Christelle Morançais est la présidente de la région Pays de la Loire. C’est une femme de droite et c’est son droit (plutôt genre très à droite et cela l’est tout autant). Et la région, par la voix de sa présidente, a annoncé une coupe budgétaire tout à fait inédite et ahurissante puisque c’est près de 75% du budget dévolu à la culture et à l’action culturelle qui va être purement et simplement … supprimé. Des crédits qui avaient jusqu’aux dernière semaines, été actés et donc prévus et budgétisés par les acteurs culturels et associations qui avaient sollicité ces financements. Et puis là tout d’un coup : bah 3/4 des budgets annulés.
On connaissait les « cost-killers », on accueille dans la dreamteam des dépeceurs du bien public la Culture Killeuse Christelle Morançais. Là où cela devient (au choix) savoureux ou révoltant, c’est que les économies demandées par l’État à la présidente de Région étaient de l’ordre de 40 millions d’euros (ce qui est déjà colossal). Mais Christelle Morançais n’allait pas s’arrêter en si bon chemin, et elle ajoute donc, de sa propre initiative, une tranche qui fait monter ces économies à 100 millions. Le résultat parmi les « centres de coût » qui vont le plus morfler, c’est donc 75% des fonds alloués à la culture qui seront supprimés dans le budget qui sera voté en Décembre.
Et Christelle Morançais assume. Et Christelle Morançais en est même fière. Et Christelle Morançais s’affiche partout où elle le peut (presse, Twitter, LinkedIn) avec l’argumentaire suivant :
Certains à gauche (ce qui est naturel) et dans la presse (ce qui l’est moins) assimilent les économies que la Région envisage de réaliser – de l’ordre de 100 millions d’euros – à un « choix » ou une « initiative », faisant croire que je me livrerais à une sorte de caprice gestionnaire…
Ceux-là s’acharnent à ne pas vouloir voir la réalité : la situation budgétaire de la France est catastrophique et les perspectives économiques mauvaises.
Dans ce contexte, alors que le Gouvernement ponctionne les collectivités (40 millions sur la Région en 2025) et que la croissance ralentit (et donc que les recettes de la Région, assises sur la TVA, reculent brutalement), faire des économies de fonctionnement, y compris de façon drastique, relève de tout sauf d’un choix ou d’un caprice : c’est une nécessité budgétaire, mais surtout un devoir moral vis-à-vis de nos enfants, de notre capacité à préparer l’avenir et de nos entreprises qui sont, aujourd’hui, en difficultés !
Le seul véritable choix que j’exerce dans cette affaire, et que j’exerce à fond, c’est d’assumer totalement ces économies, de refuser catégoriquement le discours ambiant, où il n’est question que d’augmenter les recettes (donc les impôts), et de voir l’opportunité de nous battre pour être plus efficaces là où nous sommes le plus légitimes et le plus utiles : pour l’emploi, la jeunesse, les transitions.
Ok. Hold My Beer. Deux jours avant cette déclaration, toujours sur ses différents comptes en ligne, la même Christelle Morançais ne s’embarrassait pas de nuances en pointant ces associations « très politisées qui vivent d’argent public » et autres militants islamo-gauchisto-wokistophiles (ah bah c’est vrai que tout le monde ne peut pas militer et soutenir la Manif pour Tous, même si elle dit « avoir évolué sur ces questions » du mariage pour tous et de la PMA, faut croire que comme tant d’autres qui ont aussi « évolué » elle devait avoir piscine quand dans ces manifs des débiles en prière invoquaient Dieu pour tuer des PD).
La culture serait donc un monopole intouchable ? Le monopole d’associations très politisées, qui vivent d’argent public. Je suis la cible de militants qui m’accusent de vouloir arrêter les subventions régionales à leurs structures. A moi seule, je voudrais « détruire la culture » (la culture subventionnée, je précise) … Rien que ça ! Mais je m’interroge : quelle est la pérennité d’un système qui, pour exister, est à ce point dépendant de l’argent public (y compris venant de collectivités dont les compétences légales en matière de culture sont très limitées) ; et à plus forte raison quand cet argent public n’existe plus ? Un système dont on constate, en plus, qu’il est, malgré les subventions dont il bénéficie, en crise permanente ! N’est-ce pas la preuve que notre modèle culturel doit d’urgence se réinventer ? Attention : poser la question, c’est s’exposer à l’habituel procès en « fascisme » ou, c’est à la mode actuellement, en « trumpisme »… Mais j’assume, et cette question, je la pose clairement !
