“Des mots morts.” Et plus tard “vos mots sont des mots morts.” Voilà ce que François Ruffin dit hier soir en réponse à François Bayrou, mais cela aurait pu être à n’importe quel autre élu tant, en effet, leurs mots sont des mots morts.
Dans l’évidence d’une démocratie déjà tant naufragée mais pas encore totalement échouée, toutes et tous acculés dans le dernier coup de rein de la start-up nation dissolution, leurs mots à toutes et tous hier soir étaient des mots morts.
Au plus profond de ce vote RN qui est désormais un vote d’adhésion au moins autant que de rejet, et qui touche absolument toutes les générations et toutes les catégories socio-professionnelles en l’emportant dans la plupart des cas, il y a ces mots morts.
Les mots morts de la vingtaine de 49.3 qui taisent tout débat ou tout vote ;
les mots morts de politiques publiques que l’on annonce sociales et qui accablent toujours les plus faibles, des retraites à l’assurance chômage ;
les mots morts adressés à une jeunesse qui n’emmerde plus complètement le Rassemblement National parce qu’on ne lui propose que la pantomime du SNU comme engagement, que le déterminisme algorithme de Parcoursup comme horizon, et que la possibilité de faire la queue dans des distributions alimentaires comme projet de vie ;
les mots morts et décomposés de discours politiques qui n’ont de sincère que la fatuité ou l’égo de celles et ceux qui les prononcent ;
les mots morts du refus de nommer les choses pour ce qu’elles sont, des violences policières d’hier au génocide en cours à Gaza aujourd’hui ;
les mots morts des cahiers de doléances d’après le mouvement des Gilets Jaunes ;
les mots morts du néo-management des hôpitaux, des universités, et d’à peu près tout ce que le pays compte de services publics ;
les mots morts d’un cadre législatif plaçant les libertés publiques en soins palliatifs et laissant entrevoir les pires des dérives pour celles et ceux des nouveaux élu.e.s qui voudront y porter l’estocade.
Après les mots morts viennent les mots noirs. Ceux de partis et d’alliances qui, dans les pays où ils sont au pouvoir ou dans lesquels ils le partagent, font systématiquement reculer l’ensemble des droits et des libertés.
Comme beaucoup probablement hier soir et cette nuit, j’ai réfléchi à ce que pourrait être la France avec le Rassemblement National à Matignon et un gouvernement à son image. Cet impensable devenu probable et désormais simplement possible. J’ai d’abord pensé égoïstement au cadre de travail qui est le mien, celui de l’université, et cette “phase 2” de l’autonomie dont on voit bien à quel point et entre ces mains elle serait un irrévocable où finiraient de sauter le peu de digues restantes, c’est à dire la vocation universaliste de nos formations et de notre accueil, la gratuité (déjà passablement entamée) de l’accès à l’université, et ainsi de suite. Et tous nos mots bien vivants, toutes nos paroles incarnées, criantes, vibrantes, tonitruantes, mobilisantes, depuis déjà tant et tant d’année, en face desquelles à chaque fois, à chaque voix, on n’opposa que les mêmes mots morts.
Ce à quoi nous avons assisté en direct hier, c’est le cycle final d’une politique qui est essentiellement une nécropolitique. Chirac en son temps avait fait campagne sur la fracture sociale.
Aujourd’hui cette fracture est une nécrose. Les tissus morts de la société, ces tissus associatifs, syndicaux, militants, et même politiques pour ce qu’il en restait d’idéal, apparaissent totalement nécrosés à force de mépris et d’épuisement. Flingués par ces mots morts.
Puissions-nous avoir l’intelligence d’opposer à cette nécropolitique un nouveau cycle vital à bâtir et à incarner. Dans la litanie des plateaux télé d’hier, entrée fade, plat triste, dessert morne, la seule étincelle de vie et de lendemain est venue de celui qui a posé lucidement le diagnostic de ces mots morts.
Et d’appeler à un rassemblement sous une seule bannière : front populaire. Et pour le reste : mangez vos (mots) morts.
Vous êtes un phare dans la tempête. Merci pour vos articles qui sont si justes et si éclairant. Notre futur paraît bien noir et les gens comme vous son mon espoir.
Bonne soirée.