Nantes Université : et s’il n’y avait pas de rentrée pour le pôle sociétés ?

Indépendamment du mouvement social en cours autour des retraites, Nantes Université traverse l’une des crises les plus graves depuis que j’y suis arrivé, c’est à dire depuis maintenant presque 18 ans. Et cette crise est malheureusement aussi révélatrice qu’emblématique de l’état général de l’université publique française et de la souffrance de ses personnels. L’illustration de cette crise c’est l’Assemblés Générale qui s’est tenue vendredi après les récents épisodes ayant touché d’abord la faculté de droit, puis l’IAE, puis désormais l’ensemble du pôle « sociétés » de Nantes Université (qui représente 8000 étudiant.e.s et 400 personnels).

Un pôle réuni donc vendredi 24 Mars 2023 en assemblée générale qui a voté et adopté cette motion dont je vous invite à entendre et à mesurer chaque mot et chaque phrase (je souligne en gras les éléments qui me semblent les plus importants et révélateurs).

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Réunis en Assemblée Générale le 24 mars 2023, les personnels des quatre composantes du Pôle Sociétés (Droit, Sociologie, IAE, IPAG) ont voté à l’unanimité des 123 membres présents, la motion qui suit.

Les personnels du Pôle Sociétés font le constat d’une dégradation de leurs conditions de travail, d’une part, et d’un défaut structurel de moyens pour mener à bien leurs missions, d’autre part. Au-delà des réformes et des injonctions nationales mise en œuvre dans l’urgence dans notre établissement (ParcourSup, MonMaster, maquettes compétences, formations en alternances entre autres), le processus de restructuration en Pôles de Nantes Université a produit une démultiplication des strates organisationnelles et des réunions, une absence de procédures de fonctionnement claires, une dématérialisation anarchique du travail, qui entraînent une surcharge chronique pour les personnels de direction, les personnels administratifs et les personnels enseignants et enseignants-chercheurs.

La réduction des ressources pérennes, la nécessité d’augmenter la part des ressources propres pour assurer nos missions administratives, d’enseignement et de recherche, ainsi que la répartition très inégale des ressources à l’échelle de Nantes Université en défaveur des sciences humaines et sociales, contribuent à l’épuisement des personnels. La dégradation de nos conditions de travail se reflète dans un turn-over dramatique chez les personnels BIATSS, un épuisement des responsables des composantes et une charge administrative toujours plus lourde pour l’ensemble des personnels enseignants.

Le coût de cette restructuration relative au devenir de notre université comme « établissement expérimental » impacte directement les conditions d’étude de nos étudiants. Ces nouvelles contraintes bureaucratiques cumulées à l’absence de moyens pérennes d’enseignement et de recherche ne nous laissent plus le temps de réaliser nos missions sans produire des inégalités sources de conflits éthiques (traitement des dossiers de sélection, encadrement des étudiants, équipement des salles, maintien d’effectifs assurant des bonnes conditions de transmission, etc.). Elles produisent également, pour les étudiants, un brouillage complet des informations utiles sur le fonctionnement de leur établissement et de leurs études.

Les personnels du Pôle Société rappellent que la fermeture de formations de master ne constitue pas une solution souhaitable ni pertinente. Ils demandent à ce que les mesures suivantes soient immédiatement prises :

  • Recruter d’urgence des personnels administratifs, enseignants et enseignants-chercheurs titulaires,
  • Doter en priorité les composantes, UFR et instituts les plus mal lotis de moyens à la hauteur de leurs besoins matériels et humains.
  • Prononcer un moratoire sur la restructuration des Pôles engagée sans que ne soient prévues les ressources humaines et organisationnelles pour la mener à bien.
  • Rendre publiques les données et les critères relatifs à la répartition des ressources au gré des effectifs enseignants et étudiants à l’échelle de Nantes Université sur les dix dernières années.
  • Établir des procédures de fonctionnement organisationnelles claires et transparentes au lieu d’expérimenter leur mise en place au prix d’un épuisement de l’ensemble des personnels.

Les personnels de l’une ou l’autre des composantes du Pôle Sociétés ont déjà mis en œuvre diverses mesures comme la démission de leurs responsabilités de master et le refus de participer aux jurys de bac, d’examiner les dossiers Campus France, d’accompagner les personnes en VAE, etc. Ils prévoient de cesser de réaliser les tâches qui s’imposent à eux (remontée des maquettes, participation aux CEV soit à la sélection sur ParcourSup et MonMaster, recrutement des vacataires d’enseignement, par exemple), comme de participer à la démultiplication de réunions inutiles si aucune solution rapide ne leur est proposée. Ils comptent porter collectivement ces problèmes auprès du Rectorat et de Nantes Métropole, de la Région et des médias dès la semaine prochaine.

Ils sont prêts à ne pas assurer la rentrée de septembre 2023 si aucune perspective ne leur est donnée d’ici là.

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A la crise qui touchait l’IAE, la réponse de la présidence de Nantes Université, que l’on apprenait via le média NewsTank, apparaissait soit comme d’une naïveté confondante soit comme d’un ahurissant cynisme. « La présidence de Nantes Université propose de nous donner des moyens supplémentaires mais générés sur nos fonds propres. » (sic)

Ce qu’il faut savoir c’est que sur les « fonds propres » (c’est à dire l’argent qui revient aux composantes sur la base, notamment, des contrats d’apprentissage qu’elles mettent en oeuvre, donc pour le dire brutalement l’argent que les étudiant.e.s ramènent …) l’université prélève 15 à 20% pour pouvoir – c’est légitime – payer différentes choses dont les fluides (électricité, chauffage, etc.) mais aussi compenser et accompagner en gestion comptable interne les composantes les plus démunies.

