Les dessous de l’affaire.

A l’occasion d’une lecture approfondie des billets de John Battelle et surtout de Gary Price (voir la rubrique "update du lendemain" du billet précédent) sur l’affaire opposant Google au ministère de la justice américain, je livre ici une confirmation plus qu’une découverte.
Mais d’abord quelques faits : voici ce que le Ministère en question a demandé précisément à Google :

  • tous les URL accédés au travers d’une requête le 31 Juillet 2005 et …
  • toutes les requêtes entrées sur Google entre le  1er Juin et le 31 Juillet 2005.

Rien que ça … Evidemment Heureusement Google a refusé non pas tant au nom de l’éthique et du respect de la vie privée de ses "clients" qu’à celui de la préservation de ses "légitimes" secrets algorithmiques, à savoir :

  • le nombre approximatif d’URL dans sa base de données
  • des détails sur la manière dont il les parcourt ("crawling")
  • le nombre de serveurs utilisés pour le faire ainsi que leur répartition
  • et enfin la fréquence à laquelle il parcourt ("crawle") le web.

Donc bien sûr, Google n’a pas collaboré. A la différence d’autres (les noms ne sont pas dévoilés mais il est évident – mettons à 99,7% –  à la lecture des divers documents qu’il s’agit de Yahoo! et MSN!).
Entre la demande (du Ministère) et le refus (de Google) il s’est écoulé quelques semaines d’échanges et de négociations croustillantes : le spécialiste en charge des litiges chez Google expliquant au procureur qu’ils peuvent trouver toutes ces données dans des sources publiques comme le site Archive, et celui-ci de répondre (ce qui suit n’est une traduction que de "l’esprit" des négociations) :
(Procureur) "Oui on sait, on a déjà essayé mais on n’était pas content du résultat"
(Google) "Bon ben tant pis, réessayez."
(Procureur) "Oui mais non ça ne nous va pas, vous êtes meilleurs qu’eux"
(Google) "Oui mais nous on est surtout une société commerciale. Allez demander à Coca la formule exacte de son soda et quand vous l’aurez on en reparlera." etc … etc … Mais au final, Google ne livrera rien.
Alors pourquoi cette somme toute assez étrange requête de Ministère de la justice ? Permettez que je vous la serve "brute" :

  • "pour développer des approches pratiques en analysant leurs bases de données (aux moteurs de recherche) ou leurs URLs et les requêtes qui leurs sont adressées." (…) "Une analyse a déjà commencée sur des corpus provenant de moteurs de recherche autres que Google." (…) "La lecture des requêtes des utilisateurs nous aidera à estimer la fréquence à laquelle ils accèdent  à des fichiers web ("HTM materials") et à mesurer l’efficacité des filtres d’accès à ces fichiers." (sic et re sic transit policia mundi :-(()

Le docteur Folamour de la statistique s’exprimant ainsi est Philip B. Starck qui (ne vous fiez pas à sa casquette et à son rasage de Geek) est tout sauf un débutant. Professeur de statistique à Berkeley, diplômé de Princeton, multi-récompensé de la NSF (National Science Foundation), etc, etc, etc, un CV à faire pâlir d’envie n’importe quel aspirant Maître de conférences. CV auquel s’ajoute une activité de consultant depuis 2000 au ministère de la justice. A la rubrique "thématiques de recherche" on peut lire qu’il s’intéresse (rappel il est d’abord mathématicien/statisticien) : "à la compression et la réduction de données et aux problèmes d’inférence et ce dans les sciences physiques, pour étudier la structure interne du soleil, la prévention des tremblements de terre, le Big Bang, la perte d’audition chez les personnes âgées et" … et … et … "à la recherche d’information sur le web". Bon, au moins en voilà un qu’on croiera sur parole s’il nous dit ne pas avoir le temps de tenir un blog 🙂
Or donc, c’est ce monsieur qui oeuvre sur ce clair-obscur programme de flicage généralisé pour l’administration Bush. Car il est absolument évident que la soi-disant motivation initiale de cette demande du Ministère de la justice et qui concernerait l’efficacité des "filtres anti sites pornographiques pour les petits américains" est en l’occurence un alibi bénéficiant de la même crédibilité qu’un Ben Laden affirmant qu’il ne pouvait pas avoir commandité les attentats du 11 septembre parce qu’il était au Mc Donald avec des copains ce jour là. Pour le dire autrement : prenez une pincée de Patriot Act, saupoudrez de quelques lobbies religieux, et nourrisez vos faucons. Comme disait l’autre : "Faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages".
Donc le gouvernement Bush mandate le Ministère de la justice pour fliquer l’humanité connectée. Ce qui une fois de plus n’est pas un scoop mais comporte cet avantage de réduire clairement la fracture démocratico-numérique entre l’amérique et … la chine. On vi(vai)t une époque formidable.
Car ne nous y trompons pas :