Avec l’ouverture d’esprit d’une porte fermée et la capacité au dialogue d’un mollusque mort, la place laissée au débat se résume donc à un procès en accusation de Trumpisme ou de fascisme si l’on à l’outrecuidance d’interroger ou de contester la mise à sac programmatique de toute la politique culturelle d’une région. Et l’on est aussi prié d’inventer un modèle dans lequel la culture serait rentable (alors du coup ça existe, ça s’appelle par exemple le théâtre privé, mais si on ne garde que la partie rentable de l’offre culturelle, bah en effet c’est pas exclu qu’on finisse Trumpisés ou fascistoïdes), et dont on voit bien qu’après la culture, Christelle Morançais aimerait bien aussi que l’école soit rentable, et l’université aussi, et puis l’hôpital tant qu’à faire, et tout un tas d’autres trucs que l’on nomme « communs » ou « services publics » mais qui n’ont pas la délicatesse de fonctionner sur le modèle des agences immobilières qu’elle a fondé et dirigé avec son mari avant de faire de la politique. Notez que moi j’ai rien contre les agents immobiliers, mais faudrait pas qu’elle se mette à avoir avec la culture la même relation que Stéphane Plaza a avec ses compagnes.
On peut penser ce qu’on veut du choix de la Région, de celui de sa présidente, et de l’orientation politique qui le sous-tend, le résultat palpable et concret c’est une mise à mort de la quasi-totalité de la politique d’action culturelle mise en oeuvre (et financée) à cette échelle. Une nécro-politique assumée. Les 3/4 des subventions et aides régionales disparaissant, on a aussi une bonne idée du type d’actions qui continueront d’être financées dans le quart restant (un indice ici) et qui ne manqueront pas de valoriser la part culturelle (ou cultuelle) si chère à la droite conservatrice dont elle est l’une des égéries, dans le sillage d’un Bruno Retailleau dont elle a récupéré le portefeuille lorsque celui-ci s’est fait gauler en flagrant délit de cumul de mandats. La région des pays de la Loire s’est d’ailleurs fait une sorte de spécialité de nommer à la culture des élues passées par un soutien plus qu’actif à la Manif pour Tous, dont par exemple Laurence Garnier qui oeuvra à ce portefeuille pendant 5 années, 5 années qui furent, pour les associations de lutte contre les discriminations, un pur enfer.
Mettre à mort de la sorte un secteur culturel dans son ensemble, le faire aussi brutalement et sans aucun espace de négociation, assumer l’effet domino que cela va produire (les départements et agglomérations, eux aussi soumis à de très fortes contraintes, n’attendaient que le désengagement de la Région pour annoncer à leur tour que « bon bah si la Région ne finance pas, on ne pourra pas financer non plus« ), et le faire avec le cynisme et la posture victimaire qui est celle de Christelle Morançais appelle a minima à une réaction nourrie et qui devrait s’étendre bien au-delà du secteur dit « culturel ». Ces gens n’ont honte de rien et il est évident que fracasser ainsi la politique culturelle dans une région est une politique de terre brûlée scrutée de près par l’ensemble des autres présidents et présidentes de région du même bord que Christelle Morançais (donc également très à droite).
Mais revenons un instant à ses éléments de langage et à la conclusion de sa pathétique homélie. Il s’agirait donc de faire sauter les 3/4 du budget de la culture pour, je cite et souligne « être plus efficaces là où nous sommes le plus légitimes et le plus utiles : pour l’emploi, la jeunesse, les transitions. »
Et là je dis : « Pardon mais mange Tes Morts Christelle, mange bien tes morts Christelle Mange tes Morançais. » Car il faut en conclure que dans l’univers mental ou la vision politique de Christelle Morançais, primo, la culture ne produirait donc aucun emploi, ce qui est tout à la fois très très con et très très faux ; que, deuxio, la culture serait inutile à la jeunesse, ce qui est encore plus con et encore plus faux si tant est que cela soit possible ; et enfin, tertio, que la culture ne permettrait de penser aucune transition (sociale, démographique, écologique, économique, etc.) ce qui atteint un niveau de connerie en face duquel la moindre émission de Cyril Hanouna ressemble à un cours du Collège de France sur les chevaliers paysans de l’an Mil au lac de Paladru.
Par-delà ce qui est donc clairement tout autant un programme qu’un naufrage idéologique et politique, quel dommage de n’avoir même pas le courage d’être simplement cynique et de patauger à ce point dans une telle pathétique insincérité.
