Bouger vite et casser des trucs. Dissolution de la Start-Up Nation.

Vos mots sont des mots morts” disait François Ruffin au soir de l’annonce de la dissolution. C’était il y a déjà une éternité. Depuis, les mots n’ont pas cessé. Les mots saturent tous nos espaces, politiques, médiatiques, intra-familiaux, professionnels. Et quand il n’y a pas de mots, c’est encore pire parce l’on entend ceux qui sont tus, imprononcés par toutes celles et ceux qui trop longtemps ont fait silence sous les poids de la contrainte, de la colère, de la misère, ou de la peine. Et tant de fois d’un peu ou de beaucoup des quatre à la fois.

Ça marche les mots. Il n’y a que ça qui marche d’ailleurs. Pour creuser des plaies ou pour les suturer. Depuis tant d’années tant de mots, d’éditos, d’oripeaux, de vocaux pour dire la banalisation du front, la banalité du mal, la normalisation d’Overton. Ça marche les mots. Et comme tout ce qui marche, les mots s’arrêtent aussi et se cassent la gueule parfois. Et se retournent et avec eux le réel. Les chasseurs de nazis votent pour le parti fondé par des anciens Waffen-SS. Les aveuglements sont des apeurements. Ils l’ont toujours été.

Dissolution. Onze lettres. Un seul mot. Et le chaos. Qui vient. Qui ne sera peut-être pas celui du bruit et de la fureur. Mais qui sera certainement, et c’est peut-être pire, le chaos de l’habitude. L’habitude de ces nouveaux mots, qui désignent de nouveaux étrangers, étrangers à la liberté, étrangers à l’égalité, étrangers à la fraternité. L’habitude de ces nouveau mots qui se font écho d’un château l’autre, d’une frontière la suivante, en Europe et ailleurs. L’habitude d’un déclassement. L’habitude d’un délaissement. Qui suppure et que plus rien ne suture sinon la désignation d’un autre ou d’une haine, d’une autre haine.

La synagogue et la synecdoque. On cherche souvent un concept qui puisse éclairer les faits et les effets de réel que l’on observe ou que l’on subit. A l’échelle de la progression programmatique et médiatique de l’extrême-droite, la fenêtre d’Overton est ce concept principal. A regarder maintenant ce qui se débat dans l’espace de la parole publique politique, je suis frappé par l’importance actualisée d’une vieille figure rhétorique, celle de la synecdoque. La partie prise pour le tout. A chaque coin de discours, à chaque horizon de pensée, à chaque angle de média, il y a cette partie prise pour le tout. Dans un langage déjà mis à l’envers, dans une langue où l’inversion est devenue la première stratégie de diversion, il faut à moindre prix et à tout coût, jeter en pâture aux regards, les parties que l’on veut faire prendre pour le tout. La partie prise pour le tout c’est par exemple Mélenchon qui serait à lui seul toute La France Insoumise et La France Insoumise qui serait à elle seule le Nouveau Front Populaire. Et comme Mélenchon serait antisémite dans un pays où les chasseurs de nazis voteraient Rassemblement National, alors l’antisémitisme serait à lui seul tout le racisme. Un collègue écrivait récemment : “Comme je leur en veux de m’avoir fait retrouver un temps des peurs d’enfant, d’adolescent, de jeune adulte : changer de trottoir en les croisant, de crainte qu’ils ne le fassent eux-mêmes, interpréter chacun de leurs regards négativement, etc. Le poids de la honte d’être arabe.

Il nous faut refaire langage à l’endroit. A l’endroit d’où nous sommes. Et d’où parlent ces voix que tant de partis n’entendent plus parce qu’ils ne sont pas de ces endroits, ou parce qu’ils tordent le langage de ces voix à l’envers pour servir leurs intérêts circonstanciels.

“Move Fast and Break Things.” Bouger rapidement et tout casser. Tel fut longtemps le mantra de Facebook et de Zuckerberg valant modèle pour toute une vallée de silicone.

Le président de la dissolution fut aussi, et pendant longtemps, celui de la start-up nation (et accessoirement déjà un vieux con).

Dans sa posture comme dans sa politique, il y a toujours eu beaucoup de cela. “Move Fast and Break Things.” Bouger vite et casser des trucs. En politique cela s’appelle un 49.3. La dissolution c’est la confirmation du Macron de la vallée du silicium et de l’état-plateforme.

L’écrivain Cory Doctorow, au sujet de l’évolution des grandes plateformes numériques, parle d’un processus d’emmerdification (“enshitification”). A bien des égards cette théorie éclaire et s’applique à l’emmerdissolution politique en cours. Dans laquelle il nous faudra encore avaler quelques tartines de merde bien épaisses.

Alors à nos enfants (je suis père), à nos étudiant.e.s (je suis enseignant), et aux gens (je suis militant), que reste-t-il à dire et à écrire ? Il y a déjà tant d’injonctions. À agir, à voter, à manifester, à résister, à s’indigner. Indignez-vous.

Je crois que nous n’avons pas le choix. J’ai l’absolue certitude qu’indépendamment de toute forme de circonstance politique, nous allons vers des formes d’effondrements et de drames, climatiques notamment. Mais j’ai une autre absolue certitude : c’est que les circonstances politiques sont d’importance capitale dans la temporalité de ces fracas, car elles et elles seules peuvent les ralentir ou les précipiter ; et que les circonstances politiques sont aussi d’importance capitale dans les réparations de dégâts qui sont irrémédiables, parce qu’elles et elles seules les rendront soit possibles soit impossibles. Le monde que nous avons construit, laissé, bâti, démoli, légué, régulé, dérégulé, est un monde dans lequel il n’est plus que deux scénarios possibles : soit la rivalité des égoïsmes, soit la trivialité des humanismes.

Des pans entiers de la planète suffoquent à plus de 50 degrés, d’autres régions brûlent entièrement à feu continu pendant des semaines et des mois, des pays basculent dans des formes de brutalité et de violence qui seraient inédites si elles ne rappelaient pas des jours sombres. Trump, Bolsonaro, Milei, des députés qui il y a quelques jours en Italie en viennent aux mains, partout des partis d’extrême-droite qui s’installent, des manifestations néo-fascistes en plein Paris, des ratonnades à Lyon, des chasseurs de nazis, descendants de déportés, qui appellent à voter pour un parti créé par des Waffen-SS en le qualifiant de “pro-juif”. Les plus grandes et les plus peuplées des nations, la Chine, l’Inde, la Russie, aux mains de nationalistes fous. La guerre en Europe qui revient, Viktor Orban à la présidence de l’UE, et peut-être dimanche, une extrême-droite au pouvoir, en France. La politique ne peut pas tout, mais elle n’est pas là pour rien. Et quoi qu’il arrive, et quoi qu’il nous arrive, nous y serons pour quelque chose car nous ne sommes pas rien ; nous sommes de la dynamite.

On luttera. On s’engagera. On n’acceptera jamais. Jamais. Ce soir c’est le plomb mais nous sommes déjà demain. Ils voulaient le renoncement. Ils espèrent l’affrontement. Ils n’auront que notre engagement. Total et permanent, absolu et radical.

 

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