  • Google a une fois de plus bien manoeuvré aidé en cela par l’hallucinante candeur dont a fait preuve l’administration Bush : la demande était trop "hénaurme", et le refus d’obtempérer trop évident (cf l’exemple de la formule d’une célèbre boisson gazeuse cité plus haut). Restait à compter sur la réactivité et la capacité d’investigation de quelques bloggueurs pour faire le reste, c’est à dire une campagne "Vous voyez bien que Google n’est pas méchant et respectueux de la vie privée."
  • Google finira probablement par faire comme ses copains (Yahoo! et MSN), à condition que la demande du Ministère soit plus raisonnable et permette de mieux protéger quelques secrets industriels.
  • Les programmes américains de flicage généralisé ne sont pas une nouveauté. Echelon analyse nombre de nos échanges téléphoniques et numériques. Mais … Mais Echelon n’est pas systématiquement et en permanence présent à chaque instant de notre présence numérique en ligne : quand nous cherchons des livres ou des disques à acheter, quand nous livrons nos centres d’intérêt dans les mots-clés que nous choisissons ou les sites que nous visitons. Les moteurs de recherche, si. Echelon n’a pas capacité à recouper nos comportements. Les moteurs de recherche, si. Echelon s’intéresse, scrute, recoupe et analyse certaines conversations de certains d’entre nous. Les moteurs de recherche scrutent, recoupent et analysent chaque comportement de chacun d’entre nous. Et nos comportements en disent beaucoup plus long que nos conversations.

Un article d’Hubert Guillaud d’Internet Actu de ce jour indiquait "Le gouvernement américain a ou aura bientôt accès à la technologie qui rend la surveillance massive possible". Ce soir, deux mots sont de trop. "Cherchez braves gens".
Update du matin : voir la position officielle de MSN sur son blog (et lire les premiers commentaires qui en démontrent l’absurdité)

2 commentaires pour “Les dessous de l’affaire.

  1. Olivier,
    J’aurai une position beaucoup plus nuancée que la tienne. Non pas évidemment que je défende la paranoïa du gouvernement US, mais parce qu’elle n’est que le pendant de la mégalomanie de Google et consorts.
    Il n’est pas plus légitime de mon point de vue de surveiller les comportements privés à cette échelle à des fins policière que de le faire à des fins commerciales.
    Aussi, si les excès des uns peuvent alerter sur les excès des autres réjouissons-nous !
    Dans ces affaires, à mon avis, la seule solution est qu’il se bâtisse des agences exerçant un contrôle démocratique sur les développements des technologies et des modèles d’affaires et leur efficacité.
    Je le répète chaque fois que j’en ai l’occasion. Cela existe pour les autres médias. Il est urgent de le faire pour celui-ci.

  2. Jean-Michel> Je ne pense pas que les maux puissent s’additionner et/ou qu’une paranoïa « sauve » l’autre. Je me réjouis comme toi que ces paranoïas aient permis de lever ce lièvre au grand jour. Le plus inquiétant dans tout cela est que les gouvernements restent élus. Et peuvent donc ne plus l’être. Mais personne n’élit Google. Et personne ne peut donc le destituer (y’aurait bien les usages, mais ça va être long avant que ça change. Et à la différence du « calendrier électoral », il n’y a pas de « calendrier des usages » …). Or cette histoire démontre que dès maintenant (en fait depuis déjà plusieurs années), ces acteurs privés et marchands disposent de plus de pouvoir que les gouvernements. Donc OUI OUI OUI et encore OUI à la mise en place d’agences de régulation ou à tout le moins d’observatoires indépendants. A 200%.
    P.S. : je n’ai jamais dit que la surveillance à des fins commerciales était « plus légitime » que celle à des fins policières :-(( Au contraire. Je n’ai donc pas bien compris en quoi tu étais « plus nuancé » …

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