Mais je veux aussi souligner en tant qu’universitaire islamo-gauchisto-wokisé, que le choix de Christelle Morançais de mettre à mort le secteur culturel à l’échelle de la région des Pays de la Loire aura bien sûr des impacts forts et massifs sur l’ensemble des étudiantes et étudiantes que nous formons et diplômons dans les universités et écoles (publiques ou privées) du territoire. Car ces structures culturelles, ces actions culturelles, nos étudiantes et nos étudiants vont s’y former lors de leurs stages ou de leurs alternances, ils et elles en sont aussi les acteurs et les actrices et les chevilles ouvrières. Beaucoup des responsables de ces structures sont d’ailleurs également des intervenantes et intervenants qui viennent irriguer nos cursus de formation en y apportant à la fois leur témoignage métier et leur expertise. Et puis je veux dire à Christelle Morançais, qu’il n’est pas un seul mois, pas une seule année où, à l’occasion de ces stages, de ces alternances, de ces interventions en cours, de ces passages dans des festivals, des scènes et des salles culturelles, pas une seule année ou un seul mois où nous n’avons d’étudiantes et d’étudiants qui ne bâtissent leur parcours professionnel mais aussi leur parcours de vie de manière sensible, curieuse, ouverte. Et que c’est bien là le travail d’une région et des impôts et taxes qu’elle lève ou perçoit que de permettre aussi cela.
On sait à quel point la culture et l’action culturelle sont plus que d’autres des secteurs en effet fragiles, parce qu’en effet pas toujours « rentables », d’où l’importance de les soutenir par des financements pérennes et qui leur laissent le temps d’éclore, de mûrir et de faire fructifier cet impalpable qui est un essentiel pour construire des citoyens et des citoyennes. Le mettre ainsi cyniquement à mort c’est abattre bien plus qu’un secteur « culturel », c’est aussi priver la jeunesse d’outils, de scénarii et de perspectives pour lui permettre d’imaginer ces fameuses « transitions » que Christelle Morançais semble avoir oublié dans l’instauration de ce nouveau comité de la hache où elle s’attribue à la fois et avec une morbide jubilation le rôle du juge et du bourreau.
Par ailleurs, et puisque l’argumentaire de la présidente de Région fait état de « compétences légales des régions très limitées en matière de culture » (ce qui n’est pas inexact), il faut lui rappeler que les lycées sont, par contre, de plein droit dans le périmètre desdites « compétences légales de la Région. » Et que les lycéens et les lycéennes seront les premiers à souffrir de cette mise à mort de la culture qui là aussi, était un levier majeur de l’ensemble des actions pédagogiques mises en oeuvre dans ces établissements.
Il faut aussi rappeler à Christelle Morançais qu’à côté des ouvriers de Michelin et de tant d’autres qui prennent actuellement des charettes de licenciement dans la gueule, qu’à côté du monde paysan qui s’enfonce dans la misère des sillons de nos champs de subsistance, il y a aussi des ouvriers et des paysans de la culture, ce sont des techniciens, des régisseurs, des médiateurs et médiatrices, tout un tas de gens qui ne valent ni mieux ni moins que les ouvriers et que les paysans, tout un tas de gens que le choix de Christelle Morançais de supprimer les 3/4 du budget alloué à la culture va plonger dans la même misère, dans la même détresse, dans le même cauchemar que vivent leurs camarades ouvriers et paysans.
Quand la culture recule, quand sa légitimité comme service public est remise en cause, quand elle devient l’objet et le sujet d’une guerre culturelle se parant des atours d’une « efficacité » ou d’un « manque de choix », à chaque fois que l’on nous dit « qu’il n’y a pas d’autre alternative » en nous renvoyant à un dialogue impossible entre celles et ceux que l’on accuse d’islamo-gauchisto-wokisme et celles et ceux qui se verraient accusés de fascisme ou de Trumpisme en retour, on cesse de faire de la politique pour n’être plus que le masque sordide et laid d’un projet de société mortifère. On devient la politique de Christelle Morançais.
« La prière » écrivait le philosophe Alain, « c’est quand la nuit vient sur la pensée. » Les coupes budgétaires portées par Christelle Morançais augurent d’une nuit noire dont chacune et chacun aura a souffrir. A commencer par la jeunesse.
(Bruno et François, les parrains de l’ascension politique de Christelle Morançais, ceci expliquant aussi un peu cela)