet intime. Au point d’affirmer sans fard que les enfants n’ont pas de vie privée et qu’ils sont avant tout des mineurs et que “s’en occuper” c’est s’arroger le droit, le devoir même, d’aller fouiller dans leurs téléphones portables. Et qu’allez donc, une bonne fessée n’a jamais fait de mal à personne. Discours d’une classe politique qui ne s’embarrasse même plus de la capacité de discernement qui lui permettrait pourtant de voir qu’elle ne parle que d’elle-même, pour elle-même, en elle-même.

Et puis en miroir, la même classe politique gouvernante qui n’affronte plus ses oppositions sur le terrain de l’argumentation mais sur celui de la convocation (policière).

Et l’alignement d’une chambre d’écho médiatique qui se délite un peu plus à chaque fois qu’elle se délecte. Trop heureuse de taper sur “les écrans” et “les réseaux sociaux” parce qu’elle a l’assurance qu’elle bénéficiera d’un retour sur dénigrement comme d’un mirifique retour sur investissement. Trop heureuse aussi d’articuler le débat public et politique sur une ligne d’affrontement où l’on convoque des élu.e.s (ou des humoristes hier encore) pour les faire taire tout en jouissant pleinement de l’audience facile de clivages artificiels et délétères et de leurs commentaires, et des commentaires de leurs commentaires. Ad Nauseam. C’est à dire en mobilisant exactement les mêmes biais, les mêmes errances et les mêmes hypocrisies sordides que celles de ces “réseaux sociaux” qu’ils sont pourtant si prompts à condamner.

Je pense, oui, que derrière le spectacle médiatique qui se donne à lire aujourd’hui, de Viry-Châtillon à Gaza, de la convocation de Guillaume Meurice à celle de Mathilde Panot, de Rima Hassan ou d’Olivier Cuzon, c’est une dérive inquiétante parce que tout sauf inédite, qui se donne à lire dans la tentative du pouvoir politique d’agir et d’interférer sur l’intime de la parole d’une part, et sur l’intime de la conviction d’autre part. Stratégie du Lawfare certes, mais pas uniquement.

Il ne s’agit pas bien sûr d’un équivalence stricte. Affirmer que la vie privée des mineurs est accessoire et que les parents doivent fouiller dans les téléphones portables de leurs enfants, n’est pas à mettre sur le même plan que le fait de convoquer des élu.e.s de la nation pour apologie du terrorisme parce qu’elles critiquent la politique criminelle du gouvernement Israélien et du Nazi sans prépuce (on a le droit).

Mais cela dessine un horizon. Et chaque fois que le politique s’attaque à l’intime, de la parole ou des convictions, chaque fois qu’il projette de légiférer sur la sphère privée (qu’il s’agisse de priver d’écrans les adolescents ou d’allocations les familles), chaque fois qu’il s’invite d’autorité pour prétendre imposer les temporalités (d’écran ou d’autre chose) à appliquer dans chaque foyer, chaque fois que le commissariat se substitue à l’espace des débats aux assemblées élues, chaque fois qu’un pouvoir politique prétend condamner non pas le fait d’avoir dit telle ou telle chose mais le fait de ne pas avoir dit (ce qu’il aurait voulu entendre), chaque fois cela finit mal. Et c’est très exactement le point où nous en sommes. Avec “en prime” si l’on peut dire, la particularité de s’attaquer simultanément à la jeunesse, aux humoristes et aux élu.e.s et militants syndicaux, c’est à dire à l’ensemble des espaces de contestation légitimes en démocratie. Hat Trick, à coups de trique.

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