Pour autant, la seule réponse à la crise majeure que traversent les composantes de Nantes Université semble donc consister, dès lors que ces crises sont rendues publiques et/ou frôlent le drame, à ne rien faire d’autre que d’un peu moins taxer les fonds propres des composantes. C’est tout bonnement ahurissant et le résultat d’une double irresponsabilité. D’abord celle du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche et de son actuelle instagrammeuse en chef aka Sylvie Retailleau dont la trace politique qu’elle laissera semble bien partie pour se résumer à l’empreinte carbone des selfies dont elle inonde ses réseaux sociaux. Ensuite celle de la présidence actuelle de l’université qui fonce toutes voiles dehors dans le mur de l’effondrement politique, poussée par les vents du néomanagement qui semblent constituer son dernier rempart de légitimité et son seul outil de pilotage. Les démissions se multiplient, à tous les étages, à tous les postes, à tous les niveaux de responsabilité (pôles, composantes, mandats électifs …) et dans tous les corps sociaux de l’université (enseignants, chercheurs, personnels techniques et administratifs). C’est tout à fait inédit. En général les doléances des personnels techniques s’expriment avec des modalités, sur des sujets et dans des temporalités différentes de celles des personnels administratifs, elles-mêmes différentes de celles des personnels de recherche et d’enseignement.

Mais cette fois-ci tout le monde craque et s’effondre en même temps et pour les mêmes raisons. Il n’y a plus aucune réponse politique ou sociale à l’échelle des crises et des alertes que remontent inlassablement les agents et les personnels. Uniquement des réponses comptables. Et ces réponses comptables, comme l’exemple de celle apportée à l’IAE, achèvent de discréditer totalement les choix effectués par la présidence de l’université.

Outre l’abandon coupable, mortifère et irresponsable du ministère qui a laissé l’université de Nantes (et tant d’autres) sombrer sur le plan comptable et qui l’a asphyxiée sur le plan humain en lui refusant l’octroi et l’ouverture de postes, et avec désormais une crise ouverte qui s’étendra, c’est certain, à la quasi-totalité des composantes de Nantes Université à plus ou moins court terme, chacun fait désormais face à ses responsabilités.

Les personnels doivent être solidaires de leurs pairs, au risque de se perdre eux-mêmes et d’être les prochain.e.s à s’arrêter pour épuisement professionnel. Il nous faut collectivement aller vers des logiques de refus ferme et définitif de l’ensemble des procédures ineptes, des réunions imbéciles et des cycles de validation à la con qui font hélas notre quotidien.

La direction de l’université doit aller à un affrontement clair avec le ministère et se mettre en situation d’accompagner plutôt que de dissimuler ou d’étouffer les souffrances qui s’expriment et qui lui sont remontées de manière constante depuis les dernières années. Le dernier président de l’université, Olivier Laboux, celui-là même dont Carine Bernault est l’héritière politique puisqu’elle avait à sa demande conduit le projet de cet « établissement expérimental » qui craque aujourd’hui de toutes parts, Olivier Laboux pantoufle désormais entre le ministère de l’enseignement supérieur et l’inspection générale des affaires sociales où il est aujourd’hui « inspecteur général en service extraordinaire » (sic transit certainement pas gloria mundi mais plus certainement vanitas vanitatum et surtout vide sidéral de l’utilité pour la collectivité publique). Bref il pantoufle velu. C’est certes son droit mais c’est surtout révélateur d’un rapport de force qu’il n’a jamais, à aucun moment, ne serait-ce que fait semblant de vouloir installer et défendre. La présidence actuelle ne semble malheureusement pas davantage en capacité ou en volonté d’installer un réel rapport de force avec le ministère.

Enfin, c’est tout un « modèle économique » de l’université qui doit entièrement être revu et remis à plat. A l’heure actuelle, et dans nombre de composantes, l’abandon du financement régalien n’est compensé que par les rentes que constitue l’exploitation de la force de travail de nos propres étudiant.e.s au travers des contrats d’alternance. Et les entreprises n’emploient nos étudiant.e.s en alternance que grâce au soutien que l’état abonde en leur sens au détriment du versement aux universités des ressources pérennes qui leurs sont dues pour pouvoir accomplir leurs missions. Ce modèle craquera quel que soit le scénario économique des prochaines années, et quels que soient les gouvernements qui le mettront en place. Il craquera parce qu’aucun de ses aboutissements n’est soutenable à moyen terme. Et ce scénario est d’un effroyable cynisme à l’échelle des universités publiques, condamnées à exploiter les contrats étudiants pour garantir une bien provisoire survie. Il l’est également à l’échelle du financement plus large de l’apprentissage puisqu’il prive les lycéen.ne.s des voies techniques et professionnelles d’une aide à l’apprentissage qui serait à leur endroit, souvent plus utile et légitime qu’elle peut l’être à l’échelle des entreprises où nous envoyons nos étudiant.e.s et qui sont souvent en situation d’embaucher sur des contrats pérennes mais préfèrent, par effet d’aubaine, disposer d’une main d’oeuvre à moindre frais et sur le budget de l’état. Et je ne parle ici que des composantes et des formations qui sont directement rentables sur le plan économique, vous laissant imaginer l’état de celles qui ne le sont en rien et donc condamnées à attendre l’aumône d’arbitrages comptables internes.

Mais là encore ce qui se produit aujourd’hui à l’échelle de Nantes Université est emblématique puisqu’il révèle que des composantes aussi dissemblables que la faculté de droit et l’IAE le sont à la fois en nombre, en organisation, en débouchés et en rentabilité pour l’alternance, font aujourd’hui face aux mêmes détresses et aux mêmes épuisements.

 

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